L'Allemagne a instauré, à partir de ce lundi et pour une durée de six mois, le contrôles aux frontières terrestres avec ses voisins occidentaux, la France, le Luxembourg, les Pays-Bas, la Belgique et le Danemark. Avec ces mesures, qui viennent s'ajouter aux contrôles déjà établis en octobre 2023 avec les voisins de l'Est, la Pologne, la République tchèque et l'Autriche, ainsi qu'avec la Suisse, l'Allemagne, pays membre de l'Union européenne et de l'espace Schengen, impose le contrôle de l'ensemble de ses frontières terrestres, qui s'étale sur environ 3.900 km. Annoncée par la ministre de l'Intérieur, Nancy Faeser, cette mesure, prise grâce à la nouvelle réforme du code Schengen adoptée en 2024, a pour but de contenir la recrudescence de la migration illégale en Allemagne, de lutter contre la criminalité transnationale organisée et de protéger le pays contre la menace terroriste. Cependant, malgré les motifs invoqués par Mme Faeser pour renforcer la sécurité nationale d'un pays "épuisé" par l'accueil des réfugiés, cette ordonnance restrictive suscite des critiques, tant à l'intérieur qu'auprès des pays voisins. Selon la presse locale et européenne, le régime frontalier imposé par le gouvernement fédéral allemand met à l'épreuve l'esprit fondateur de l'Union européenne (UE) et soulève des interrogations sur l'avenir de cet espace, en principe sans frontières. Cette décision, que le code Schengen n'admet que "en cas de menace pour la sécurité de l'Etat" ou "en réponse à des situations exceptionnelles", est perçue comme une atteinte à l'un des principes fondamentaux de l'UE : la libre circulation des biens et des personnes. Notifiée lundi dernier à la Commission européenne conformément au code de l'UE, cette mesure vise à répondre, selon Mme Faeser, aux récents incidents de violence et de criminalité liés aux couteaux, commis par des réfugiés, qui auraient "gravement affecté le sentiment de sécurité et la paix intérieure". Les ressources de l'Allemagne pour l'accueil et la prise en charge des réfugiés atteignent "les limites du supportable". Il faut éviter la "surcharge (...) Aucun Etat au monde ne peut accueillir indéfiniment des réfugiés", a précisé Mme Faeser. Bien que les arguments justifiant cette décision semblent légitimes, les réactions des pays voisins ont été immédiates après l'annonce. Le Premier ministre polonais, Donald Tusk, a qualifié ces mesures d'"inacceptables", appelant à un engagement renforcé pour la surveillance et la sécurisation des frontières extérieures de l'UE, notamment avec la Biélorussie, l'Ukraine et l'enclave russe de Kaliningrad. Il a annoncé, dans ce cadre, des consultations avec d'autres Etats concernés pour discuter d'une action commune à ce sujet. De son côté, le ministre de l'Intérieur autrichien, Gerhard Karner, a déclaré que son pays ne reprendrait pas les migrants refoulés par les autorités allemandes à la frontière. Cependant, il s'est dit "optimiste" que l'Allemagne aborde enfin ce qu'il considère comme un grand problème de la migration illégale en Europe. En réponse à ces critiques, le chancelier allemand Olaf Scholz, a défendu le renforcement des contrôles frontaliers en expliquant que d'autres pays de l'UE ne respectaient pas leurs obligations dans le cadre de la politique migratoire commune, notamment le système de Dublin. Première puissance économique du continent, l'Allemagne, située à la croisée de l'Europe occidentale et de l'Europe de l'Est, se retrouve désormais au cœur du débat sur l'avenir de la cohésion européenne. Alors que la pression migratoire et les préoccupations en matière de sécurité augmentent, plusieurs observateurs allemands redoutent un "effet domino" et la fin de "l'âge d'or" de l'espace Schengen. Ce régime restrictif pourrait inciter d'autres pays à adopter des mesures similaires, fragmentant davantage l'Europe et mettant en question l'utilité de son Union. La décision de l'Allemagne d'imposer des contrôles aux frontières, dans un contexte marqué par la montée des partis d'extrême droite, pourrait également encourager les eurosceptiques à remettre en cause l'intégration européenne ou être perçue comme une validation des arguments anti-européens, précise-t-on. Bien que l'impact pratique des contrôles reste à évaluer, depuis le 16 octobre 2023, la police fédérale a signalé environ 52.000 entrées illégales et 30.000 expulsions aux frontières avec la Pologne, la République tchèque, l'Autriche et la Suisse, selon Mme Faeser, qui vante l'efficacité de ces mesures. À la frontière terrestre avec l'Autriche, les contrôles sont actuellement prévus jusqu'au 11 novembre 2024, tandis qu'aux frontières avec la Suisse, la République tchèque et la Pologne, ils resteront en vigueur jusqu'au 15 décembre 2024. L'Allemagne n'est pas le seul pays européen à exercer des contrôles aux frontières internes de l'UE. Sept autres Etats Schengen, particulièrement touchés par le fléau de la migration, appliquent également des contrôles à leurs frontières. Il s'agit de l'Autriche, du Danemark, de la France, de l'Italie, de la Norvège, de la Slovénie et de la Suède.