Djilali Bencheikh, écrivain algérien de langue française et chroniqueur littéraire à Radio Orient à Paris, était récemment l'invité des rencontres littéraires misent en place par l'Institut français de Rabat et l'Association Marocaine des Enseignants de Français (AMEF). C'est l'occasion de découvrir cette figure peu connue dans le paysage littéraire marocain et, dans ce même esprit, consacrer cette chronique à son dernier roman : « Beyrouth canicule » (Ed. Elyzad, Tunis, 2010). Au seuil de son livre, Djilali Bencheikh souhaite que son aventure littéraire laisse « trace pour les générations à venir ». C'est en avançant dans le récit qu'on comprend toute la portée et l'ampleur de ce vœu. En fait, l'œuvre traite d'une période cruciale de l'Histoire contemporaine : début des années 70. Le protagoniste, Kamel Haddoux, est un étudiant algérien à Paris. Le milieu estudiantin et les formations politiques faisaient encore bon ménage. Les confusions étaient toutefois légion et les événements se télescopaient. On est la dixième année après l'indépendance de l'Algérie, pays de Kamel et de l'auteur ; 5 ans après mai 68 et presque autant de la défaite des « Arabes » face à Israël. C'est dire que plusieurs fronts étaient ouverts et la jeunesse s'impliquaient volontairement ou malgré elle. Le protagoniste a beau se méfier des amalgames : « Je n'ai jamais supporté qu'on réduise le combat au Proche-Orient à un affrontement entre Juifs et Arabes, l'Arabe lui-même étant étroitement confondu avec le musulman » (p. 29). Il sera entraîné par les événements ; il a pour mission d'acheminer une valise à double fond contenant de faux passeports de Paris à Beyrouth. Cette ville rêvée comme « la Suisse du Moyen-Orient » est en fait un espace où le rythme du récit s'accélère au point où le personnage et peut-être aussi le lecteur ne savent plus dans quelle dimension se situer : « Filatures, précautions, murmures, simulacres en tous genres, rendez-vous hâtifs et furtifs. Est-ce un rêve ou un cauchemar ? » (p. 123). Tout en en flirtant avec le roman d'aventure et le roman d'initiation, « Beyrouth canicule » demeure fidèle au vœu de l'auteur d'être aussi didactique. Il cristallise, par petites touches, l'ambiance de toute une époque sous haute tension et rappelle les grands événements qui agitaient le monde : « Il y a l'Allemagne, où agit la redoutable bande à Baader. Et c'est à Munich qu'avait eu lieu le funeste épilogue de la prise d'otages aux jeux Olympiques quelques mois plutôt. Bonn avait cédé aux exigences israéliennes, ce qui avait mené au massacre. Il y a aussi l'Italie, où les Brigades Rouges défraient la chronique du terrorisme. Il faut compter enfin avec les Irlandais de l'IRA dont certains cercles pactisent avec les mouvements révolutionnaires du Tiers-Monde » (p. 78-79). Djilali Bencheikh a concocté ici un vrai cocktail explosif ! Kamel s'en sort bien car c'est un bon vivant. Ce caractère attribué au personnage n'est pas sans rappeler cette déclaration de l'auteur en rapport avec son arrestation en Algérie lors d'une manifestation estudiantine : « J'ai été arrêté à un moment où je contais fleurettes à une douce étudiante ». On apprend des choses et on ne s'ennuie pas en lisant cette fresque toute en couleurs. A propos de couleurs, Djilali Bencheikh mettait en exergue de son roman « Tes yeux bleus occupent mon esprit » (Ed. Elyzad, 2007) ce vers du poète algérien Ahmed Azeggagh : « C'est une terrible chose que la querelle des couleurs ». La polysémie d'un tel propos est largement exploitée par l'auteur dans quasiment toute son œuvre. Celle-ci est souvent inspirée des péripéties de la vie de l'écrivain, qui est d'ailleurs digne d'un roman, mais ne dédaigne pas les opportunités de l'imaginaire et de la fiction. « Beyrouth canicule » est une invitation au voyage au pays des cèdres et des cendres. C'est aussi et surtout un agréable moment de lecture qui me rappelle la musicalité d'un morceau de bravoure inspiré également par la plaie beyrouthine tout en étant un moment de bonheur littéraire; c'est le récit de Darina Al-Joundi et Mohamed Kacimi au titre éthéré : « Le Jour où Nina Simone a cessé de chanter » (Ed. Actes Sud, 2008). Ces récits érigés contre l'oubli et qui tirent leur force de la maitrise du verbe sont plus forts que « le désert de l'occultation ou le bulldozer de la désinformation » (p.8). Leur séduction esthétique ne nous empêche pas de regarder aussi de biais du côté d'une actualité brûlante qui secoue le monde arabe. Le vœu de Djilali Bencheikh fait bien son petit bonhomme de chemin grâce aux talents de l'écrivain.