Hassan Darsi est un artiste attaché à l'art contemporain. Il expose à partir du 4 juillet à l'Institut français de Casablanca une installation intitulée «Portraits de famille II : Visages casablancais». Il parle de son art et de la difficulté qu'il y a à l'exercer au Maroc. Aujourd'hui le Maroc : Vous êtes un artiste contemporain ? Hassan Darsi : L'art contemporain est une expression tellement galvaudée que j'éprouve du mal à l'utiliser. Un tableau de Mélihi me paraît plus contemporain qu'une installation qui n'a aucune valeur artistique, qui n'est pas fondée sur une réflexion préalable. Juste un assemblage, une adition dans un espace donné. Non, sincèrement, ce n'est pas de cet art contemporain que je me réclame. Il ne faut pas interroger certaines formes patentées de l'art contemporain pour être un artiste contemporain. On ne va pas brûler les peintres. Il y a une grande qualité de peinture au Maroc. La peinture reste la forme la plus vivante de la création au Maroc. Pour un artiste qui veut rompre ou trouver une voie en dehors de cette forme, est-ce facile ? Il ne s'agit pas de réagir contre quelque chose. Un peintre ne s'oppose pas à un artiste qui fait des installations. Ils peuvent être du même bord, se rejoindre. Il est d'ailleurs dangereux pour le Maroc de tenir ce discours qui s'accompagne de snobisme : «La peinture, on n'en a rien à foutre. Faites place aux jeunes !» Les propos de ce type me font horreur. Ce n'et pas mon truc ! Oui, mais les personnes qui rejettent l'art contemporain le privent d'une certaine façon du droit à l'existence. Dans n'importe quel pays où se développent des formes contemporaines, il y a d'autres expressions plastiques. C'est la situation saine de l'art où plusieurs formes coexistent! Le pouvoir, ici, est malheureusement entre les mains d'une pseudo-élite qui peut faire barrage à des expressions de l'art contemporain. C'est une question de pouvoir mal utilisé. Il faut dire aussi que les artistes catalogués dans l'art contemporain sont assez jeunes, très peu nombreux. Ils ne sont pas non plus structurés pour constituer une force d'action. Ils pratiquent l'art contemporain d'une façon personnelle, mais qui est encore à un stade d'expérimentation. Où finissent vos œuvres ? Il y en a quelques-unes chez moi. D'autres, il faut les emballer, parce que je ne peux pas les remontrer. Ce n'est pas évident de les garder. Ou alors il me faudrait un énorme hangar où je pourrais tout stocker. Donc, il n'y a que la documentation qui fonctionne après. Est-ce qu'elles trouvent un acquéreur ? Non ! Mais ça peut venir avec le temps. Je suis optimiste. Par contre, quand je fais une expo, j'essaie de vendre le concept. En plus des productions, chaque expo repose sur un concept. Là, je peux me rattraper financièrement. Mais vous savez, c'est une question de mode tout ça! Il faut juste que le vent tourne pour que les gens s'intéressent aux productions de l'art contemporain. Quelqu'un va acheter un petit truc, et l'autre va le voir et en acheter un semblable. Et ainsi de suite. Ce n'est pas compliqué. Vous vivez de quoi ? J'ai un salaire d'enseignant au complexe Moulay Rachid. J'ai un atelier où j'initie de temps en temps des personnes intéressées par l'art contemporain. Quand je fais des expos à l'étranger, je suis payé. Il est étonnant que les seuls à rémunérer les artistes contemporains sont les étrangers et les instituts étrangers établis dans le pays. Oui, mais pour dire le fond de ma pensée, ça me dérange moins que les difficultés que je rencontre chaque jour pour réaliser mes œuvres. L'artiste contemporain a recours à des prestations de service. Le menuisier, le vitrier qui va lui couper du verre, du plexiglas, une autre personne pour les tirages de photos… En plus du travail de conception, il y a une chaîne qui doit suivre et cette chaîne n'assure pas une qualité au Maroc. On a beau célébrer l'artisanat et les artisans, quand vous en cherchez, vous n'en trouvez pas. Ou alors il faut payer des prix exorbitants. Et en plus, ils n'ont pas le temps ceux-là pour ces petites choses. La finition, le souci du détail nuit souvent à l'œuvre. Quelque part, c'est beaucoup plus facile pour un peintre de travailler chez lui. Il assure toute la qualité. Les difficultés que l'on rencontre avec les menuisiers, les vitriers sont aussi importants que l'argent. Ici, ils ne peuvent même pas vous couper une plaque de verre équerre. C'est-à-dire que demi-millimètre pour le vitrier ne compte pas. Pour moi, il compte énormément. Et ça, c'est un grand problème pour les artistes contemporains, et j'imagine aussi pour les designers. Pourquoi persistez à faire de l'art contemporain au Maroc, en dépit de tous ces problèmes ? Comme beaucoup de gens j'imagine. C'est pour faire des choses ici. Il y a tellement de choses à construire… Toute ma vie est ici. Vous n'avez pas l'impression d'être un Don Quichotte qui se bat contre des moulins à vent ? Mais c'est très beau un Don Quichotte ! C'est magnifique !