«Nos attentes sont nombreuses, mais le plus important est que le nouveau gouvernement lutte sérieusement contre la dépravation», déclare Fayçal, 54 ans, employé dans une fiduciaire et père de deux enfants. «Ce qui intéresse le plus les jeunes, c'est la création d'emploi», précise pour sa part Mohamed, 25 ans, juriste fraîchement diplômé qui n'a pas envie de rejoindre les diplômés chômeurs qui manifestent régulièrement devant le parlement et ailleurs pour trouver de l'embauche. Ce qui intéresse par contre en premier lieu Khadija, la soixantaine, fonctionnaire à la retraite, c'est le coût de la vie. «Je prie Dieu tous les soirs pour que ma pension et celle de mon mari suffisent à combler nos besoins jusqu'à nos derniers jours». Quand à Hicham, 34 ans, ingénieur informaticien employé dans le secteur privé, c'est la réforme de l'administration et la lutte contre la corruption qui doit être la priorité. «J'en ai marre d'avoir à glisser à chaque fois un billet pour obtenir n'importe quel document administratif dans un délai valable. Certains fonctionnaires tiennent plus des mendiants que des agents publics». Seul Mohcine, la cinquantaine, agent immobilier, n'attend rien du nouveau gouvernement comme il n'a jamais rien attendu des précédents. «Je veux juste que l'Etat nous laisse en paix, nous nous débrouillons très bien tout seuls. Si le gouvernement réduit les impôts et taxes, ça se serait une bonne chose». Le nouveau gouvernement marocain, le trentième de l'Histoire contemporaine du Maroc mais le premier depuis l'adoption de la nouvelle loi fondamentale de la nation, bénéficie globalement d'un préjugé favorable de la part de la population, qui en attend toutefois énormément. Et les opposants attendent patiemment le centième jour de l'actuelle équipe gouvernementale pour établir son premier bilan. Déjà, les plus septiques reprochent à M. Abdelilah Benkirane d'avoir constitué un gouvernement pléthorique, trente portefeuilles, outre le fait qu'il ne compte qu'une seule femme ministre. Il y en avait sept dans l'ancienne équipe. Quand aux ministères dits de «souveraineté», leur nombre est par contre moins élevé dans l'actuelle. «Les Marocains sont légalistes et pragmatiques. Ils l'ont prouvé en boudant les excités du 20 février. Mais ils sont également assoiffés de démocratie, comme le démontre le taux de participation assez important au référendum pour l'adoption de la nouvelle Constitution. Et leur confiance est plutôt difficile à obtenir par les hommes politiques, ainsi que le révèle le taux de participation moins important aux élections législatives qui ont suivi. Tout cela donne matière à réfléchir», estime un haut fonctionnaire à la retraite. «Je pense que le gouvernement Benkirane tient la chance historique de pouvoir réconcilier les Marocains avec leurs gouvernants en particulier et la classe politique en général. Mais pour ce faire, il se doit d'être au plus près du peuple et de ses ambitions, surtout des plus jeunes. Il faut cesser de croire que les Marocains sont politiquement analphabètes ou déconnectés des réalités. Ils connaissent les limites d'un gouvernement de coalition et savent que les choses ne peuvent pas changer du jour au lendemain. Mais ils attendent un minimum d'écoute, ils veulent que leurs gouvernants tiennent compte un tant soi peu de leurs opinions et avis. La question de la démocratie est surtout une question de dignité». Saïd, 47 ans, fonctionnaire et militant amazigh aux convictions bien ancrées, attend le gouvernement Benkirane sur la question des Droits de l'homme. «C'est au niveau de la préservation des acquis en matière de Droits de l'homme et des avancées escomptées que l'on saura à quoi s'attendre avec ce nouveau gouvernement, même si je ne cache pas mon scepticisme à ce sujet. Pour être positif, disons que j'espère me tromper». «Je suis un entrepreneur, j'aime le concret. Pour moi, les indicateurs à surveiller pour savoir ce que vaut ce gouvernement sont claires et précis», affirme Mustapha, 63 ans, ingénieur démissionnaire de la fonction publique et patron d'une petite entreprise. «Si la passation des marchés publics est réformée, que les «enveloppes» et les «coups de fils» en sont bannis, si une solution est trouvée au problème du foncier pour encourager la création de projets et donc d'emplois, si les tribunaux se mettent à rendre des jugements rapides et équitables, que les juges véreux sont jugés et condamnés, si les administrations deviennent moins tatillonnes et cessent de bloquer les projets des gens qui travaillent pour des broutilles, entre autres attentes de ces citoyens qui ont risqué leurs capitaux en les investissant et qui peinent chaque jour que Dieu fait pour les fructifier et donner du travail aux chômeurs. Alors là seulement je dirais que le gouvernement fait lui aussi son travail. N'oubliez pas d'écrire que les ministres sont payés avec les impôts des citoyens, qu'ils le sont très bien, d'ailleurs, pour servir, pas se servir». «Les choses vont de mieux en mieux au Maroc depuis que nous avons notre jeune Roi, mais les jeunes ne savent pas comment cela se passait avant et sont très impatients, explique doctement Ba Bouchaïb, gardien de voitures qui dit avoir soixante cinq ans mais en fait bien plus. «Il suffit que le nouveau gouvernement continue sur la même voie. S'ils veulent faire quelque chose pour nous, alors qu'ils donnent du travail à nos enfants. J'ai une fille qui travaille et deux fils au chômage et je n'ai pas de retraite, j'espère que mes enfants vont tous pouvoir trouver un emploi et m'aider dans mes vieux jours en se partageant ma charge. Surtout que la vie est toujours plus chère. Mais j'ai foi en Dieu et en l'avenir de mon pays que j'ai connu plus pauvre et moins libre dans ma jeunesse». Gagner la confiance des électeurs est une chose, gagner celle des citoyens en tant que gouvernants en est une tout autre. Ils attendent pour voir et juger des actes de leurs gouvernants, qui doivent êtres autant que possible proches des promesses électorales. Des décisions pertinentes concernant les sujets les plus sensibles pour entamer son mandat enverraient du gouvernement Benkirane un signal positif aux Marocains, qui ont bien envie d'y croire.