La scène culturelle nationale connaît ces derniers temps ce que d'aucuns appellent désormais une guerre de tranché mettant face à face des protagonistes mobilisés les uns comme les autres à défendre une certaine conception de la culture et de la création artistique. Espérons d'emblée qu'une guerre pareille n'aura pas lieu et que l'esprit de tolérance finira par apaiser les passions passagères afin que la noble cause de la culture et la libre création puissent transcender les clivages de conjoncture. Rappelons à cet égard quelques faits ayant été à l'origine de la controverse qui alimente le débat relatif à la liberté de création que d'aucuns s'apprêtent à défendre jusqu'au bout dès lors que d'autres se présentent comme étant les défenseurs intransigeants de l'art «propre» et de la création respectueuse de la moralité publique. En effet, suite à la publication d'un manifeste dont les instigateurs appellent à la mobilisation pour la défense de la liberté de création culturelle et artistique au Maroc, d'autres appels se sont faits connaître par le biais d'articles et d'autres écrits appelant de leur côté à la sauvegarde de ce qui fut dénommé comme étant l'art propre. Ainsi se profile à l'horizon une confrontation qui ne serait enfin de compte que nuisible à la cause que les uns et les autres s'apprêtent à défendre avec ferveur et enthousiasme. Rappelons aussi que les actes d'intimidation contre de grands artistes qui se sont multipliés ces derniers temps dans des pays arabes ayant été à l'avant-garde de ce qui fut considéré comme étant le printemps arabe ne peuvent que soulever l'indignation et la condamnation de tous les esprits libres soucieux du devenir de la démocratie et de la liberté de conscience dans cette partie du monde. Tout en prenant acte de ce constat désolant, il n'en demeure pas moins que la question de la liberté de création au Maroc ne devrait nullement nous faire oublier l'exception marocaine. Le Maroc ayant cultivé le multipartisme au moment où d'autres pays arabes ont sombré sous le joug du parti unique et la mainmise des appareils de contrôle sur toutes les institutions culturelles, ne peut trahir son histoire ni faire écho au chant des sirènes funestes. La tradition marocaine en matière de création culturelle et artistique s'est nourrie depuis l'avènement de l'indépendance des valeurs de la libre création et des impératifs de l'autonomie vis-à-vis de toutes les instances de contrôle. Ainsi on a assisté au cours de plusieurs décennies à une évolution de la culture et de l'art marocain qui n'a jamais banni la contestation ni évacué l'esprit critique. Aux moments les plus difficiles de notre histoire contemporaine, les créateurs de ce pays ont su exprimer leur génie et traduire en beauté les espoirs de tout un peuple. Aux mêmes moments, d'autres créateurs de grand talent à l'échelle du monde arabe furent mis devant le tragique choix de servir des régimes totalitaires ou bien de souffrir de l'amertume de l'exil. Certes nous avons eu nos exilés dont le grand amour qu'ils ont porté pour leur pays, conjugué à l'esprit de tolérance qui avait prévalu, a fini par triompher leur permettant ainsi de regagner la mère patrie. Aujourd'hui et plus que jamais, c'est ce noble esprit qui devrait animer toutes celles et tous ceux qui se soucient de l'avènement et de la promotion d'une culture florissante et d'un art célébrant la beauté de la vie et épousant les aspirations légitimes d'un peuple ayant fait preuve tout au long de l'histoire de courage et de dignité. L'art dans toute sa puissance ne peut s'épanouir sous l'égide de la force brutale ni chanter l'hymne de la vie quant la croyance aveugle fait fuir la douce tolérance. Depuis l'éclosion des premières lueurs de l'esprit, l'art fut et demeure la marque distinctive du genre humain. Est-il concevable de juger l'œuvre d'art en dehors des critères esthétiques sans courir le terrible risque d'éveiller les démons de l'inquisition et la terrible tentation de décréter l'apostasie ? Que peut on espérer de mieux en faveur de la culture et des arts marocains si ce n'est le vœu de voir les créateurs de ce pays se faire encourager pour qu'ils assument pleinement le beau rôle qui leur incombe afin d'enchanter nos espaces et d'enrichir d'avantage notre imaginaire collectif plusieurs fois millénaire. L'amour de l'art nécessite certes la vigilance afin que la frêle flamme de la sublime création puisse égayer nos âmes. Cet amour ne devrait nullement susciter des élans passionnels qui, à l'insu de tous ceux qui les entretiennent, peuvent véhiculer la passion triste et exprimer la conscience malheureuse. D'ailleurs, est il de l'ordre de la coïncidence, au moment où une certaine polémique continue d'opposer les uns aux autres concernant la liberté de création et la vocation de l'œuvre d'art, que les manifestations artistiques se multiplient à l'image d'un printemps qui fourmille de beauté et de vie ? Il se pourrait aussi que le hasard fait bien les choses et que l'eternel et tumultueux fleuve de la vie auquel la création artistique rend les plus beaux des hommages continuera son cours tout indifférent qu'il est aux préjugés bien établis et aux appréciations de circonstance. Ainsi, juste après la clôture de la quatrième biennale de Marrakech dédiée à l'art, le cinéma et la littérature contemporaine, la ville ocre accueille pour la septième année consécutive le Festival International de Danse. La capitale économique se prépare quant à elle à abriter une nouvelle édition du Festival International du Rire de Casablanca. Le thème ayant été retenu pour cette année représente un bel écho aux grands événements annonciateurs d'une nouvelle ère à l'échelle du monde arabe. De la sorte le public casablancais sera invité à savourer l'art de la dérision et de l'humour focalisé cette année sur le thème se rapportant à l'aspect satirique du printemps arabe. La musique est aussi au cœur de cette belle éclosion printanière et ce à l'occasion de la douzième édition du Concours International de Musique qui se tient sous l'égide de l'Orchestre Philharmonique du Maroc. Cette édition dédiée au piano regroupera neuf virtuoses pianistes représentant l'Amérique, le Japon, la Russie, l'Ukraine et la Chine. D'un autre côté la programmation artistique de la prochaine édition du Festival Mawazine s'annonce riche en rythmes musicaux et de savoureux chants représentant diverses cultures de par le vaste monde. Dans le même sillage, la cité de Fès se couvrira bientôt du doux voile des Musiques sacrées. Cette sonorité mystique nous rappelle chaque fois que le grand art est le reflet de l'harmonie cosmique et le signe de la mystérieuse transcendance. Le septième Art, de son côté, continue d'égayer les écrans de plusieurs villes qui accueillent des manifestations dédiées au cinéma qui, au fil des années, continuent de s'imposer à l'échelle nationale et internationale en révélant de nouveaux talents tout en contribuant à réconcilier un public de plus en plus large avec cet art populaire. Ce foisonnement artistique, tout en renseignant sur la vitalité dont fait preuve la scène culturelle marocaine, représente un signe fort de renouveau et de renaissance qu'il va falloir tolérer à défaut de ne pas vouloir le soutenir et l'affermir. De la sorte, le vrai débat devant être mené avec clairvoyance et sérénité relativement au statut de la culture et de l'art ne devrait pas sombrer dans les appréciations faussement moralisantes ni dériver vers la glorification de la provocation nullement esthétique. Ainsi, au moment où l'actuel exécutif est à l'épreuve de la mise en œuvre de son propre programme d'action, il serait judicieux d'apprécier la question culturelle à sa juste valeur. La conviction bien partagée quant à l'extrême importance du renouveau culturel vu son impact majeur sur la résolution de la problématique sociétale devrait se traduire en pacte social qui vise à sauvegarder les acquis et aller de l'avant vers une vraie renaissance culturelle. Le socle sur lequel repose l'édifice de la nation marocaine porte en son cœur la diversité plurielle dont les racines plongent dans le passé lointain autant que ses branches se nourrissent de l'universel esprit humain. De la sorte, la culture ne supporte nullement la prétendue régulation autant que l'art ne peut s'épanouir sous la menace de la censure qui n'exprime en fait que l'instinct mortifère et le désir morbide de vouloir mutiler la vie. Ceci étant, faire l'éloge de la liberté de création et saluer la prolifération des manifestations artistiques ne devrait pas non plus nous faire oublier qu'une seule hirondelle ne fait pas le printemps. Le printemps culturel marocain est de l'ordre de ce qui adviendra au moment où la fragile création sera protégée d'avantage et au moment où l'action en faveur de la culture ne se limitera point aux promesses largement prodiguées en d'autres temps ni aux déclarations de bonne foi qui sont devenues caduques, à force d'être répétées. (*) Rédacteur en chef de la revue philosophique «Al Azmina Al Hadita».