Le 26 septembre est la journée mondiale de la contraception. Une pratique qui n'est pas sans conséquences sur la mutation démographique du Maroc. Détails. Il y a des années, on avait l'habitude de regarder sur nos télévisions des spots de sensibilisation sur l'importance de la contraception. Destinés à expliquer aux femmes les vertus de la pilule, ces clips étaient si fréquents par le passé qu'on en garde encore le souvenir. À l'époque, cela était jugé très utile dans une société où une grande partie des familles, pour la plupart traditionnelles, ignoraient soit l'existence, soit l'utilité d'une pratique révolutionnaire qui a permis aux femmes de maîtriser leur fécondité et, par conséquent, leur avenir. Curieusement, les campagnes de sensibilisation se font de moins en moins fréquentes, du moins sur l'espace médiatique. D'aucuns estiment qu'on n'en a pas autant besoin qu'avant vu l'évolution des mentalités et la mutation de la famille marocaine contemporaine, devenue plus instruite et mieux informée que les précédentes générations. Il est évident qu'il y a une prise de conscience de l'importance de maîtriser la natalité chez les couples marocains, qui font de moins en moins d'enfants par rapport aux premières générations post-indépendance. Avant, les enfants étaient considérés dans l'imaginaire populaire comme une richesse. Aujourd'hui, on y voit, avant tout, une responsabilité, étant donné le changement radical des modes de vie.
Natalité en baisse La baisse de la natalité est confirmée par les chiffres, notamment ceux du Haut-Commissariat au Plan (HCP). Dans un rapport intitulé « Les projections de la population et des ménages pour les années 2014-2050 », le département d'Ahmed Lahlimi fait état d'une chute de la fécondité depuis les années 60. Celle-ci est passée de 7,20 enfants par femme en 1962 à 3,28 en 1994, à 2,47 en 2004, à 2,20 enfants par femme en 2014, soit pratiquement une stagnation. Cette tendance baissière risque de durer encore longtemps si on reste dans la même cadence. Les estimations vont vers cette hypothèse. Le niveau de fécondité devrait baisser à 1,80 enfant par femme à l'horizon 2050, selon les projections du Centre d'Etudes et de Recherches Démographiques (CERED) relevant du HCP, au moment où les statistiques des Nations Unies donnent un niveau de 1,86 enfant par femme. Cela dit, on risque d'avoir un chiffre en deçà de la moyenne internationale. Par conséquent, à en croire les résultats de l'enquête menée par le HCP, les effectifs des enfants de moins d'un an enregistreraient une légère et progressive baisse passant de 1,4 million en 2014 à près d'un million en 2050, soit une baisse de 30%. La baisse de la fécondité a des répercussions sur l'évolution de la population d'âge préscolaire, de la population scolarisable dans le primaire et celle au deuxième cycle du fondamental, soit 12-14 ans, qui connaîtraient également une régression de leurs effectifs. Ainsi, les effectifs des 4-5 ans diminueraient de 19% passant de 1,26 million en 2014 à 1,03 million en 2050. Pour les enfants de 6-11 ans, cette diminution serait de 14% passant de 3,64 millions à 3,15 millions entre les deux dates. Quant au groupe d'âge correspondant au deuxième cycle du fondamental (12-14 ans), leur effectif passerait de 1,84 million en 2014 à 1,61 million en 2050, soit une baisse de 13%. Le HCP dévoile également que la baisse de la fécondité rurale est plus importante que celle urbaine, 20% contre 5%. Tout porte à croire que les niveaux de fécondité urbaine et rurale convergeront dans les prochaines années puisque l'écart de fécondité entre le rural et l'urbain qui était de 3,1 enfants en 1987 n'est que de 0,5 enfant en 2014.
Vieillissement inéluctable ? Ces évolutions se feraient en faveur de la croissance des effectifs des personnes âgées. « Le poids relatif de la tranche d'âges des plus de 60 ans continuerait à croître, confirmant ainsi le processus dit de vieillissement démographique séculaire, plus exactement d'inversion de la pyramide des âges », lit-on dans le document du HCP. La forte baisse de la fécondité pourrait certes être suivie de nouvelles baisses dans les années futures. Mais pourrait-elle aussi s'interrompre et laisser place à une hausse ? Abdelilah Yaakoubd, Statisticien-Démographe, ancien Professeur-Chercheur à l'Institut National de Statistique et d'Economie Appliquée (INSEA), ayant également assuré pendant 15 ans la fonction de Représentant-Assistant et Coordonnateur de Programme au Fonds des Nations pour la Population (UNFPA) au Maroc, ne se perd pas en conjectures : « D'autres scénarios d'évolution peuvent prendre place et donner lieu à des trajectoires futures plus ou moins différentes et, par conséquent, mener à des niveaux de fécondité nettement plus élevés, comme cela s'est passé dans nombreux pays où la fécondité a connu une reprise à la hausse après une longue période de tendance à la baisse ».
En quête d'un nouveau planning familial En tout cas, ce qui est sûr, c'est que « les résultats du recensement en cours de la population marocaine nous permettront de confirmer ou d'infirmer ce scénario, tout au moins du point de vue de son occurrence sur le court terme », tranche Abdelilah Yaakoubd. Cette dynamique démographique a poussé le Maroc, depuis le milieu des années 1960, à se lancer dans la voie de la planification familiale et à faire relativement tôt le choix de maîtriser la croissance démographique, notamment à travers la pratique contraceptive, sujet de campagnes de sensibilisation auprès du grand public. « La pratique contraceptive est actuellement largement répandue avec un taux de prévalence qui dépasse les 72%. Ce qu'il faut souligner à ce sujet c'est que la planification familiale n'est pas l'unique déterminant du niveau de la fécondité. Ce n'est, en effet, qu'un des multiples déterminants qui trouvent leurs racines non seulement dans des facteurs d'ordre économique et social, mais aussi et surtout dans des mécanismes de changement qui relèvent beaucoup plus du culturel et du comportemental », appuie notre interlocuteur.
Safaa KSAANI 3 questions à Abdelilah Yaakoubd : « La planification familiale au Maroc est appelée à s'adapter au nouveau paysage démographique » * Le HCP fait état de la baisse de la fécondité globale. Comment expliquez-vous cela ?
Ce qu'il faut d'abord préciser, c'est que les projections démographiques ne sont, tout compte fait, que des estimations qui s'appuient, d'une part, sur des données de base et, d'autre part, sur des hypothèses ou des scénarios d'évolution future. Les projections de la population et des ménages élaborées par le HCP pour les années 2014-2050 prennent appui sur les données du recensement de 2014 comme données de base et supposent que la tendance à la baisse de la fécondité, observée pendant les années récentes, va se poursuivre dans le futur. Ce qui est une hypothèse tout à fait réaliste, qui pourrait, dans la mesure où elle se concrétise, conduire à l'atteinte du niveau de fécondité évoqué (1,8 enfant par femme). Mais, il n'est aucunement dit que c'est une hypothèse certainement réalisable.
* Quelles sont vos estimations sur les changements attendus dans la population marocaine ?
Le mariage tardif, le célibat prolongé, la pratique contraceptive de plus en plus généralisée et l'urbanisation de plus en plus accélérée sont les traits les plus marquants de ces changements qui ont constitué les bases motrices de cette transition qui, arrivant à son ultime phase, donne lieu à l'ouverture d'une aubaine démographique. Cette aubaine engendrée par le poids des jeunes qui représentent une force productive en direction de laquelle l'attention et les investissements doivent se diriger pour la transformer en véritable dividende démographique et en faire un élément moteur pour un véritable décollage économique et une propulsion sûre vers un développement durable. Parallèlement à cela, le Maroc doit faire face à la montée du processus de vieillissement de la population qui est en train de s'initier et qui va se faire à une vitesse rapide, à l'image de sa transition démographique tout aussi rapide.
* Un mot sur la politique de planification familiale au Royaume ?
Ce qu'il y a lieu de souligner au sujet de la politique de planification familiale au Maroc, c'est que d'abord c'est une politique qui a été lancée depuis le milieu des années 1960. Ce qui fait du Maroc et de la Tunisie les pays arabes et africains qui ont été les premiers à se lancer dans cette voie et à faire relativement tôt le choix de maîtriser leur croissance démographique. La politique de planification familiale au Maroc est appelée, de la sorte, à se poursuivre pour répondre à de tels droits, en s'adaptant au nouveau paysage démographique et en prenant en considération les principales mutations socio-culturelles qui s'opèrent au sein de la société marocaine. Recueillis par S. K. Méthodes contraceptives : La science progresse dans tous les sens Les différentes méthodes de contraception sont notamment les pilules contraceptives orales, les implants, les contraceptifs injectables, les patchs contraceptifs, les anneaux vaginaux, les dispositifs intra-utérins, les préservatifs, la stérilisation masculine ou féminine, les méthodes d'aménorrhée lactationnelle, les méthodes reposant sur le retrait (coït interrompu) et la connaissance des périodes de fertilité. Ces méthodes ont différents mécanismes d'action et leur efficacité préventive contre une grossesse non désirée varie. L'efficacité d'une méthode est mesurée par le nombre annuel de grossesses pour 100 femmes utilisant cette méthode. La puce contraceptive est l'une des méthodes les plus avancées de contraception, déjà utilisée dans d'autres pays. En 2023, le ministre de la Santé et de la Protection sociale, Khalid Ait Taleb, avait révélé que cette méthode serait introduite au Maroc pour prévenir les grossesses non désirées. Planification familiale : Un droit universel Que les femmes aient la possibilité de décider du nombre d'enfants qu'elles souhaitent avoir et de l'espacement des naissances pour préserver leur santé et celle de leurs progénitures constituent désormais des valeurs qui font partie intégrante des droits humains. La célébration de la journée mondiale de la contraception vient consolider et mettre en lumière cette corrélation entre planification familiale et droit fondamental. « La planification familiale s'est érigée comme un "droit humain" depuis la conférence du Caire de 1994 sur la population et le développement. Ce qui veut dire que l'existence et le maintien d'une politique de planification familiale, tant qu'elle ne revêt pas le moindre caractère coercitif, sont tout simplement la réponse à un droit : celui d'être informé sur les méthodes existantes et de pouvoir faire librement son choix d'avoir le nombre de naissances désiré au moment souhaité et avec l'espacement préféré », nous explique Professeur Abdelilah Yaakoubd, Statisticien-Démographe. La planification familiale, qui constitue depuis 1968 un droit fondamental que le Fonds des Nations Unies pour la Population (UNFPA) et l'Organisation Mondiale de la Santé s'efforcent de protéger, reconnaît neuf normes visant à défendre ce droit, à savoir la non-discrimination, la disponibilité, l'accessibilité, l'acceptabilité, la qualité, la prise de décision éclairée, le respect de la vie privée et de la confidentialité, la participation des individus aux décisions qui les concernent et la responsabilité des systèmes de santé, des systèmes éducatifs, des dirigeants et des décideurs quant aux efforts déployés pour réaliser le droit de l'Homme à la planification familiale.