Dès son intronisation, SM le Roi a placé l'Afrique subsaharienne au centre de la diplomatie du Royaume. Cheikh Tidiane Gadio, ancien ministre sénégalais des Affaires étrangères est le témoin du tropisme royal pour le voisinage subsaharien qui a permis au Maroc de devenir le premier investisseur africain en Afrique de l'Ouest en 25 ans. Entretien. * Durant le règne de SM le Roi, le Maroc s'est enraciné en Afrique subsaharienne, le Sénégal étant un pays pivot dans la région, les relations bilatérales ont connu un progrès sans précédent. Que retenez-vous de ces 25 dernières années ? Le Sénégal et le Maroc entretiennent des relations qui durent depuis des siècles. Lorsque j'en parlais avec mes amis Marocains, dont mon cher collègue, l'ancien ministre Mohammed Benaisa, nous nous félicitions d'une lune de miel qui dure depuis mille ans. Les deux pays ont pu, de tout temps, forger une relation particulière dont ils n'ont pas d'équivalent ailleurs. Sous les mandats des présidents Léopold Sédar Senghor et Abdou Diouf, les relations furent exceptionnelles. Lorsque j'ai eu l'honneur de servir sous le leadership du président Abdoulaye Wade , j'était témoin de son attachement aux relations avec le Maroc, dont il n'a pas touché au socle, bien qu'il fût de l'opposition. Le Maroc occupe toujours une place très spéciale dans le cœur des sénégalais pour plusieurs raisons historiques et religieuses. J'en cite l'attachement commun à l'héritage du rituel Tidjani... Sur le plan de la coopération économique, je trouvais quand je fut ministre qu'elle n'était pas à la hauteur du potentiel des deux pays sous le président Wade qui fut, je le rappelle, un économiste et connu pour sa passion pour la coopération sud-sud. C'est à cette époque que SM le Roi Mohammed VI fut intrônisé. On le voyait comme un monarque moderne connaissant parfaitement le monde et les enjeux du 21ème siècle. Dès lors, Sa Majesté et le président Wade ont insufflé une nouvelle dynamique dans la coopération bilatérale avec un tropisme remarquable pour le partenariat économique qui est devenu dès lors le moteur de nos relations. Les hommes d'affaires marocains ont commencé à investir au Sénégal surtout dans le secteur bancaire et celui des télécommunications. Les entreprises marocaines leur ont emboîté le pas en cherchant de plus en plus des opportunités d'investissement avec des réalisations concrètes. Je regrette que les entreprises sénégalaises n'aient pas fait de même. Je dis toujours à mes amis qu'on ne peut pas reprocher au Maroc d'avoir pris l'initiative. On doit se battre pour qu'on puisse aussi faire au Royaume ce que nos frères marocains font chez nous parce que nous sommes dans un partenariat gagnant-gagnant. Par ailleurs, notre coopération dépasse l'économie pour inclure également le domaine universitaire. N'oublions pas qu'il y a une grande communauté estudiantine marocaine au Sénégal et vice-versa. Grâce à l'impulsion royale, le Maroc a accordé beaucoup de bourses aux étudiants sénégalais, dont un grand nombre est formé au Maroc. Les gens ignorent souvent que ces derniers ramènent le pays de leurs études dans leur cœur quand ils reviennent à mère patrie et en deviennent les ambassadeurs.
Entre le Maroc le Sénégal, il y a une lune de miel qui dure depuis mille ans Sous le mandat du président Macky Sall, beaucoup de chantiers ont été lancés avec une forte attention pour la coopération économique. En vérité, j'ai toujours eu l'intime conviction que la préférence nationale doit être accompagnée de la préférence africaine. A mon avis, ces deux principes vont de pair. Quand il n'y a pas d'entreprises sénégalaises ou en état de satisfaire un appel d'offres, il faut accorder la priorité aux acteurs africains. Le même s'applique pour nos amis marocains. Au lieu d'aller des européens ou des asiatiques, mieux vaudra faire appel au savoir faire africain s'il y en a.
"J'ai toujours été persuadé que la préférence nationale doit être accompagnée de la préférence africaine"
* Le commerce intra-africain demeure très faible. Raison pour laquelle SM le Roi a proposé l'Initiative de la Façade Atlantique pour donner des débouchés commerciaux aux pays du Sahel. Qu'en pensez-vous ? Les échanges intra-africains sont malheureusement très faibles. Nous, les pays africains, avons eu des économies trop extraverties tournées plus vers l'Europe et l'Asie. Il est temps de changer de perspective. En investissant en Afrique subsaharienne, le Maroc a constaté que les pays de la région ne sont pas assez connectés par les infrastructures. Il n'y a pas assez de ports, de routes, ni de chemins de fer. C'est un véritable problème structurel auquel il faut remédier. Quand j'étais ministre, j'étais le témoin de cette ambition. L'idée de créer des connexions maritimes est bonne et tombe à point nommé compte tenu des difficultés de l'intégration maghrébine et l'échec dès les communautés régionales en Afrique, y compris la CEDEAO, qui, hélas, ne fonctionnent pas comme prévu. L'Atlantique est un vaste espace que nous n'avons pas encore exploré. Il offre une ouverture sur l'Amérique, y compris l'espace latino-amériocain et les caraibes. Aussi, l'Iniatitiave royale est une façon de donner une nouvelle vocation à l'atlanqtique qui avait, jusque-là, une connotation historique négative vu l'histoire tragique de l'esclavage européen vers l'Amérique. Je me rappelle que le président Wade avait écrit un projet de traité de l'Atlantique ouest destiné à promouvoir la coopération économique et militaire entre les pays africains du littoral atlantique. Mais, à l'époque ce projet fut accueilli avec réserve par plusieurs pays qui jugeaient cette initiative précoce.
"Je dis toujours à mes amis qu'on ne peut pas reprocher au Maroc d'avoir pris l'initiative.
* Pensez-vous que l'adhésion du Maroc à la CEDEAO n'est plus d'actualité maintenant qu'on parle d'un projet plus ambitieux ? Je trouve que le Maroc et les pays de la CEDEAO n'ont pas pris assez de temps pour étudier tous les aspects relatifs à l'adhésion du Royaume et les efforts d'harmonisation économique qui vont avec. Il y a beaucoup de questions qui devraient être tranchées comme celle de la monnaie. Vous n'êtes pas sans savoir que la CEDEAO est une union monétaire, ça n'a pas sens de demander au Maroc d'abandonner le dirham pour adopter le franc CFA ou l'Eco. Aussi faut-il un examen approfondi pour examiner l'harmonisation des cadres juridiques pour se conformer à l'union douanière. Personnellement, je trouve que l'adhésion du Maroc est souhaitable. Encore faut-il qu'elle soit assez bien préparée et étudiée pour qu'elle soit bénéfique à tout le monde. Là, il est indispensable de travailler sur la communication pour rassurer les Etats-membres et expliquer de façon circonstanciée les avantages de l'arrivée du Maroc.