Qu'elle soit favorable à Ahmed Chafik, dernier chef du gouvernement d'Hosni Moubarak, ou à Mohamed Morsi, candidat des Frères musulmans, l'issue du second tour de l'élection présidentielle qui s'achève ce dimanche va exacerber des tensions déjà très fortes. Malgré les fraudes dont les deux camps s'accusent, les observateurs n'ont signalé que des incidents mineurs après la première journée du scrutin, samedi, qui s'est globalement déroulé dans le calme. Une altercation entre vendeurs de rue au Caire a toutefois dégénéré en fusillade dans la nuit de samedi à dimanche, selon des médias locaux qui font état de deux morts, mais l'incident ne semble pas lié à l'élection. Les bureaux de vote ont rouvert dimanche à 06h00 GMT. Des résultats officieux pourraient être annoncés dans la soirée. Le Conseil suprême des forces armées (CSFA), au pouvoir depuis la «révolution du Nil» et la démission d'Hosni Moubarak, a ordonné samedi la dissolution du Parlement, validant une décision de la Haute cour constitutionnelle que les Frères musulmans, qui disposaient d'une large majorité, assimilent à un «coup d'Etat». Une victoire de Chafik, ancien commandant de l'armée de l'air âgé de 70 ans, donnera inévitablement lieu à de nouvelles protestations de la part des révolutionnaires de la place Tahrir et des islamistes, qui craignent un retour à l'ancien régime. «Le peuple égyptien a choisi la liberté et exerce son droit à la démocratie», a déclaré Mohamed Morsi en glissant son bulletin dans l'urne. «Le peuple égyptien ne reviendra pas en arrière et je le mènerai, si Dieu le veut, vers la stabilité et la prospérité. Ce jour est dédié aux martyrs», a ajouté le candidat des Frères musulmans, arrivé en tête au premier tour, les 23 et 24 mai. S'il l'emporte, le mandat de Mohamed Morsi pourrait rapidement se résumer à un affrontement stérile avec l'appareil militaire. Pour une bonne part de l'électorat laïc et modéré ce second a tout d'un duel des extrêmes entre un fidèle du président déchu et un candidat qui se présente au nom de Dieu. Dans ces conditions, l'abstention, déjà très élevée au premier tour, pourrait être le fait marquant du second. Choisir le moins pire des candidats «Le moment de vérité approche» titrait le journal gouvernemental al-Gomhouria, dans un pays profondément divisé entre partisans du candidat Ahmad Chafiq, dernier Premier ministre de Hosni Moubarak, issu de l'appareil militaire, et un haut responsable des Frères musulmans Mohammed Morsi. Le climat de confrontation est monté d'un cran avec l'annonce officielle samedi, en plein milieu du second tour, de la dissolution du Parlement par le Conseil suprême des forces armées. La décision a été prise en application d'un arrêt de la Haute cour constitutionnelle jeudi, annulant l'élection des députés au motif d'un vice juridique dans le mode de scrutin des législatives tenues par étapes de novembre 2011 à janvier 2012. Les Frères musulmans, désormais privés d'une institution où ils disposaient de près de la moitié des sièges, ont vivement réagi, en fustigeant «la volonté du Conseil militaire de s'emparer de tous les pouvoirs». Le parti de la liberté et de la justice, PLJ, émanation de la confrérie, a dénoncé dans cette dissolution «une agression flagrante contre la révolution». Les Frères musulmans, dont certains dirigeants ont dénoncé un «coup d'Etat» institutionnel orchestré par les généraux, réclament que la question de la dissolution du Parlement soit réglée par un référendum. Seize mois après la chute de M. Moubarak, le prochain président, à qui l'armée promet de remettre le pouvoir d'ici la fin du mois, fera face à une situation économique préoccupante et de graves incertitudes politiques. «Le chef de l'Etat entrera dans le palais présidentiel au milieu d'un vide légal et constitutionnel terrifiant», écrit le commentateur politique Hassan Nafea dans le quotidien indépendant al-Masry al-Youm. Outre l'absence de Parlement depuis la dissolution, le pays n'a toujours pas de constitution pour remplacer celle suspendue après le départ de M. Moubarak, laissant les pouvoirs présidentiels dans le flou. Une victoire de M. Chafiq «garantirait à l'armée d'avoir l'un des siens à la tête de l'exécutif, mais lui permettrait aussi d'influencer la mise en place des autres institutions du nouveau régime», estime M. Nafea. Sur le plan sécuritaire, l'armée vient de se faire remettre le droit de procéder à des arrestations de civils, une mesure vivement dénoncée par des organisations de défense des droits civiques qui l'assimilent à une forme de «loi martiale». Plusieurs analystes estiment que cette mesure et la dissolution du Parlement permettront à l'armée de rester maître du jeu quelle que soit l'issue de la présidentielle. Ce duel politique a mis dans le désarroi de nombreux électeurs, qui avouent avoir à choisir entre «le moins pire» des deux candidats, ou se réfugier dans l'abstention.