En dépit des récentes précipitations enregistrées au niveau national, la sévère canicule qui sévit par la suite remet en point d'interrogation les résultats attendus de la saison agricole 2023-2024. Après des pluies salvatrices qui ont touché plusieurs régions du Royaume, une hausse inhabituelle des températures a pris le pas pendant la première moitié du mois d'avril, au risque de malmener les espoirs des agriculteurs marocains. « Nous avons effectivement eu un épisode important de pluies, mais la canicule qui s'en est suivie était intense, en témoigne le grand nombre de paysages modifiés en un peu plus d'une semaine », commente Rachid Benali, président de la Confédération Marocaine de l'Agriculture et du Développement Rural (COMADER), évoquant un phénomène qui s'inscrit dans le cadre des impacts du changement climatique touchant la région de la Méditerranée occidentale de plein fouet. « Il y a quelques années, on pouvait par exemple essayer de s'adapter au décalage de la période des pluies d'une culture en modifiant les dates du début et de la fin du cycle agricole. Or, nous sommes aujourd'hui face à des fluctuations météorologiques très brusques qui sont souvent fatales pour les plantes dont la physiologie est calée sur des cycles habituellement réguliers », poursuit la même source.
Des cultures en interrogation Concernant la production céréalière par exemple, le président de la COMADER estime que les zones de production situées au Nord de Casablanca ont enregistré une bonne croissance. « Pour le reste des régions, plus au Sud, les agriculteurs - qui cultivent les céréales, les légumineuses et les oléagineuses - constatent que la production ne sera pas au rendez-vous. A noter que même pour les zones qui ont bénéficié des pluies, la production n'est pas encore garantie, car il faudra encore attendre de voir comment la météorologie évoluera prochainement », explique Rachid Benali. Concernant les cultures printanières, notre interlocuteur évoque un impact positif pour « la majorité de l'arboriculture, sachant que les filières de l'olivier et des agrumes sont encore en point d'interrogation et restent tributaires d'une météorologie devenue imprévisible ». Les récentes pluies ont cependant impacté positivement le secteur de l'élevage, puisque le développement du couvert végétal permettra à un grand nombre d'éleveurs d'économiser les charges liées au fourrage et à l'alimentation du bétail.
Ajustement des cultures printanières
Dans un récent communiqué, la Direction Régionale de l'agriculture (DRA) de Rabat-Salé-Kénitra évoque un renforcement du programme des cultures printanières, « avec des projections de superficies importantes, à savoir 1.600 hectares pour les céréales de printemps, incluant le maïs grain, 19.580 hectares pour les légumineuses alimentaires, essentielles pour la sécurité alimentaire régionale, 19.300 hectares pour les cultures fourragères, principalement le maïs ensilage, 22.250 hectares pour les cultures oléagineuses, contribuant à la production d'huiles végétales et 11.000 hectares pour le maraîchage de printemps, composé principalement de l'oignon, de la tomate, de la courge et de la courgette ». Dans la zone fertile du Gharb, « un effort conséquent est déployé pour cultiver des légumes printaniers sur une superficie de 11.000 hectares », ajoute le communiqué, soulignant que « ces cultures maraîchères de printemps visent à répondre aux besoins locaux en produits frais, tout en contribuant à l'approvisionnement du marché national pendant la période estivale, offrant ainsi une double opportunité pour les agriculteurs et les consommateurs ».
Automne, hiver et printemps
« Les efforts des agriculteurs, soutenus par l'appui, l'accompagnement et une coordination étroite entre les différents services du département de l'Agriculture au niveau régional, ont permis de réaliser les programmes des cultures d'automne et d'hiver avec succès », estime par ailleurs la Direction évoquant une campagne agricole qui « témoigne de l'engagement et de la résilience des agriculteurs de la région de Rabat-Salé-Kénitra face aux défis climatiques et économiques ». D'autre part, la Direction Régionale de l'Agriculture (DRA) de Rabat-Salé-Kénitra n'a pas manqué de souligner que les précipitations enregistrées lors de l'actuelle campagne agricole ont également contribué à l'amélioration de l'état des cultures fourragères au niveau des zones irriguées et Bour. « Les ressources fourragères disponibles, notamment le maïs, le bersim et la luzerne, vont également contribuer à assurer une bonne performance de production du lait et des viandes rouges », rassure le communiqué.
Omar ASSIF 3 questions à Redouane Choukr-Allah, expert en agriculture durable « Il faudrait idéalement centraliser la question du dessalement à travers une structure dédiée à orienter les diverses parties prenantes» * Quelle est votre perspective sur l'impact des récentes pluies sur la filière de maraîchage ? - Le maraîchage ne dépend pas directement des pluies, mais plutôt des irrigations. Il convient également de noter que la plus grande part du maraîchage au niveau national provient de la région d'Agadir, qui est actuellement dans une situation très critique. Pour illustrer : même les agrumes sont actuellement en point d'interrogation dans cette zone. Beaucoup de producteurs sont actuellement en train de vendre leurs exploitations alors que d'autres abandonnent... Soit l'eau n'est plus disponible, soit elle n'est plus suffisante. Dans la région du Haouz également. Tout ce qui est maraîchage et arbres fruitiers, a dépendu durant ces dernières années des prélèvements de la nappe phréatique, et on a trop pompé...
* Cette situation impose-t-elle de repenser le modèle agricole dans le Souss-Massa ? - Si la tendance pluviométrique de ces dernières années continue, il faudra certainement le faire. Espérons cependant que l'année prochaine sera clémente en termes de pluies. D'autre part, il faut noter que la sonnette d'alarme à Souss-Massa a retenti, il y a déjà plus de 24 ans. Il est plus que temps d'arrêter l'anarchie du pompage excessif, car il faut des années, parfois des siècles, pour reconstituer une nappe. Pourtant, le Souss a été la première région à opter pour un contrat de nappe pour éviter justement ce genre de problématiques. Malheureusement, ce contrat n'a jamais été réellement appliqué.
* Le dessalement de l'eau de mer permettra-t-il de garantir l'apport nécessaire en eau d'irrigation dans cette région ? - Le dessalement est une solution pour certains agriculteurs de culture « à haute valeur ajoutée ». Cela dit, le dessalement n'est pas la solution miracle. Le pire, c'est que nous voyons actuellement plusieurs intervenants différents en train d'investir dans le dessalement, or, le dessalement doit se faire dans les règles de l'art, autrement on aura tôt ou tard des systèmes qui ne marcheront pas. Je pense qu'il faudrait idéalement centraliser la question du dessalement à travers une structure dédiée à orienter les diverses parties prenantes vers les technologies les mieux adaptées à chaque cas et à chaque besoin. Il faut également apprendre des erreurs d'autres pays qui nous ont précédés dans l'utilisation de cette technologie. N'oublions pas qu'il y a également le traitement des eaux usées qui coûte 5 fois moins cher, au moins pour l'arboriculture et la culture du fourrage. Précipitations : Les taux de remplissage des barrages remontent progressivement Selon les données disponibles dans le site Maadialna.ma du ministère de l'Equipement et de l'Eau, la situation des barrages au 14 avril 2024 indique que le taux moyen de remplissage a atteint 32.85% contre 33.85% durant la même période en 2023. Ainsi, ces pluies de printemps ont été largement bénéfiques pour les barrages, dont six affichent désormais un taux de remplissage de 100%, tandis que 17 autres ont vu leur stock d'eau dépasser les 50%. Dans le détail, les hausses les plus significatives ont été enregistrées dans la région du Nord qui a connu des précipitations importantes durant ces dernières semaines. Il est à noter que ce niveau total de remplissage a atteint son plus bas niveau le 9 février, se situant à 22,85% avant de s'améliorer légèrement suite aux précipitations enregistrées au cours du mois de mars. En deux mois, les réserves d'eau ont connu une légère hausse de quelques points, ravivant l'espoir quant au fait d'atténuer la gravité du stress hydrique que connaît le Royaume. Céréales : Production nationale au plus bas depuis 1981 Les récentes précipitations ont apporté un souffle d'espoir aux agriculteurs marocains, touchant toutes les régions agricoles du Royaume. Cependant, la situation varie selon les zones et les cultures, avec des résultats plutôt mitigés pour la céréaliculture. Si les pluies ont favorisé la croissance des cultures céréalières dans les régions Nord, le blé peine à atteindre sa taille normale dans la plupart des champs situés au Sud de Rabat-Salé. Dans une déclaration à l'Agence Efe, Abdelkader Alaoui, président de la Fédération marocaine des minoteries, a souligné que la production nationale de céréales est au plus bas depuis 1981, conduisant à une augmentation exceptionnelle des importations. Au cours de la saison 2022/2023, les importations de céréales ont atteint 8,8 millions de tonnes, contre 7,8 millions de tonnes l'année précédente. Ainsi, en 2023, le Maroc a importé 4.758.263 tonnes de blé tendre, comparativement à 5.275.917 tonnes en 2022. Pour sa part, le wali de Bank Al Maghrib, Abdellatif Jouahri, a évoqué une baisse significative de la moisson due à la diminution des précipitations et aux conditions climatiques défavorables. La superficie cultivée actuellement en céréales est estimée à 2,5 millions d'hectares, contre près de 3,7 millions l'année précédente. Pour compenser la faible production nationale, le Royaume prévoit d'importer environ 10 millions de tonnes de blé cette année, alors que la production nationale devrait atteindre à peine 2,5 millions de tonnes au cours de cette campagne agricole.