Organisée par la Direction des arts de la ville de Charika (Emirats Arabes Unis), du 7 avril au 7 juin 2010, à l'occasion de la quatrième édition de l'art calligraphique célébrée chaque deux ans au Musée d'art calligraphique de ladite ville, l'exposition que donnent les deux artistes marocains Khalid Bayi et Mohamed Boustane est méritoire à plus d'un titre. Il s'agit de deux palettes représentatives d'un créneau qui n'en compte pas beaucoup au Maroc, où cependant l'excellence et la créativité sont notoires. Si Mohamed Boustane ne se départ pas d'une scénographie devenue son cachet, abordée chaque fois sous un angle différent, et d'une palette épurée, réduite volontairement aux seuls tons d'un sumac (ou brou de noix) comme entité figurale d'une « encre » dont l'artiste a toujours voué l'esprit à la méditation et la contemplation mystico-religieuse, l'artiste Khalid Bayi, lauréat des Beaux-arts de Casablanca et décorateur à 2M TV, qui s'exprime à la même élévation et dont la force gestuelle est remarquable, implique la couleur dans un espace allégorique qui s'en trouve spiritualisé et baignant dans un lyrisme à hauteur d'homme. Certes, chez l'un et l'autre, l'idéal serait d'atteindre à une expression lettrale libératrice et qui, tout compte fait, ne serait plus une formalité graphique liée à la notion d'identité. Une telle préoccupation est d'ordre mystique. On la retrouve, plus ou moins, poussée dans la sensibilité zen, chez les vétérans de l'Extrême-Orient, dans les mantras d'idéographie hindoue et dans l'ancienne écriture chinoise d'obédience confucianiste et, plus proches de nous, chez les Iraniens pour qui l'exercice scriptural est une purification et l'encre est une eau lustrale. Si l'art calligraphique se voulait dans son essence et selon la tradition un rapprochement divin et un désir sublimé de faire corps avec le Verbe, l'usage qu'on en fait en matière de création implique d'abord et forcément l'idée d'un apprentissage dont l'humilité, voire l'ascétisme, demeurent les vertus principales. A ce propos, on pourrait voir dans le chromatisme élémentaire (mais recherché) de Boustane une souscription explicite à « s'envertueuser » dans ce sens. L'affinement des lettres est tel que le mouvement et la combinaison graphique deviennent vibrants, presque sonores. C'est proprement un phrasé cousu de lumière que trace la main de l'artiste ; la notation anticipe largement sur le discours, la sémantique – le rythme visuel étant une priorité. Un apprentissage donc qui, en principe, dure toute la vie et au cours duquel l'idée de maîtrise et de perfection finit par se perdre, devenue absurde, puisque le primat en est la poursuite et l'engagement face à une lettre qui n'est plus une simple graphie matérielle à magnifier, mais un « être » fantomatique, dont on ne saisit, techniquement surtout, que le ou les échos. L'artiste Larbi Cherkaoui, calligraphe de valeur, en est encore là, à vouloir capter cette lettre/mirage dont le principe moral est d'échapper, de se disloquer, se métamorphosant en une infinité de gestes et de traces… Pour la cerner un tant soit peu, Khalid Bayi (photo) a trouvé l'astuce de la couleur multiple, en surface comme en profondeur, jouant parfois sur les nuances et les effets de lumière. Sa poétique comme calligraphe fait appel aux bienfaits du métier : recherche de contrastes, sentimentalité au niveau des tons chauds et de leur mélange, gestualité démonstrative et un décoratif retenu pour l'harmonie d'ensemble. Les deux sculptures qu'expose l'artiste en même temps que ses toiles ont un côté tactile et une tournure scripturaire, qui n'occultent pas leur spiritualisme initial. Boustane et Bayi, deux artistes qui font honneur à leur pays et qui comptent désormais, pour le présent et pour l‘avenir.