Je ne vous apprends rien en disant qu'il existe un énorme écart entre la production de l'art contemporain et les attentes des « grands publics » du monde entier. Il ne s'agit pas ici de juger les gens. De dire que le grand public ne comprend rien à l'art contemporain ou que les artistes contemporains sont des incompris. Mais les faits sont là : l'art contemporain ne semble pas s'adresser à la majorité des gens. Il y a quelque temps, durant un festival, un grand musée d'art contemporain ouvrait ses portes au grand public. Comme l'entrée était gratuite, il y avait des centaines de visiteurs. Quelques artistes, des initiés, et un grand nombre de gens de tous les milieux socioculturels. Beaucoup de regards semblaient sceptiques. On entendait ici et là des gens se demander à voix basse « Est-ce que c'est de l'art ça ? » ou encore « Cet artiste se moque vraiment du peuple ! » C'est vrai que, dans le monde de l'art, l'on reconnait aujourd'hui que tout ce qui est fait par quelqu'un qui se dit artiste est, ipso facto, de l'art. Mais les gens ordinaires se disent que l'art c'est un peu plus que cela ! Que c'est un peu plus qu'une couscoussière sur la bouche, les yeux, ou les oreilles d'une jeune artiste qui veut souligner son appartenance au « peuple du couscous !» En tout cas, ce qui est sûr, c'est que le « grand public » est généralement impressionné mais pas toujours attiré par certains aspects de par l'art contemporain (je pense à l'art conceptuel). Si le grand public ne s'intéresse pas à l'art contemporain, ce n'est pas parce qu'il manque d'éducation -en effet, parmi ce que nous qualifions de grand public vis-à-vis de l'art contemporain, il existe des gens très intelligents et des professionnels d'autres domaines pour lesquels les artistes contemporains font partie du… grand public. C'est sûrement parce qu'à l'origine, une grande partie de l'art contemporain (l'art conceptuel), n'était pas de l'art mais de l'anti-art ! Ce que le grand public ne sait pas, c'est que l'art conceptuel a commencé comme un rejet de l'art. Un mouvement essentiellement anti-art ! En fait, ce n'est pas vraiment un mouvement mais plutôt une expression fondamentalement anti-art. Cette notion d'anti-art est ce qu'il y a de plus discutable et de moins compris dans l'ensemble de l'art du XXe siècle. Le travail de Duchamp, des dadaïstes (sur notre photo, Tristan Tzara, fondateur du mouvement Dada), des artistes conceptuels et de ceux qui partageaient leurs points de vue, avait pour but de déranger les institutions et les pratiques artistiques de leur temps. L'anti-art est parfois un terme utilisé grosso modo pour décrire tout ce qui rejette les anciennes définitions de l'art. Il peut rejeter quelques aspects de l'art comme il peut rejeter l'art tout entier. Les artistes conceptuels ont aujourd'hui tendance à s'occuper de choses politiques ou sociales, mais leurs installations et leurs méthodes découlent directement de l'anti-art! Ce genre d'art n'était donc pas censé être de l'art jusqu'à ce que l'impitoyable monde des affaires ne l'avale et ne le transforme en art.