L'hospitalisation d'un enfant à Béni Mellal après l'attaque d'un chien errant a ravivé la polémique sur ce phénomène qui fait rage. Dans plusieurs villes du Royaume, la lutte contre ce phénomène est montée au top des priorités, surtout avec l'approche d'importantes échéances internationales comme la CAN 2025 et la Coupe du Monde 2030. « Ces chiens sont comme ma famille. Je ne peux pas les laisser souffrir de faim » ! Dans le beau quartier administratif de Rabat, en plein milieu des établissements ministériels, une dame, au visage ridé et aux mains sèches par le poids des années, prépare méticuleusement des repas pour les chiens et chats qui errent dans les rues de son quartier. Assise sur une vielle caisse à légumes en bois usé par le temps, « mi Fatima », comme l'appellent affectueusement les habitants du quartier, dispose devant elle une série de bols en plastique remplis de riz, de restes de poulet et quelques légumes. Son regard bienveillant parcourt la rue, à la recherche des fidèles compagnons à quatre pattes qui, chaque jour à 21h pile, attendent impatiemment leur repas. « Ce n'est pas juste une question de nourriture. C'est aussi de l'amour et de l'attention dont ces animaux ont besoin », nous déclare-t-elle le sourire au visage. Sauf que les voisins ne sont pas tous d'accord avec les actions de Fatima. Dans le quartier, le nombre de chiens sans collier ne fait qu'augmenter, crispant et suscitant la méfiance des passants. « Pour l'instant, aucun incident n'a été rapporté dans cette zone, mais nous voyons tous sur les réseaux sociaux de quoi ces chiens sont-ils capables », commente une voisine de Fatima, qui est même allée jusqu'à notifier les autorités locales.
A Casablanca, ça bouge ! En effet, certaines régions du Royaume ont vécu des scènes tragiques à cause des chiens errants. L'événement ayant suscité le plus de polémique est celui de la mort d'une touriste française, Sophie Hamada, en août 2022, après être attaquée par une meute de chiens errants dans la commune d'El Argoub, située dans la région de Dakhla. Depuis lors, les autorités marocaines ont doublé les efforts pour lutter contre le phénomène, qui est monté au top des priorités de certaines mairies à cause de la multiplication des plaintes. De plus, la lutte contre les sans collier devient encore plus urgente à l'approche d'importantes échéances internationales, notamment la Coupe d'Afrique des Nations 2025 et particulièrement la Coupe du Monde 2030. Au moment où l'Etat mobilise tous les moyens, humains et financiers, pour mettre à niveau les infrastructures sportives et routières du Royaume, des efforts d'autant plus importants devraient être fournis pour gérer ces chiens errants qui constituent un danger pour la sécurité et la santé publique, mais qui demeurent tout de même des êtres fragiles méritant de vivre sereinement. Dans cet ordre d'idée, la ville de Casablanca, qui compte accueillir des dizaines de milliers de supporters, de touristes et d'hommes d'affaires dans les années à venir, s'y prend dès aujourd'hui. D'ailleurs, la maire de la capitale économique du pays, Nabila Rmili, fait face à la plainte d'une citoyenne qui a été attaquée en août par une meute de chiens. La plaignante exige des indemnités de 100.000 dhs, apprend-on de son avocat, qui appelle à prendre des mesures drastiques pour en finir avec cette menace grandissante. « Nous avons établi un diagnostic de la situation au niveau du Grand Casablanca, et nous avons constaté que la majorité des chiens errants proviennent des périphéries, notamment Médiouna, Nouaceur, Bouskoura, etc. », nous indique Moulay Ahmed Afilal, membre du Conseil de la ville, ajoutant qu'ils ont confié la mission de « la gestion des chiens errants » à Casa Baïa, une des sociétés de développement local (SDL) opérant à Casablanca. L'année dernière, une polémique avait explosé à Mohammedia sur la manière dont la SDL gère le phénomène, l'accusant de tuer les chiens au lieu d'appliquer les dispositions de la convention signée en 2019 par le ministère de l'Intérieur, le ministère de la Santé, l'Office national de sécurité sanitaire des produits alimentaires (ONSSA) et l'Ordre national des vétérinaires favorisant l'usage TNVR, acronyme de Trap, Neuter, Vaccinate, Return (capturer, stériliser, vacciner, relâcher). Des allégations rejetées par nos sources au sein de Casa Baïa, qui affirment que tous les chiens errants sont capturés, puis mis dans une fourrière, « en attendant la construction et l'aménagement d'un refuge pour animaux ». Dans ce sens, Moulay Ahmed Afilal rassure que « la construction du refuge se déroule dans les normes », assurant que le Conseil de la ville a invité les associations de protection des animaux à inspecter les lieux qui seraient conformes aux normes requises. Concernant les interventions de Casa Baïa, qui, selon Rmili, ramasserait près de 250.000 chiens errants par an, l'élu affirme que les consignes sont claires : attraper le chien errant, le stériliser et le vacciner contre la rage, puis le relâcher dans un milieu protégé, loin de la population.
Au Sud du Maroc, ça chauffe... Un peu plus loin, au Sud du Royaume, précisément à Agadir, la situation est beaucoup plus délicate pour les chiens errants. Sur les trottoirs ou à la plage, il est impossible de passer à côté. Les chiens se reproduisent, se regroupent en meutes et font parfois leur loi, suscitant une large grogne des habitants, au point d'engendrer une réaction féroce des autorités locales. « Sur le terrain, le passage des fusillades aux empoisonnements est devenu prépondérant », nous confie Lucy Austin, fondatrice de l'association « Morocco Animal Aid », soulignant que ces abattages se poursuivent sans contrôle, en toute impunité. « Il y a quelques semaines, à Taghazout, des chiens ont été laissés à l'agonie en plein jour après que du poison ait été laissé dans les rues pendant la nuit. Les rapports faisant état d'empoisonnements récents dans la région de Marrakech-Safi ne font que souligner l'urgence de s'attaquer à ce problème », déclare cette volontaire au sein de l'association, qui vient de publier un communiqué alarmant, appelant à la solidarité nationale envers ces animaux. Nous avons tenté de joindre les autorités de la région, mais en vain. Pour Fanny Belle, fondatrice-partenaire de la même association, l'abattage reste pourtant « inefficace, même contre-productif. Il réduit, sur le coup, la population canine mais ne donne aucun résultat à long terme. Les chiens se reproduisent vite et une autre génération remplacera l'ancienne ». Cette défenseuse des droits des animaux plaide ainsi pour l'approche scientifique et compatissante du TNVR, qui a fait ses preuves dans plusieurs pays, dont la Turquie. « Dans le cadre de notre programme NoMad, plus de 1.500 chiens stérilisés, vaccinés et réintroduits sur leur territoire, luttant ainsi contre la propagation de virus mortels, notamment la rage, et atténuant efficacement les risques pour les populations humaines », nous dévoile Lucy Austin. L'ONG s'est récemment associée à l'Alliance mondiale pour le contrôle de la rage (GARC) pour mettre en œuvre la toute première enquête épidémiologique sur les chiens de rue au Maroc. « Le bulletin épidémiologique de GARC nous permet de marquer les cas suspects de rage et de les partager avec les populations locales, en veillant à ce que toute personne exposée à la maladie puisse bénéficier d'une attention médicale immédiate », précise la fondatrice, notant que ce genre d'opérations implique, cependant, de grandes sommes, que les associations ne peuvent pas mobiliser. Le gouvernement, à travers le ministère de l'Intérieur, s'est engagé à lutter contre le phénomène des chiens errants, en utilisant des méthodes plus humaines, interdisant aux communes d'utiliser les armes à feu et les substances toxiques contre les chiens errants. Une initiative qui symbolise un premier pas vers une éventuelle législation claire et précise, prenant en compte le bien-être animal. Trois questions à Lucy Austin : « L'abattage des chiens errants est contre-productif » * Les chiens errants représentent un danger pour la santé et la sécurité publiques. Ne faudrait-il pas prendre des mesures drastiques pour mettre fin à cette problématique une fois pour toutes ? - Eliminer la rage chez les chiens par la vaccination est la solution la plus économique et la seule solution à long terme. Selon l'OMS, vacciner plus de 70% des chiens dans les zones d'endémie interrompt le cycle de transmission de la rage et prévient la survenue de cas chez les chiens et chez les humains. Néanmoins, l'abattage est l'approche prédominante au Maroc pour faire face aux problèmes posés par les populations de chiens errants, ceci malgré son caractère inhumain et ses résultats contre-productifs. Ce qui constituerait un changement radical, c'est que le gouvernement alloue des fonds aux programmes de piégeage, stérilisation, vaccination et restitution (TNVR). Les autorités pourraient faire une réelle différence en travaillant avec des organisations comme la nôtre. Les initiatives éducatives locales visant à sensibiliser et à encourager l'engagement de la communauté en sont un exemple. Cette approche holistique pourrait faire du Maroc le premier pays d'Afrique à se débarrasser de la rage.
* Ne pensez-vous pas qu'il faut un travail de sensibilisation auprès des populations ? - Le soutien et la participation active de nos communautés locales sont essentiels à notre travail. Notre vision est de favoriser une communauté prospère où les humains et les animaux coexistent harmonieusement, en préservant le bien-être des animaux négligés. Cette vision trouve un écho profond non seulement au sein de nos communautés locales, mais aussi au niveau international, car elle incarne les principes universels de compassion qui nous unissent en tant que société mondiale. Aujourd'hui, nous disposons d'une équipe dévouée de 20 employés marocains et d'une douzaine de bénévoles internationaux. Cette transformation témoigne d'un changement d'attitude au sein de nos communautés et d'une grande remise en question des stéréotypes.
* Existe-t-il des solutions dites « soft » pour protéger efficacement ces chiens errants ? - Une combinaison de programmes d'adoption, d'initiatives de stérilisation et de vaccination, d'éducation du public, de collaboration avec des organisations de protection des animaux, d'application des lois sur la protection des animaux et des droits de l'enfant pourrait contribuer à la résolution du problème. Ces solutions placent le bien-être des animaux et des communautés au premier plan et visent à créer une société plus compatissante pour tous.
OVM : Plus de 2000 vétérinaires pour aider les autorités Dans un communiqué publié en août dernier, le Conseil national de l'Ordre des Vétérinaires au Maroc (OVM) a annoncé sa contribution dans la lutte contre le phénomène des chiens errants dans toutes les régions du Royaume. L'OVM va augmenter son effectif à plus de 2000 vétérinaires provenant du secteur privé, et y associe des professeurs chercheurs de l'Office national de sécurité sanitaire des produits alimentaires (ONSSA). Des professionnels qui seront mis à la disposition des autorités pour bénéficier de leur expérience et de leurs connaissances scientifiques du sujet afin de lutter efficacement contre la prolifération de chiens errants. Morocco Animal Aid : L'appel de détresse des défenseurs des animaux « Notre organisation, comme beaucoup d'autres dans le secteur du bien-être animal, est confrontée à un certain nombre de défis majeurs dans sa mission de soins et de soutien aux animaux de la rue et aux animaux négligés », nous déclare Lucy Austin, fondatrice de l'association Morroco Animal Aid. L'un des principaux défis rencontrés par l'ONG est le manque de soutien du gouvernement qui se manifeste de diverses manières, notamment par un financement insuffisant et un accès inadéquat aux locaux appropriés à leur mission. « Ces limitations entravent notre capacité à répondre efficacement aux besoins des animaux et de leurs communautés », dénonce Lucy Austin, qui souligne pourtant que le travail qu'ils effectuent contribue directement à l'Agenda 2030 des Nations Unies, ratifié par le Maroc, à travers la vaccination des chiens contre la rage. Ce travail contribue aussi directement à l'objectif de l'Organisation Mondiale de la Santé d'un monde sans rage à l'horizon 2030. En outre, les services vétérinaires de l'ONG s'étendent aux animaux de propriété, y compris les moutons, les chèvres, les mules, les chevaux et les ânes. « Nous mettons tout en œuvre pour soigner les animaux dont les gens dépendent pour leur subsistance », précise notre intervenante, ajoutant qu'ils travaillent également avec des hôtels en stérilisant et vaccinant les chiens dans leurs zones, afin que les habitants et les touristes puissent vaquer à leurs occupations et profiter de la région en toute sécurité.