En cette fin de mois, la famille de la Résistance, de l'Armée de libération et du Parti de l'Istiqlal commémorent le 80ème anniversaire du soulèvement populaire des 29, 30 et 31 janvier 1944. Retour sur l'épisode historique de cette résistance, longue et héroïque. En dénonciation des campagnes de répression, d'abus et d'arrestations effectuées par les hommes de la Résidence générale du Protectorat français, des marrées humaines ont noirci Fès, Meknès, Rabat, Casablanca, Salé, ainsi que tout le pays. Ce fut ce que l'on appellera plus tard, les Soulèvements du 29 janvier. Le souvenir du Manifeste de l'Indépendance étant encore frais, l'Hexagone a vu ses aspirations hégémoniques s'effondrer les unes après les autres.
Et c'est précisément en cette date que les habitants de Rabat ont organisé une marche populaire kilométrique pour dénoncer, notamment, l'arrestation des leaders du Mouvement national par les autorités du Protectorat.
La résonance de cette suite de manifestations a éveillé l'attention de feu SM Hassan II, alors Prince Héritier, qui Se trouvait au collège royal et n'avait pas hésité à escalader le mur du collège pour se joindre aux manifestants, nous racontaient non sans émoi, lors d'un anniversaire de ces événements, les représentants du Haut-Commissariat aux Anciens Résistants et Anciens Membres de l'Armée de Libération (HCAR).
Plus tard, le défunt Souverain, livrant Ses sentiments vis-à-vis de cet événement, a mis l'accent sur le fait que cette journée, au cours de laquelle les manifestants ont envahi les rues de Rabat pour réclamer l'indépendance, a laissé une empreinte ineffaçable dans Sa mémoire, rappelant que ce jour-là, le Regretté était accompagné de trois de Ses compagnons du collège royal et qu'ils ont tous crié d'une seule voix : "Nous réaliserons l'Indépendance".
Face aux campagnes de répression et de persécution des autorités coloniales qui ont suivi la présentation du Manifeste de l'Indépendance, le Héros de la libération et de l'indépendance, feu SM Mohammed V, a exigé avec force la libération de tous les détenus. Toutefois, les autorités du protectorat, se fondant sur la mort d'un Européen, ont déployé leurs forces pour encercler la ville de Rabat et tirer sur les manifestants, dont plusieurs ont été tués, tandis que d'autres ont été arrêtés et condamnés à des peines d'emprisonnement.
Pour sa part, la ville de Salé a pris une part prépondérante dans ce soulèvement de masse qui a surgi face à la démesure coloniale, à l'appui de la présentation du Manifeste de l'Indépendance et de la défense des constantes nationales.
Rapidement, le souffle de cet événement historique s'est porté sur d'autres régions du Royaume et les manifestations se sont étendues à plusieurs villes du pays, dont Fès, Meknès, Marrakech, Azrou et d'autres encore.
Le 20 août 1953, l'exil forcé de feu SM Mohammed V, dans une tentative désespérée d'étouffer l'esprit nationaliste, a ravivé la passion de la lutte nationale pour la résistance armée, les manifestations de masse et les opérations de l'armée de libération jusqu'à ce que la volonté du Trône et du peuple soit accomplie.
Un nationalisme de premier rang
Depuis ces événements, le Haut-Commissariat aux Anciens Résistants et Anciens Membres de l'Armée de Libération célèbre la mémoire historique de la résistance et de la libération à Salé, à travers une cérémonie symbolique, au cours de laquelle sont prononcés des discours autour de cet événement héroïque.
Cette lutte de première heure et de premier rang a permis d'esquisser les bases de l'Indépendance du Royaume. Si l'épisode de l'exil du Sultan Mohammed ben Youssef en Corse (1953) puis à Madagascar (1954) n'a fait que renforcer la soif de liberté chez les Nationaux, ces derniers ont, en youyous et en larmes de joie, jubilé à Son retour victorieux de l'exil, le 16 novembre 1955. Symbole irréfutable de la résistance et de la libération du Royaume, feu SM Mohammed V est revenu victorieusement de l'exil le 16 novembre 1955, annonçant la bonne nouvelle de la fin de l'ère du Protectorat.
Protectorat : L'après-Manifeste de l'Indépendance Depuis Paris, le héros national Moulay Abdelhadi Alaoui était considéré comme le principal initiateur du Manifeste de l'Indépendance. Il n'était guère apprécié par le Résident général de France au Maroc, le Maréchal Juin, à en croire les mémoires publiées en 1991 par le Président de l'Association Conscience Française, le Dr Guy Delanoë.
Face à la déferlante provoquée par la large diffusion du Manifeste, la réaction de la Résidence de France à Rabat ne se fait point attendre : de fortes pressions sont exercées sur le sultan Mohammed ben Youssef pour qu'Il condamne publiquement le document et tous les signataires connus, ainsi que de nombreux nationalistes déjà fichés par la police française au Maroc sont arrêtés.
Dans la nuit du 28 au 29 janvier 1944, Ahmed Balafrej, Secrétaire général du Parti de l'Istiqlal, et son adjoint Mohamed Lyazidi, sont arrêtés à Rabat, soupçonnés de conspirer avec les forces de l'Axe. Abdelaziz Bendriss et Hachemi Filali sont incarcérés à Fès.
Après ces premières arrestations, des manifestations et des soulèvements agitent le pays, faisant de nombreux morts et des arrestations à tour de bras, notamment dans les villes de Casablanca, Fès, Rabat et Salé. Les tribunaux militaires ont condamné à mort de nombreux résistants.
L'indignation suscitée par leur exécution, mêlée à l'admiration exprimée par les signataires du Manifeste, déclenche un élan populaire qui débouchera, onze ans plus tard, sur la fin du Protectorat et l'indépendance du Maroc, proclamée le 18 novembre 1955 par les autorités marocaines, deux jours après le retour d'exil du Sultan Mohammed Ben Youssef, et reconnue officiellement par la France le 2 mars 1956.
Faits marquants : L'Opération Torch, véritable catalyseur de l'Indépendance L'opération Torch est le nom de code attribué à la campagne menée, du 8 au 16 novembre 1942, par les Alliés dans les territoires marocains. Cet épisode historique représente à lui seul un tournant décisif sur le front occidental de la guerre. La raison en est que ce débarquement de soldats américains aux portes de l'Europe a eu pour effet de fragiliser l'armée nazie, déjà mise à l'épreuve par la résistance farouche sur le front soviétique.
Dans ce climat empreint de bienveillance et favorable au dialogue avec les grandes puissances de l'époque, feu Mohammed V a saisi l'occasion de la visite des dirigeants alliés pour introduire la demande d'indépendance du Maroc et la demande d'adhésion du Royaume à la Charte de l'Atlantique. Cette initiative a reçu le soutien immédiat du président américain, qui a jugé tout à fait légitime, voire urgente, la volonté du Royaume de recouvrer sa liberté tant chérie.
Cette rencontre et plus précisément cette phrase ont complètement changé le destin du Maroc. En effet, un an après la Conférence d'Anfa, des militants du Mouvement national, dont une femme, Malika Belmehdi El Fassi, signent un Manifeste appelant à l'indépendance du Maroc, sous la houlette du défunt Souverain.
En particulier, ils ont insisté sur l'intérêt porté par feu SM Mohammed V au mouvement de réforme et à l'instauration d'un système politique libéral basé sur la "Choura", système de concertation entre les pouvoirs marocains et gardien des droits et devoirs des multiples composantes de la nation marocaine.
La Conférence d'Anfa, dont les intérêts politiques ont été déterminants pour assurer le rayonnement du Maroc et le développement de ses relations avec le reste du globe a, en somme, contribué à tourner la page des années de crise et des bouleversements de la Seconde Guerre mondiale.
« Nul ne peut passer sous silence la contribution du Maroc à la conduite de la guerre et le soutien, tant humain qu'économique, offert aux Alliés durant la Seconde Guerre mondiale. Une bonne part de cette reconnaissance est réservée à la rencontre symbolique d'Anfa entre le Sultan Sidi Mohammed ben Youssef et le Président américain Roosevelt, en présence du Premier ministre britannique Winston Churchill, sur l'indépendance du Maroc et la consolidation des relations bilatérales maroco-américaines qui a duré pendant des décennies et qui est encore plus visible aujourd'hui », affirme l'historien et professeur universitaire Nourddine Belhaddad. Rétrospective : Le Manifeste de l'Indépendance, un jalon historique Il y a exactement quatre-vingts ans, soixante-six valeureux signataires faisaient au Sultan la déclaration de leur vœu le plus inaltérable : celui de l'indépendance du pays et de sa libération du carcan du protectorat français. Ces indépendantistes marocains remettent au Sultan un Manifeste pour l'indépendance du Maroc. Ce document, qui marquera à jamais l'Histoire du Maroc, ressemble à une déclaration d'indépendance. Dès sa diffusion dans la presse nationale, il déclenche des vagues d'adhésion, de soutien et de sympathie au sein de l'opinion publique marocaine.
Pendant le protectorat français, le Sultan Mohammed ben Youssef n'a cessé de réclamer l'indépendance du Maroc. Cela a continué, bien évidemment, à être le cas même après la signature du Manifeste, en particulier dans Son discours de Tanger du 10 avril 1947 et dans Son Mémorandum du 11 octobre 1950.
Mais le Manifeste du 11 janvier 1944, ou Manifeste de l'Indépendance, reste, aux yeux de tous, un acte de témérité hautement symbolique dans le Royaume. C'est le premier acte juridique qui consolide et formalise la position prise par les nationalistes contre le Dahir berbère du 28 août 1930.
Ainsi, le rassemblement des principaux leaders nationalistes de toutes origines autour du Manifeste de l'Indépendance a permis de constituer un véritable mouvement politique crédible et représentatif de la société marocaine et de toutes les strates de la population, aussi bien urbaine que rurale. Ensemble, ils ont décidé dès le départ de soumettre leurs revendications au Sultan Mohammed ben Youssef, seul garant de la paix et de la stabilité dans le pays.
Ces signataires ont tous fait partie du panthéon marocain : grands résistants avant l'Indépendance, ils sont restés depuis lors des symboles du Maroc libre et des hommes clés dans la création du Maroc nouveau. Parmi ces héros figurent Bouchta Jamaï, Ahmed Mekouar, Ahmed Balafrej, Ahmed Bahnini, Mohammed El Bekkali, Boubker Sbihi et Jilali Bennani, pour n'en citer que quelques-uns... Histoire : La Conférence d'Anfa, le début de la fin Alors que le Manifeste du 11 janvier demeure le premier acte juridique national d'indépendance, la Conférence d'Anfa est, quant à elle, le premier acte diplomatique international pour la libération du Maroc du joug du Protectorat. Cet événement, qui a posé les jalons du Royaume post-colonial, s'est déroulé du 14 au 24 janvier 1943.
Portant le nom de l'hôtel où elle s'est déroulée, la Conférence, qui a accueilli les réunions des futurs vainqueurs de la Seconde Guerre mondiale, a été décisive à la fois pour l'issue de la plus grande guerre de notre temps, la Seconde Guerre mondiale, et pour le recouvrement de l'indépendance du Maroc.
En se rendant à Casablanca, les Alliés (Etats-Unis, Grande-Bretagne et France) avaient pour objectif de dresser des plans crédibles pour une issue victorieuse de la guerre et de s'ancrer dans le nouvel ordre qui déterminerait l'équilibre du pouvoir mondial. Mais l'individualisme politique de la France du Résident Eirik Labonne en a voulu autrement.
"Lorsque les Etats-Unis ont compris que le principal intérêt stratégique de la France était de faire du Maroc un prolongement de l'Hexagone européen, sans tenir compte de ses intérêts communs avec ses propres alliés, Roosevelt a préféré écrire une nouvelle page au Maroc, avec le Maroc, celle de l'indépendance et de l'autodétermination du Royaume", explique l'historien Noureddine Belhaddad, spécialiste de la politique étrangère marocaine.
Ainsi, note notre interlocuteur, feu SM Mohammed V, le Sultan d'alors, Sidi Mohammed ben Youssef, ayant adhéré aux Alliés dans la riposte initiale contre le nazisme et le fascisme, a profité du capital compassionnel dont jouissait le Royaume pour mobiliser des soutiens de toutes parts, notamment des Etats-Unis, autour de son choix de négocier avec les puissances occidentales pour libérer le Maroc des chaînes du colonialisme.