On a pris la coutume récemment d'employer le terme "dronisation" en allusion à l'engouement des Forces Armées Royales pour les drones dont elles se sont équipées massivement ces derniers temps par souci de s'adapter à l'évolution de la guerre moderne. Maintenant, on peut parler d'une dronisation industrielle avec le démarrage annoncé de la fabrication locale. Le Maroc, très désireux de forger sa propre industrie militaire, a les yeux rivés sur les drones. La technologie israélienne est vivement sollicitée. Les fabricants israéliens seraient d'ores et déjà à l'œuvre, à en croire les indiscrétions médiatiques en provenance de l'Etat hébreu. Cité par le média espagnol Zona Militar, le PDG de la société israélienne Bluebird Aero Systems, Ronen Nadir, a déclaré que son groupe avait déjà mis en place l'usine de production locale qui démarrera ses activités "dans un avenir proche". En fait, la société israélienne susmentionnée connaît si bien le terrain marocain, pour autant qu'elle y a testé avec succès son drone kamikaze Spy X. En mars dernier, la société a diffusé dans une vidéo l'expérimentation des drones qui ont fait leur preuve. Sur le territoire du Royaume, ce drone israélien a été déployé lors d'une mission expérimentale qui consiste à percuter un véhicule blindé hors service, de type Ratel IFV, appartenant aux Forces Armées Royales. Ce test s'est soldé par un succès opérationnel puisque le drone a atteint sa cible et a percuté le véhicule blindé, en provoquant une déflagration. Conçu pour des missions de reconnaissance et d'attaque, ce drone est doté d'une portée de 50 kilomètres et peut être déployé pendant une heure et demie. Sa portée et son autonomie procurent plusieurs avantages opérationnels grâce à son système de détection de cible. Cet aéronef est capable également de frapper ses cibles à une vitesse de 250 kilomètres par heure. Le Maroc attache beaucoup d'importance aux drones dont les Forces Armées Royales se sont équipées de façon considérable ces dernières années. Le Royaume a d'ores et déjà affiché son ambition de développer la fabrication locale. C'est ce qu'avait déclaré au Parlement, en novembre 2022, le ministre délégué auprès du chef du gouvernement, chargé de l'Administration de la Défense nationale, Abdellatif Loudiyi, lors de la discussion du budget de la Défense à la Chambre des Représentants. Il avait annoncé que le Maroc allait se lancer dans la fabrication des drones. Une démarche qui s'inscrit dans le cadre de l'industrialisation militaire du Royaume.
Ce que prévoit le cadre légal Actuellement, toutes les conditions sont réunies pour commencer cette aventure industrielle sachant que le cadre juridique a été mis en place en 2021 avec l'adoption de la loi n°10-20 relative aux matériels et équipements de défense et de sécurité, aux armes et aux munitions. Une loi dont le décret d'application est aussi d'ores et déjà adopté. Le texte, rappelons-le, encadre la fabrication, le commerce, l'importation, l'exportation et le transport du matériel militaire, qu'il s'agisse d'armes, de munitions ou d'autres types d'équipement. En vertu de cette loi, le Maroc s'octroie la possibilité d'accorder des licences aux fabricants d'armes pour installer des activités sur le sol national. A travers cela, le Royaume veut développer plusieurs types d'industrie, dont celles des armes et des munitions, et de la maintenance des avions militaires.
Octroi des licences : Modus operandi Le plus important est que le cadre juridique régit de façon claire l'octroi des modalités des licences de fabrication qui est du ressort d'une "commission nationale". Il lui incombe d'étudier et d'octroyer les autorisations de se lancer dans des projets industriels à caractère militaire aux sociétés qui en font la demande comme, en l'occurrence, c'est le cas de Bluebird Aero Systems. La procédure prévoit que la société intéressée doit impérativement démontrer la faisabilité de son projet industriel aux niveaux technique, financier et économique. A noter que les sociétés autorisées obtiennent une licence d'une validité de dix ans. Il leur incombe de fournir à l'Administration de la Défense nationale un rapport d'activité semestriel. Du côté israélien, il y a une volonté d'accompagner le Royaume dans son ambition de devenir un hub régional en matière d'industrie de défense. Israël, rappelons-le, y est d'ores et déjà engagé en vertu de l'accord relatif à la coopération militaire et sécuritaire, signé le 24 novembre 2021, lors de la visite de l'ancien ministre israélien de la Défense, et actuel membre du Cabinet de guerre, Benny Gantz, au Royaume. Cet accord est global puisqu'il comprend tous les aspects de la coopération militaire. Renseignement, contrats d'armement, formation conjointe, coopération industrielle, tout y est inclus.
Un processus irréversible Le Maroc est un client assidu des constructeurs israéliens. En vertu de l'accord de coopération militaire, signé en 2021, le Royaume devrait abriter une partie de la chaîne de production de certains drones sur son son sol. La signature de cet accord, qualifié d'historique à la fois au Maroc et à l'étranger, a ouvert le champ à l'accélération de la "dronisation des Forces Royales Air", très intéressées par la technologie israélienne, l'une des meilleures au monde en termes de sophistication. Depuis lors, le Royaume a multiplié les commandes auprès des constructeurs israéliens de drones de combat en achetant les "Herms 900", les "IAI Heron" et les "IAI Harop". Toutefois, Israël n'est pas le fournisseur exclusif des FAR qui ont diversifié leurs partenaires, dont la Chine qui a livré au Royaume les drones "Wing Loong II", d'ores et déjà en service. Pour sa part, la Turquie devient progressivement un fournisseur important vu sa montée en puissance dans ce segment. Ankara a vendu au Maroc ses fameux drones " Bayraktar TB2" dont l'efficacité ne souffre pas l'ombre d'un doute après leur succès dans la guerre du Haut Karabakh et sur le front russo-ukrainien. Un choix assumé Le choix de la dronisation n'est pas fortuit, c'est devenu une exigence dans un monde où les théâtres d'opérations sont de plus en plus robotisés comme on s'en aperçoit en Ukraine où l'usage massif des drones peut aider à tenir toute une ligne de front. La montée en puissance du Maroc dans ce domaine est désormais une réalité. En témoignent les chiffres dévoilés par un récent rapport de "Military Africa", selon lequel les FAR auraient acquis plus de 233 appareils sans pilotes, tous types confondus. Ce qui fait du Royaume, selon la même source, la deuxième armée la plus dronisée en Afrique, derrière l'Egypte et devant le Nigeria qui occupe la troisième place avec 177 drones. L'Algérie, pour sa part, se positionne, selon le rapport, dans le cinquième rang à l'échelle africaine avec 121 aéronefs. Le Maroc renforce sa flotte de drones dans un contexte particulier où les pays africains se ruent vers ces nouvelles technologies très économes en vies humaines lors des conflits armés et très redoutables dans les opérations avec une efficacité quasiment garantie. Le rapport fait état d'un engouement des pays africains dont les contrats d'achat ont quadruplé. Pour ce qui est des fournisseurs, la Chine profite bien de cet engouement en étant le premier fournisseur de drones au continent avec 400 pièces vendues. Vient ensuite Israël qui a fourni 309 appareils devant les Etats qui en ont exporté 227. Force est de constater que les exportations africaines de l'Etat hébreu sont très concentrées sur le Maroc qui demeure l'un des clients de premier plan dans le continent.