Du 8 au 10 avril, à l'occasion du passage des Regraga, ces pèlerins-tourneurs du printemps, par Essaouira, la ville abritera un colloque international sur les pèlerinages circulaires en Méditerranée et au travers le monde.. Ce colloque rendra hommage à Georges Lapassade (notre photo), auteur “d'un marabout, l'autre”, à Abdélkébir Khatibi auteur de “Pèlerinage d'un artiste amoureux” et à Louis Massignon auteur du pèlerinage islamo-chrétien. Le pèlerinage est une démarche universelle, présente dans toutes les civilisations. L'étude comparative montre d'un siècle à l'autre, d'une aire culturelle à l'autre, sans oublier les cultes animiste et les religions agraires, que les analogies l'emportent sur les différences. Dans la geste pèlerine, les affinités de symboles et de démarches font irrésistiblement penser à celles que décrivent les récits épiques et les textes poétiques des diverses cultures du monde. Le pèlerinage fonctionne comme une manifestation matérielle d'un itinéraire spirituel. Les pèlerins entament un parcours exceptionnel, qui marque une rupture avec leur vie antérieure et l'ouverture à une nouvelle vie. Au Maroc, pèlerinages et moussem s'inscrivent soit dans un temps saisonnier pour les fêtes agraires, soit dans le calendrier lunaire pour les fêtes religieuses. Il y a aussi les multiples «Hiloula» des juifs du Maroc : à Rabi Haïm Pinto, à Aït Bayoud, à Moulay Ighi chez les Glaoua, à Tifnout au Toubkal, à Sefrou, à Sidi Yahya aux environs d'Oujda etc. Le pèlerinage est le rite de passage par excellence où les pèlerins entament un parcours exceptionnel, marquant une rupture avec leur vie antérieure et l'ouverture à une nouvelle vie. Ce colloque sera l'occasion d'analyses comparatives entre les différents pèlerinages circulaires et/ou aux sept saints en Méditerranée et ailleurs à travers le monde. Pèlerinage aux Sept Dormants d'Ephèse, aux Sept Evêques de Bretagne, aux Sept Saints Regraga, aux Sabaâtou Rijal de Marrakech, circuit de la kula Trobriandaise étudié par Bronislaw Malinowski dans son célèbre ouvrage sur « les Argonautes du pacifique occidental ». Il s'agira d'en comprendre la signification et la dimension humaine universelles. La légende des sept saints s'inscrit dans une vielle tradition méditerranéenne dont la source serait celle des Sept Dormants d'Ephèse en Turquie. comme le soulignait en 1957 Louis Massignon : « En Islam, il s'agit avant tout de « vivre » la sourate XVIII du Qora'n, qui lie les VII dormants à Elie (khadir), maître de la direction spirituelle - et la résurrection des corps dont ils sont les hérauts, avant coureur du Mehdi, au seuil du jugement, avec la transfiguration des âmes, dont les règles de vie érémitiques issues d'Elie sont la clé. Ce culte a donc persisté en Islam, à la fois chez les Chiites et les Sunnites mystiques. » En Bretagne, Massignon notait :« En Bretagne spécialement, le nombre des Sept Dormants raviva une très ancienne dévotion celtique au septénaire, seul nombre virginal dans la décade (Pythagore), chiffre archétypique du serment.On est tenté de penser que c'est une dévotion locale aux sept d'Ephèse, qui a précédé et provoqué les cultes locaux aux VII saints en Bretagne. » Dans son « Mounqîd min adhalâl » Al Ghazâlî déclarait à ce propos: « En tout temps il existe des hommes qui tendent à Dieu, et que Dieu n'en sèvrera pas le monde, car ils sont les piquets de la tente terrestre ; car c'est leur bénédiction qui attire la miséricorde divine sur les peuples de la terre. Et le Prophète l'a dit : c'est grâce à eux qu'il pleut, grâce à eux que l'on récolte, eux, les saints, dont ont été les Sept Dormants ». On appelle daour le pèlerinage circulaire des Regraga.Le terme « Daour » est ambivalent et à double sens:Tantôt on l'utilise pour désigner l'ensemble du pèlerinage circulaire :ça a la même connotation que l'expression française :« Faire un tour »,tantôt on l'utilise pour désigner chacune des étapes à « tour de rôle ». Le Daour, rite agraire accompli en vue d'obtenir une grande abondance de produits est aussi accompagné de vastes échanges intertribaux. La Kula qui se déroule dans le pacifique occidental est également une forme d'échange intertribal de grande envergure. Malinowski l'a étudié en particulier chez les Trobriandais. Les Regraga comme les Trobriands organisent un vaste circuit qui n'est au fond qu'un « potlatch intertribal », mi-cérémonial, mi-commercial. Ces deux institutions – le Daour et la Kula – se développent sur un fond de mythes et de rites magiques et unifient symboliquement une vaste étendue géographique. À propos de ces prosélytes Regraga, hommes de Dieu, faiseurs de pluie Jacques Berque note que dans le Sud marocain, ”les Regraga font « la soudure », si j'ose dire, entre deux cycles prophétiques : celui de Jésus et celui de Mahomet. Disciples du premier, Hawâriyyûn, ils sont comme les baptistes du second, qu'ils annoncent, et qu'ils vont trouver dès le début de sa mission. Leur personnalité oscille entre une qualification confrérique et une qualification ethnique. » Le terme collectif d'al-hawaâriyyûn désigne douze personnes qui auraient été nommé par Mohammed « pour être les représentants de leur peuple, comme les apôtres furent les représentants de Aïssa ben Maryam, et comme moi (Mohammed) je suis le représentant de mon peuple ». La tradition relative à ces douze apôtres musulmans est peut-être, le simple développement d'une donnée coranique : « Jésus dit : Qui son mes Ansâr pour la cause de Dieu ? Et les Hawâriyyûn répondent : Nous sommes les ansâr de Dieu” Les zaouïas Regraga sont des tribus comme les autres mais inscrites dans l'espace agraire en tant que chefferie religieuses grâce, entre autres, au corpus mythique de l'Ifriquiya qui fait que les morts imprègnent les pratiques sociales et rituelles des vivants. Sans lumière prophétique, point de caprification cosmique. Le mythe n'est pas rien : il rend possible le rite. Les paroles et les gestes actuelles commémorent des paroles et des gestes immémoriales : le présent s'effondre dans le passé et le passé submerge le présent. Finalement, ce sont les fruits et les activités de la terre qui permettent de synchroniser les travaux des saisons et des jours. Chez les Regraga une paysanne me dit un jour : « Revenez nous voir au temps des raisins et des figues ! » Cette horloge végétale a été également signalée par Malinowski :Pour fixer un rendez-vous, le chef d'une île trobriandaise, offre un cocotier couvert de bourgeons avec ce message : « Lorsque ces feuilles se développeront, nous ferons un sagali (distribution) ». Ces cycles végétaux sont liés au retour régulier des planètes et des saisons. D'où cette conception circulaire du temps, revenant périodiquement à ses origines, fêté par des rites également périodiques et circulaires aussi bien chez les Regraga que chez les Trobriandais. Mais déjà le centre solaire doré du mythe dérive avec ses pieds calleux et ses haillons dans la linéarité irréversible de l'histoire.