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Le Western entre le style aquarelle et le style cactus
Publié dans L'opinion le 04 - 01 - 2010

On pourrait   noircir  des tonnes de papier et passer des heures et des heures à disserter sur le  western (américain, italien ou australien), il en resterait toujours des pans insondables de son histoire, de grandes portions occultées ou sous-analysées. Des milliers de films et  une ahurissante variété  de thèmes et d'approches. Ainsi, voulant éviter expressément  l'inévitable Sergio Leone  et sa célèbre trilogie qui nous renverrait au western spaghetti  avec ses  Django, Ringo et Trinita, tous venus  prendre la relève à un moment où le genre  était menacé de disparition, j'aimerais revenir à deux classiques de valeur contrastée: l'un signé Anthony Mann et qui s'intitule « L'Homme de l'Ouest »  et l'autre « La Charge héroïque  » de John Ford. On  les a choisis , par  plaisir de voir et de commenter.
 
MANN LE MAGNIFIQUE
Dans «The man of West», la camera interposée entre les différents protagonistes rend les séquences plus familières. C'est tellement vraisemblable (parce que non sophistiqué) et sobre que le spectateur croit faire partie  de ce groupe de desperados égarés  dans le  désert.  Dès les premières scènes, Mann nous livre la subtilité de son art: à l'arrivée du train  un plan fixe où la camera changeant de dénivelée  nous montre à l'autre bout et en perspective  des enfants qui sautillent de joie en voyant arriver le train. Un réalisateur moyen n'y penserait même pas. Autres subtilités, ne manquant pas de sel: la machine s'arrête et la fumée d'échappement couvre le quai mais Gary Cooper (Link Jones  dans le film) qui avait déjà rangé son pistolet dans son petit sac, renonçant à la vie cauchemardesque  du passé, garda le réflexe  de dégainer. Il recula instinctivement comme pour bondir sur un gros bison enragé. Ainsi, passant des espaces clos vers les grandes étendues terrestres, Anthony Mann devient, au fil des métrages, un  grand féru des extérieurs. Dans L'homme de l'Ouest la géologie des lieux enrichit le contenu du film. Les paysages abrupts et les personnages hirsutes  paraissant (malgré leurs dangereux antagonismes) jouir d'une parfaite symbiose avec le milieu environnant. Ce cinéaste qui a passé de longues années à faire des thrillers noirs aux plans serrés avant de se dévouer au cinéma des grands espaces qu'est le western a trouvé dans le cinémascope, une technique à sa convenance et une recette idoine pour ses alchimiques mises en scène: des collines en «v» élargi pleines de pierres et difficiles à arpenter, des  parcours sinueux qui, vus de loin, deviennent d'une picturalité attrayante. A travers tous ces ingrédients qu'un œil intelligent a pu rassembler, on trouve les virgules et les entre-guillemets d'un cinéma de grands maîtres. Ainsi, passant de la végétation luxuriante de la vallée où les bandits ont trouvé refuge au village abandonné, milieu austère sans verdure et dépeuplé, Mann nous présente les deux facettes de ce mythique Far-West. D'une part, on a l'opulence et de l'autre, la disette et les violences qu'elle provoque. Entre ces deux extrêmes, un homme solitaire qui a trouvé une étrange compagnie avec deux forains, dont une jeune femme blonde, exécute ce qui est écrit par le destin. Anthony Mann a fait le bon choix en confiant le premier rôle à Gary Cooper. Cet acteur est d'une prestance inouïe. Pas de précipitation et de frivolité. Dans le film il joue simple sans maniérisme ni gestuel ni langagier. Il parle peu et il rit peu alors que Lee J. Cobb son vis-à-vis s'y adonne en brechtien et à l'excès comme pour extérioriser la morbide angoisse qui le ronge de l'intérieur dans  son rôle de chef détraqué d'une bande de hors-la-loi. On entend de loin son fulminant délire. Mann en a décidé ainsi. Il pourrait le faire taire s'il le voulait, mais il cherchait une opposition de caractères comme un eisensteinien convaincu du résultat à obtenir. Au fil des images,  l'évolution dramatique finit par peser sur l'héros principal qui fut contraint de sortir de ses gonds pour défendre  sa dignité  et celle de la malheureuse femme captive. La vengeance prend le dessus. La bagarre avec le bandit qui avait obligé cette femme  (Julie London) à se déshabiller a fini par la même humiliation. Cooper déshabilla le bandit vaincu. Cette bestialité doublement partagée obéissant à une pulsion  obsessionnelle est le leitmotiv de presque tous les films westerns où parfois en s'entretue pour rien. Celle de Cooper semblait justifiée. D'abord il devrait sortir de la prison où il s'était engouffré malencontreusement, ensuite il devrait, en bon combattant, mettre un terme à la sauvagerie de ces bandits. On était tellement emporté par le récit que l'on avait oublié l'âge des deux protagonistes principaux à savoir Cooper et Cobb car dans le film l'un est supposé être le neveu  de l'autre. Si les maquilleurs qui travaillaient avec Mann dans ce film avaient teint en noir les cheveux de Cooper ou avaient mis une perruque on aurait servi la vérité scénaristique  mais pas le film car Gary Cooper en serait totalement défiguré.   
Emil Anthon  Bundmann a fait du théâtre avant de devenir cinéaste. David O. Selznik le producteur du film «Autant en emporte le vent» l'intègre dans l'équipe de tournage. Il réalisa quelques films de série B. Mais le cycle des westerns qu'il entama au début des années 50 avec «Les  Furies» et  «Winchester 73»  a donné le Mann que nous connaissons. Cette filmographie assez consistante comprend entre autres: «Les affameurs» (Bent of the rive), «l'Appât» (The naked spur), «Je suis un aventurier» (The far country), «L'homme de la plaine» (The man of Laramie), «La charge des tuniques bleues» (The last frontier), «Du Sang dans le désert» ( The Tin star) , «l'Homme de l'Ouest» (The man of West), «La ruée vers l'Ouest» (Cimarron). A travers cette production deux acteurs se démarquent: James Stewart et Gary Cooper. «L'homme de l'Ouest» semble se détacher du lot. Le film a fait couler beaucoup d'encre. Godart dans le numéro  92 des Cahiers de Cinéma lui consacra un article on ne peut plus élogieux: «Je n'ai jamais rien vu d'aussi neuf depuis…pourquoi pas  Griffith» écrivait-il. «Tout comme le metteur en scène de «Naissance d'une nation» donnait  à chaque plan l'impression de réinventer le cinéma, chaque plan de L'homme de l'Ouest  donne l'impression qu'Anthony Mann réinvente le western».
Moi, je dirais qu'il avait beaucoup d'intelligence dans le regard. Il visualisait vite et juste.
 
FORD: DE L'AQUARELLE DANS LES SEQUENCES, MAIS…
Avant «La charge héroïque», John Ford a réalisé plus de 17 films westerns. Ce film est le deuxième de la trilogie sur la cavalerie militaire (à compléter par «Le Massacre du Fort Apache» et «Rio Grande»). Ce cinéaste d'origine irlandaise dont on disait qu'il manifestait de la sympathie envers les indiens d'Amérique, n'était pas non plus contre l'expansion nordiste. Le taux d'apparition des Yankees dans ses films est nettement supérieur à celui qu'il réserve aux apaches. Pour réaliser ce film, Ford s'est inspiré des oeuvres picturales de deux peintres qui se sont intéressés à la vie des cow-boys et des indiens: Frederick Remington et Charles Russell. A propos de cette collaboration artistique Ford a déclaré dans l'entretien accordé au critique américain Peter Bogdanovich: «Dans La Charge héroïque, j'ai essayé de copier le style de Remington. Il est difficile de le copier a 100%, mais j'ai au moins essayé d'obtenir sa couleur et son mouvement. Je crois avoir partiellement réussi».
Mais outre la plasticité des images ainsi obtenues, le film est d'une faible intrigue car on connaissait la fin dès la première bobine. Les apaches seront chassés de leur territoire. Même dans le Fort où sont rassemblés les soldats, il n'y a pas de rebondissements qui puissent captiver le regard. A part l'intrusion féminine qui comme on pouvait s'y attendre créa la zizanie entre deux soldats émules, il n y avait rien de fantastique, d'inattendu et de surprenant. Par contre dans le film d'Anthony Mann que l'on a présenté précédemment il y a plein de surprises. Avec Mann la dramatisation suit une courbe ascendante, avec Ford on sent qu'on est convié à un carnaval. Ford aime les costumes militaires, c'est un fait indéniable, mais axer toute la production à les exhiber devient du remplissage. D'ailleurs  sur ce registre le film d'Andrew Mc Laglen «Les géants de l'Ouest» (The Undefeated ) où John Wayne et Rock Hudson partagent la même affiche nous en montre tout un festival. En plus des tenues spécifiques des nordiques et sudistes qui s'affrontaient (La guerre de Sécession) il y avait celles que portaient les mexicains et les colons français. Bref, Si l'on soustrayait du film les plans filmés  à l'intérieur de la caserne le tout se réduirait à un long défilé de tuniques bleues intercepté d'une petite  parade colorée de «peaux rouges» avec leur  coiffure de plumes qui les distinguaient. Un film plus hippique qu'historique. La région de Monument Valley lui sert de champs de course. L'histoire du film comparée à celle qu'Anthony Mann a transposée  dans «L'homme de l'Ouest» n'est pas assez fameuse. Certes on le considère comme un classique parce que techniquement le film est bien travaillé. Et les images sont belles parce que le site de tournage les a rendues esthétiques. Peut-être les armoiries militaires US y trouveraient, par nostalgie, quelques petites jouissances. Mais il ne faudrait pas oublier qu'à la sortie du film, certains critiques de cinéma ont  taxé Ford de militariste. Même le titre original du film trouvé  par hasard est loin de ce qu'on pouvait imaginer. Ford qui n'a pas suivi de formation musicale mais qui aime le negro-spiritual et la musique country a choisi un refrain d'une chanson.
«Around her hair she wore a yellow ribbon
She wore it in the springtime
In the merry month of May
And if you ask her why the heck she wore it
She wore it for her soldier who was far far away».
Le titre du film devint alors «She wore a yellow ribbon» (Elle portait un ruban jaune). Le monde francophone diffusa le film sous le titre: «La charge héroïque». 
On aimerait revenir à cette fameuse Vallée si reconnaissable par ses  rochers rougeoyants et qui avait servi de décor naturel à de nombreuses superproductions. L'une des toutes belles scènes que Ford y avait  tournées reste celle de la marche de l'escadron sous l'orage. Ford, ripostant à ceux qui pensaient qu'il avait retravaillé ce plan, affirma  que l'orage n'était  pas prévu par le scénario. Mais en revoyant le film, l'on remarque tout de même que dans le fourgon  transportant le soldat blessé le reflet de la foudre sur les visages c'était  plus du sun-light que le reflet naturel du tonnere.
Le vrai nom de ce réalisateur est difficile à prononcer: Sean Aloysius 0' Feeney. A l'âge de quatorze ans il était coursier livreur pour une fabrique de chaussures. Il quitta l'Irlande  pour rejoindre son frère Francis à Hollywood. Aidé par ce dernier, il imagina quelques scénarios qu'il signait du pseudonyme Jack Ford. Après l'assistanat, il devint réalisateur et passa la période de transition muet/parlant sans handicap. Bientôt il va devenir l'un des réalisateurs les plus prolixes de sa génération. Au moment où les USA sont entrés en guerre contre les nazis Ford était enrôlé par l'US-Navy. Il réalisa plusieurs documentaires sur l'armée. Blessé, il est démobilisé avec le galon de vice-amiral. Au cours du combat, il a perdu un oeil mais cela ne l'a pas empêché de retrouver le viseur du cinéaste. C'est dans la période de l'après-guerre qu'il réalisa la trilogie précitée ainsi que d'autres films pour lesquels il a eu des oscars comme «Qu'elle est verte ma vallée» et «L'homme tranquille». Plusieurs fois décoré, il ne trouva à la fin de sa carrière aucun producteur pour continuer à filmer. Il devint un conférencier itinérant, se déplaçant d'université en université pour parler du cinéma. Ces conférences étaient étayées d'anecdotes tirées de son expérience personnelle. L'une d'elles concernait les péripéties de tournage du film «La charge héroïque». Ford avait institué une  pénalité d'un demi dollar pour tout membre de l'équipe qui ose parler du film au moment où on était à table pour manger. Comme il y avait des bouffeurs verbeux , il a pu rassembler une sacrée somme qu'il avait remise comme don à une paroisse.
La phrase qu'il répétait souvent au tournage, et ceci quelque soit la star qu'il fut appelé à diriger (John Wayne, Katharine Hepburn, Clark Gable, James Stewart, Henry Fonda) était: « C'est OK, mais il faut mieux faire».


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