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Interview avec le ministre libyen des Affaires étrangères : « Un Maghreb arabe sans le Maroc serait une aberration » [INTEGRAL]
Publié dans L'opinion le 03 - 12 - 2024

Maghrébin convaincu, le ministre libyen des Affaires étrangères du gouvernement national, Abdulhadi Ibrahim Lahweej, refuse catégoriquement l'idée d'un Maghreb arabe sans le Maroc, auquel aspire l'Algérie. Le Chef de la diplomatie libyenne dit les choses comme il les pense. Entretien.
La chute de Kadhafi en 2011 a plongé la Libye dans une guerre civile qui a condamné le pays à une instabilité politique chronique. Depuis lors, les relations maroco-libyennes connaissent des hauts et des bas au gré des circonstances politiques. Le Maroc, qui se tient toujours à l'écart des conflits et des luttes fratricides, a pourtant contribué remarquablement et avec une impartialité proverbiale à la réconciliation nationale en abritant les accords de Skhirat en 2015 et les discussions de Bouznika, qui demeurent toujours la base du processus politique. Pour sa part, le gouvernement de Benghazi, issu du Parlement de l'Est, demeure reconnaissant au rôle central du Maroc pour parvenir à une solution politique. Le ministre des Affaires étrangères, Abdulhadi Ibrahim Lahweej, plaide au nom de l'idée qu'il se fait de l'avenir du Maghreb, pour un rapprochement avec le Royaume et rejette l'idée de ressusciter l'Union du Maghreb Arabe au détriment du Maroc, tel que s'efforce de le faire l'Algérie. Nous avons rencontré le Chef de la diplomatie libyenne en marge du forum Medays à Tanger. Réaliste, il dit ce qu'il pense sans langue de bois.

* Quel regard portez-vous sur l'évolution des relations maroco-libyennes depuis 2011 ?

- Les relations entre le Maroc et la Libye furent de tout temps fraternelles, les deux peuples partagent une longue amitié, des traditions et des valeurs communes. Nous entretenons avec nos frères Marocains de bonnes relations, à la fois sur les plans politique et économique. Personnellement, je plaide depuis longtemps pour un partenariat renforcé avec le Maroc. Commençons, par exemple, à lancer une ligne maritime directe entre Casablanca et Benghazi pour faciliter les flux commerciaux de marchandises et des matières premières dans le cadre la reconstruction. Aussi, il est temps de la suppression des visas.

"Il est temps de lancer une ligne maritime directe entre Casablanca et Benghazi, ça serait un bon départ"


* Le Maroc a contribué au processus de réconciliation nationale en Libye en parrainant les accords de Skhirat en 2015, avant d'abriter le processus de Bouznika. Qu'est-ce qui fait la particularité du rôle du Royaume par rapport aux autres médiateurs internationaux ?

- Il est incontestable que le rôle du Maroc est primordial dans le processus politique en Libye. Vous n'êtes pas sans savoir que notre pays traverse une crise profonde depuis des années, laquelle a plongé le pays dans un cycle d'instabilité endémique. Nous sommes reconnaissants au Maroc qui offre ses bons offices sans avoir le moindre agenda politique, contrairement à d'autres pays. La diplomatie marocaine fut un soutien précieux pour nous, vu qu'elle avait depuis le début l'unique intention de parvenir à une solution. Le Maroc s'est distingué par sa conception de la solution qui ne peut, selon la diplomatie marocaine, émaner que des Libyens eux-mêmes, loin des interventions étrangères. Ce fut l'intime conviction de nos amis Marocains depuis le début. C'est ce qui fait que la médiation du Royaume ait pu donner des résultats si concrets. Je rappelle que le Maroc a été un facilitateur en fournissant un cadre propice au dialogue entre les protagonistes. C'est ce qui donna lieu aux accords de Skhirat, qui n'auraient pas été possibles sans le climat de confiance qui nous a été offert. Le Maroc a démontré par les actes qu'il a intérêt à ce que la crise libyenne parvienne à une solution définitive par les Libyens pour les Libyens.

"La médiation neutre du Maroc dans la réconciliation nationale en Libye a été d'une extrême importance"

* Pensez-vous que les accords de Skhirat demeurent la base fondamentale du processus politique en Libye ?

- Absolument. Les accords de Skhirat sont, à mes yeux, une référence politique et juridique incontestable sur laquelle on se base pour parachever la réconciliation nationale. N'oublions pas que toutes les Résolutions onusiennes évoquent l'importance d'une solution 100% libyenne, ce qui est l'essence même des accords de 2015. Le Maroc n'a eu de cesse de réitérer cet impératif.

"Le Maroc offre ses bons offices sans avoir le moindre agenda, contrairement à d'autres pays"

* Aujourd'hui, la crise libyenne dure encore et on peine à voir le bout du tunnel. Certes, on assiste à une sorte d'accalmie après la baisse significative de l'intensité des luttes armées et des actes de violence, mais la solution politique semble encore loin de portée. Peut-on espérer une entente future entre les clans rivaux ?

- La situation est encore complexe actuellement et je puis vous assurer qu'il n'y a nulle volonté, des deux côtés, de reprendre la lutte armée. Nous sommes convaincus que la solution politique doit émaner des urnes, d'où l'importance du processus démocratique. Seul l'arbitrage du peuple, auquel il faut donner la parole, peut nous sortir de l'impasse. Nous œuvrons ardemment à organiser des élections législatives afin de trancher une fois pour toutes la question de la légitimité représentative du peuple libyen. Malheureusement, la communauté internationale a imposé un gouvernement au peuple libyen qui n'a plus de légitimité. Aujourd'hui, je regrette que notre pays soit une proie aux ingérences étrangères qui font que le pays ne soit pas 100% maître de sa décision. La perte de notre souveraineté est telle qu'il y a des bases militaires étrangères à l'Ouest de notre sol. Pour nous, c'est inacceptable. Il faut qu'on restaure notre indépendance. Le statu quo ne peut durer ainsi. Il est temps que la Libye s'émancipe de toutes les tutelles étrangères et qu'elle redevienne souveraine pour qu'elle puisse pleinement retrouver son statut d'acteur régional avec des partenaires qui respectent sa souveraineté nationale.

* L'Algérie s'efforce de ressusciter l'Union du Maghreb Arabe avec l'aide de la Tunisie et la Libye sans le Maroc. Qu'en pensez-vous ?

- On ne peut pas parler de Maghreb arabe sans le Maroc. C'est une absurdité. Il est inimaginable d'envisager une intégration régionale si ambitieuse sans associer l'ensemble des pays de la région. Pour nous, le sujet est clos. Il est hors de question de parler d'une telle hypothèse et nous le disons en toute honnêteté et en tout audace : le Maghreb arabe est un impératif de par notre destin commun.

"La participation de M. El Menfi aux réunions tripartites avec l'Algérie et la Tunisie n'engage que lui"


* Le président du Conseil présidentiel, Mohammed El-Menfi, a participé à des réunions tripartites avec l'Algérie et la Tunisie comme s'il donne l'impression d'être favorable à un tel projet. Approuvez-vous sa démarche ?

- Soyons clairs. Le président du Conseil présidentiel n'est pas habilité, ni politiquement ni juridiquement, à prendre de telles décisions au nom de la Libye sur un sujet aussi important. Cela est du ressort du Parlement d'où est né le gouvernement. Nous avons d'ores et déjà exprimé notre position. Nous rejetons toutes sortes d'alliances construites au détriment d'un pays maghrébin. Par conséquent, nous sommes attachés à un Maghreb arabe tel que conçu par les pères fondateurs. Il n'est de l'intérêt de personne de persévérer dans des rivalités inutiles.


* Concernant la question du Sahara, êtes-vous favorable à la souveraineté marocaine ?

- Nous vivons dans un monde de plus en plus fragmenté et nous ne croyons pas aux micro-Etats artificiels. Il faut le dire. L'heure est à l'unité. De notre point de vue, nous saluons le plan d'autonomie que le Maroc a proposé. C'est une initiative sérieuse et soutenue par la majeure partie de la communauté internationale. C'est ça la réalité.


Intégration maghrébine : La Libye face aux délires vindicatifs de l'alliance algéro-tunisienne
Aujourd'hui, la Libye continue de se présenter comme un pays ami du Maroc en dépit des signaux ambivalents qui ont été lancés par le président du Conseil présidentiel libyen, Mohammed El-Menfi, qui a consenti à participer au Sommet de Tunis, tenu en avril 2024, aux côtés du présient algérien, Abdelmajid Tebboune, et celui de la Tunisie, Kais Saied. Ce Sommet tripartite a été conçu dans l'unique but d'exclure le Maroc d'un nouveau bloc maghrébin. Le représentant libyen a suscité beaucoup d'incompréhensions au Maroc lorsqu'il a participé à cette initiative vindicative que l'Algérie essaye de mener avec le soutien d'une Tunisie inféodée qui ne fait qu'exécuter les ordres de son voisin. Pour éviter tout malentendu, M. El-Menfi a dépêché en urgence, le 23 avril, son frère, Sami El-Menfi, auprès du Chef de la diplomatie marocaine, Nasser Bourita, à qui il a remis une lettre adressée à SM le Roi Mohammed VI.
Le contenu de la missive n'a pas été dévoilé, mais la dépêche publiée à cette occasion par la MAP a été assez instructive. En réalité, cette visite a été destinée à rassurer le Maroc de l'amitié de la Libye et de son attachement aux relations amicales qui réunissent les deux pays. En marge de la visite de l'émissaire libyen, le Chargé d'affaires de la Libye à Rabat, Aboubaker Ibrahim Ataweel, a précisé que cette visite s'inscrit dans le cadre des efforts visant le renforcement de l'Union du Maghreb Arabe. Le message était clair. La Libye s'oppose, jusqu'à présent, au projet algérien. Cela dit, les deux blocs rivaux à l'Est et à l'Ouest, bien qu'ils ne parlent pas d'une même voix sur les questions internationales, partagent cette conviction.


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