Réalisatrice et scénariste française de renom, Justine Triet était invitée du programme «Conversations» du 21ème Festival international du film de Marrakech. Justine Triet a partagé les méandres de son processus créatif et les influences qui nourrissent son œuvre. Entre fiction et documentaire, ses films interrogent, provoquent, et surtout invitent à une réflexion profonde sur «les complexités humaines et sociales». Les thématiques abordées dans son cinéma résonnent auprès de ceux qui cherchent des récits réalistes et moralisateurs. Parmi ces sujets, la place des femmes tient une place centrale. Assise confortablement sur la scène intimiste de la salle de conférences, Justine Triet nous souffle que son objectif « n'est pas simplement de mettre les femmes en avant », mais plutôt de refléter « la diversité des expériences féminines, loin des clichés ou des simplifications ».
Dans ses œuvres, les dynamiques familiales sont déconstruites avec une rare finesse, exposant des relations à la fois universelles et profondément personnelles. Réalisatrice de quatre films qui sont autant de portraits de femmes, Triet précise qu'il est important d'avoir une représentation authentique des femmes dans le cinéma.
« À travers une démarche artistique, je cherche à explorer les dynamiques complexes et singulières des relations familiales dans leur globalité », ajoute la femme qui, en mai dernier, a marqué l'Histoire du Festival de Cannes en devenant la troisième réalisatrice à décrocher la Palme d'or grâce au film « Anatomie d'une chute ». Ecrite en plein confinement, cette œuvre incarne l'expérience d'une écrivaine et mère d'un garçon malvoyant, soupçonnée d'avoir tué son partenaire après une année passée dans un chalet montagnard, tout en sondant les dynamiques et la défaite d'un couple.
« J'ai voulu revenir à plus de réalisme, dans le sens quasiment documentaire, que ce soit à l'écriture ou formellement. Mais c'était pour aller plus loin dans la complexité, dans ce que raconte le film autant que dans les émotions qu'il peut produire », confiait Justine Triet, lors du Festival de Cannes 2023. Moralité, éthique et art Cette rencontre a également été l'occasion d'évoquer son approche unique de la moralité dans le cinéma. Selon elle, les films ne doivent pas délivrer des messages univoques mais plutôt questionner.
« Mes œuvres ne cherchent pas à juger, mais invitent surtout le spectateur à réfléchir sur la complexité des comportements humains », a-t-elle déclaré. C'est ainsi de Justine Triet passe avec brio du documentaire à la fiction, créant un produit cinématographique émouvant. « Le documentaire m'a appris l'écoute et la patience, tandis que la fiction a libéré ma créativité », a-t-elle avoué.
Outre la femme, « Anatomie d'une chute » prête une attention particulière aussi à la place de l'enfant dans la famille. « Dans mes précédents films, les enfants étaient présents, mais n'avaient pas la parole, ils étaient là ; mais on n'avait pas leur point de vue. C'est comme si le moment était venu d'intégrer le regard de l'enfant au récit, de le mettre en balance avec celui de Sandra, le personnage central », confie la réalisatrice. Elle nous dévoile, toutefois, qu'elle avait « vraiment peur de faire jouer des enfants » au début, mais « il fallait bien pénétrer la famille de l'enfant pour bien comprendre tous les codes de l'enfant et pouvoir travailler ensemble ».
Il en est de même pour les animaux qui aussi occupent une place centrale dans le film. « Des fois, on a des situations très complexes avec des acteurs ou des techniciens qui requièrent quelques réglages et la présence d'un animal répare toute la prise », nous indique Justine Triet, qui ne néglige pas les risques de travailler avec des animaux, qui peuvent être bénéfiques pour un film, mais qui peuvent aussi « tout gâcher ». Maîtrise de l'environnement Ce genre de risques impliquent imposent un certain degré de maîtrise de l'environnement dans lequel se tournent les films. « C'est vrai que l'organisation est très importante dans le plateau car c'est très organique », explique l'artiste française. « Il est très important pour moi d'installer une bonne atmosphère dans le plateau. J'essaye souvent de demander les avis des autres et de créer un bon climat pour avoir une bonne scène», note-t-elle, ajoutant cependant qu'il y a des scènes où elle est très en retrait.
« C'est ce que j'adore dans les tournages, c'est tout le temps différent », dit-elle, le sourire tracé sur le visage. Par ailleurs, son dernier film comprend un jeu autour des langues - le français, l'anglais, l'origine allemande - qui ajoutent une couche de complexité à l'histoire. La réalisatrice s'intéressait de voir la vie d'un couple qui ne parle pas la même langue, ce qui ça rendait concret la négociation entre eux jusque dans le langage, avec l'idée de la langue tierce comme terrain neutre. « Il faut noter qu'au début le mélange de la langue était à la limite un frein parce que le bilinguisme du film posait problème quant à sa diffusion dans les chaînes françaises et nous n'avons pas capté tout de suite la dimension internationale, mais, après, ce mélange a facilité la circulation du film », nous confie Triet. À la fin de cette causerie, un tonnerre d'applaudissements a éclaté, témoignant de l'impact de ses mots et de sa vision cinématographique. Ce jour-là, à la cité ocre, Justine Triet n'a pas seulement parlé de septième art, elle a offert une leçon de créativité et d'authenticité.
Portrait : La cinéaste qui capture le comportement humain dans toute sa complexité Réalisatrice et scénariste acclamée, Justine Triet est une figure incontournable du cinéma français et international. Diplômée de l'Ecole nationale supérieure des Beaux-Arts de Paris, elle fait ses premiers pas dans l'univers du cinéma en explorant les interactions entre l'individu et le collectif. Son premier court métrage « Sur Place», datant de 2007, a été tourné pendant les manifestations étudiantes à Paris lors du Mouvement contre le contrat première embauche de 2006. Le documentaire capture avec intensité l'agitation de ces mobilisations sociales, en plaçant les acteurs au cœur de l'action. Ce documentaire, en plus de « Solférino » (2008), réalisé lors des élections présidentielles françaises, témoignent déjà de son intérêt pour les tensions sociales et politiques. En 2009, elle élargit son horizon en réalisant « Des ombres » dans la maison au cœur d'un township de São Paulo, mêlant art et témoignage. C'est avec « Vilaine Fille, Mauvais Garçon » , son premier moyen métrage de fiction, qu'elle impose sa signature artistique. Le film, récompensé par des Prix prestigieux, dont le Prix du Film Européen à la Berlinale 2012 et le Grand Prix du Festival Premiers Plans d'Angers, marque le début de sa reconnaissance sur la scène internationale. En 2013, Justine Triet franchit un cap avec « La Bataille de Solférino », son premier long métrage. Présenté à l'ACID au Festival de Cannes, ce film, qui capte avec une étonnante authenticité la fusion du chaos intime et de l'effervescence politique, est nommé aux Césars dans la catégorie Meilleur Premier Film. En 2016, avec « Victoria », elle explore les contradictions de la vie moderne à travers le personnage interprété par Virginie Efira. Ce deuxième long métrage, à la fois drôle et poignant, ouvre la Semaine de la Critique au Festival de Cannes et décroche cinq nominations aux Césars, dont celles de Meilleur Film et Meilleure Actrice. Son troisième long métrage, « Sibyl 2019 », en compétition officielle au Festival de Cannes, confirme son talent narratif. Mais c'est « Anatomie d'une chute » qui couronne son parcours exceptionnel. Palme d'or à Cannes en 2023 et Oscar du Meilleur Scénario Original en 2024, ce film consolide Justine Triet comme l'une des voix majeures du cinéma contemporain.