Depuis début septembre, le cours du baril de pétrole connaît l'une de ses plus importantes chutes depuis des mois. En cause, des inquiétudes concernant la croissance chinoise et américaine, entraînant une anticipation de la baisse de la demande. Au Maroc, le prix à la pompe reste cependant décalé par rapport à cette tendance. Ce 18 septembre, le cours du Brent se négocie à un peu moins de 74 dollars, marquant une timide reprise après avoir atteint 66,24 dollars quelques jours plus tôt. Ces dernières semaines, le prix du baril connaît sa plus importante dégringolade depuis près de trois ans, puisqu'il n'était pas passé sous la barre des 70 dollars depuis août 2021. Cette chute est d'autant plus surprenante qu'il y a à peine cinq mois, sous l'effet des tensions géopolitiques au Proche et Moyen-Orient, le baril avait atteint les 90 dollars, certains analystes allant même jusqu'à prédire qu'il franchirait la barre symbolique des 100 dollars. Que s'est-il passé entre-temps ? "Cette chute reflète principalement les inquiétudes entourant la croissance économique mondiale, en particulier en Chine, le plus grand importateur de pétrole, mais également au sein de l'Union Européenne", analyse Amina Touhami, trader et analyste du marché pétrolier. Les craintes d'une stagnation, voire d'une récession mondiale, incitent les investisseurs et les acteurs du marché pétrolier à anticiper une baisse de la consommation de carburant.
Entre Chinois et Américains Les signes de faiblesse de l'économie chinoise inquiètent tous les marchés, à commencer par celui du pétrole. Ce samedi 14 septembre, les données publiées par Pékin montrent que les ventes au détail, la production industrielle et les investissements urbains en Chine ont progressé en août plus lentement que prévu. Le taux de chômage urbain a atteint son plus haut niveau en six mois, tandis que les prix de l'immobilier ont enregistré leur plus forte baisse annuelle depuis neuf ans. Bank of America a abaissé ses prévisions de croissance du PIB chinois pour 2024 à 4,8%, un chiffre inférieur à l'objectif de 5% fixé par le gouvernement. Citigroup a également réduit ses prévisions à 4,7% à la suite des données publiées au cours du week-end. Si la santé du géant asiatique a des répercussions globales, un autre géant influence également le marché énergétique : les Etats-Unis d'Amérique. La Réserve fédérale américaine a abaissé les taux d'intérêt de 0,5%, une réduction plus importante que prévu par de nombreux analystes, alimentant les craintes que la Fed anticipe un ralentissement du marché de l'emploi. En réaction, les prix du pétrole ont chuté mercredi, reflétant les préoccupations concernant la santé de l'économie américaine.
Washington joue solo Face à cette situation, l'Organisation élargie des pays exportateurs de pétrole (OPEP+) n'arrive pas à stabiliser le marché, malgré une baisse de production décidée fin 2022 et prolongée à plusieurs reprises. "Les réductions décidées par l'OPEP+ restent insuffisantes, bien que l'organisation ait manifesté une ferme volonté de resserrer le marché en prolongeant plusieurs fois la baisse de l'offre. Même le report des hausses de production initialement prévues pour octobre ne parvient pas à endiguer la surabondance de l'offre", nous explique Amina Touhami. Selon notre trader, la production pétrolière américaine, qui suit ses propres logiques, compromet l'influence et l'efficacité des décisions du cartel des exportateurs. À noter qu'en 2023, les Etats-Unis sont devenus le premier producteur mondial de pétrole, devant la Russie, avec une production de 12,9 millions de barils par jour, principalement grâce à leurs immenses réserves de pétrole de schiste. Le cours du pétrole pourrait connaître une petite augmentation d'ici quelques semaines, même si cela n'affectera probablement pas la tendance générale à la baisse observée ces derniers mois. "Entre fin octobre et fin novembre, c'est la période de maintenance des raffineries, ce qui pourrait entraîner une réduction temporaire de l'offre et, par conséquent, soutenir momentanément les prix", nous apprend Amina Touhami. En effet, les raffineries effectuent souvent une série de maintenances à l'automne, après la saison estivale, lorsque la demande en essence commence à baisser. Cela permet de préparer les équipements pour les mélanges de carburants d'hiver.
Décalage avec le marché Bien que le cours du baril ait chuté de plus de 10% entre le 2 et le 10 septembre, l'impact sur les prix à la pompe au Maroc a été très modéré, voire imperceptible. Du 1er septembre à aujourd'hui, les distributeurs d'hydrocarbures ont appliqué deux baisses : une de 40 centimes pour l'essence et 30 centimes pour le gasoil le 1er septembre, suivie de 30 centimes pour l'essence et 20 centimes pour le gasoil le 16 septembre. Cela représente une réduction totale de 70 centimes pour l'essence et 50 centimes pour le gasoil, soit une baisse de 4% à 5%, bien en deçà des 10% observés sur le marché mondial. Comment expliquer ce décalage ? "Entre le prix du baril à l'international et celui à la pompe, plusieurs éléments entrent en jeu, notamment le taux de change, les taxes, le coût du fret, le coût de distribution, la marge des distributeurs et leur politique commerciale", détaille Amina Touhami. En effet, seulement 50% du prix à la pompe correspondent au prix d'achat du carburant raffiné à l'international, tandis que 35% proviennent des taxes et les 15% restants représentent les marges commerciales. En raison des tensions en mer Rouge, les taux de fret maritime ont augmenté de plus de 200% au cours du premier semestre 2024, atteignant leurs niveaux les plus élevés depuis la mi-septembre 2022. Cela a évidemment entraîné une hausse des prix de tous les produits importés, y compris le pétrole. De plus, les sociétés de distribution doivent gérer des stocks couvrant en moyenne une quinzaine de jours, ce qui les oblige à composer avec des stocks achetés à des prix différents. Mais cela n'empêche pas le fait que, comme l'a déjà révélé l'enquête du Conseil de la Concurrence, certains distributeurs d'hydrocarbures aient tendance à retarder la répercussion des baisses de prix ou à les étaler sur une longue période, dans le but de maximiser leurs marges, pénalisant ainsi le consommateur final. D'où l'intérêt de rester vigilant quant à la politique des prix de ces entreprises.
Soufiane CHAHID 3 questions à Amina Touhami : « L'efficacité d'une réduction de la production par l'OPEP est incertaine » * Comment expliquez-vous cette chute des cours du pétrole à l'international ? La baisse des prévisions de croissance en Chine et en Europe, ainsi que la crainte d'une récession, provoquent une anticipation de la diminution de la demande en carburant et en énergie en général, entraînant une chute des prix. Parallèlement, la production de pétrole continue d'augmenter. Bien que l'OPEP envisage de réduire la production à partir d'octobre pour stabiliser le marché, l'efficacité de cette mesure reste incertaine. De leur côté, des pays comme les Etats-Unis poursuivent l'augmentation de leur production, créant un excédent d'offre qui accentue la pression à la baisse sur les prix.
* Pensez-vous que cette baisse va durer ? Les conflits entre Israël et le Hamas, ainsi que la guerre entre la Russie et l'Ukraine, combinés à une instabilité géopolitique croissante, des sanctions économiques et des crises diplomatiques dans des régions clés comme la Russie, le Venezuela et le Moyen-Orient, menacent l'approvisionnement en pétrole, ce qui pourrait faire grimper les prix. Les tensions dans des zones stratégiques, comme le détroit d'Ormuz, renforcent ces incertitudes. Par ailleurs, les marchés financiers réagissent aux anticipations de ces tensions géopolitiques, tandis que la volatilité du dollar ajoute à l'incertitude globale. Tout cela rend toute anticipation de la réaction des marchés illusoire.
* Pourquoi cette baisse n'est-elle pas répercutée à la pompe ? Dans l'esprit des Marocains, une baisse du prix du baril devrait entraîner une baisse immédiate à la pompe. Cependant, plusieurs facteurs influencent le prix final : le taux de change, les taxes (TVA et TIC), le coût de distribution, les frais logistiques, notamment le fret maritime, ainsi que les stocks des distributeurs. De plus, les distributeurs peuvent choisir de ne pas répercuter immédiatement une baisse de prix et attendre quelques jours avant d'ajuster leurs tarifs, ce qui explique un certain décalage dans la variation des prix à la pompe.
Recueillis par Soufiane CHAHID Conseil de la Concurrence : Les distributeurs réduisent leurs marges Le Conseil de la Concurrence a publié en juillet un rapport sur le premier trimestre de l'année, soulignant une légère baisse des marges bénéficiaires des sociétés de carburant au Maroc. Cependant, cette baisse doit être relativisée, car ces entreprises compensent souvent leurs pertes lors de la baisse des prix internationaux. Le rapport, qui se concentre sur neuf entreprises dominantes du marché, montre une marge brute de 1,46 dirham par litre de gasoil et plus de 2 dirhams pour l'essence. Entre janvier et mars, cette marge a diminué de 1,69 à 1,24 dirham, reflétant une hausse des coûts d'achat non répercutée sur les prix de vente. Les marges brutes moyennes pondérées pour le gasoil varient entre 1,24 et 1,69 DH/L. Cette fluctuation montre que, malgré des coûts d'achat élevés sur le marché international, les entreprises ont pu maintenir une rentabilité modérée, sans alourdir de façon excessive la facture pour les consommateurs. Cela illustre une stratégie de tarification visant à limiter l'impact des hausses mondiales sur les prix à la pompe au Maroc. Production mondiale : La Russie augmente ses volumes En octobre, la Russie prévoit d'augmenter ses exportations de pétrole malgré des difficultés internes liées à la maintenance prolongée de plusieurs raffineries. Les ports de Primorsk et Ust-Luga, principaux points d'exportation, enregistreront une hausse notable des volumes. En septembre, la Russie avait déjà accru ses exportations de pétrole brut de 4,5%, ce qui a influencé le marché mondial en stabilisant les prix, malgré les fluctuations de la demande. Les capacités de raffinage russes sont mises sous pression en raison de l'entretien prolongé de certaines installations, ce qui réduit l'offre de produits raffinés et oblige la Russie à ajuster ses flux d'exportation. Toutefois, la Russie cherche à maintenir sa présence sur les marchés mondiaux en exploitant les ports de la Baltique pour soutenir ses exportations. Cette stratégie permet à Moscou de rester compétitif, en dépit de sanctions internationales et de contraintes internes qui affectent les capacités de production et de raffinage. L'augmentation des exportations russes intervient dans un contexte de fragilité du marché mondial du pétrole, où la demande est sujette à des fluctuations importantes. La hausse des exportations russes pourrait contribuer à une baisse des prix mondiaux du pétrole, en particulier dans un environnement de ralentissement économique global. Malgré ces défis, la Russie continue d'optimiser ses infrastructures pour maximiser ses revenus provenant des ventes internationales de pétrole, tout en ajustant ses priorités énergétiques pour surmonter ses difficultés internes et maintenir sa position sur le marché mondial.