Le recours excessif à la détention provisoire met à mal les établissements carcéraux, qui abritent plus de 100.000 détenus, selon les derniers chiffres présentés par la Délégation Générale à l'Administration Pénitentiaire et à la Réinsertion (DGAPR). Intervenant mardi 5 décembre à la Chambre des Conseillers, le ministre de la Justice, Abdellatif Ouahbi, a réaffirmé la nécessité de rationaliser la détention préventive, censée être une mesure provisoire. Au moment où ça grince entre le ministre et les magistrats, Ouahbi appelle à plus d'audace de la part des juges, mettant en avant le bracelet électronique comme l'une des solutions envisageables. Des déclarations précédemment dénoncées par les magistrats, qui estiment que lesdits propos portent atteinte à l'indépendance de la Justice. Le recours à la détention provisoire est censé être exceptionnel. Toutefois, plus de 40% de la population carcérale sont des détenus qui attendent toujours leur jugement. Ces incarcérations massives contribuent largement à la surpopulation carcérale. Encore pire, lorsque ces chiffres devraient repartir à la hausse dans les années à venir. D'après les prévisions présentées dans le dernier rapport de la DGAPR, la population carcérale, ayant déjà dépassé le cap de 100.000 détenus au Maroc, atteindra regrettablement les 101.512 en 2025 et 104.000 en 2026. Aussi, il ressort d'un rapport du ministère public que les détentions préventives sont plus importantes devant les Cours d'appel (71%) que devant les tribunaux de première instance (16,58%).
La détention provisoire, l'ennemi juré des établissements pénitentiaires marocains
Interrogé par le groupe Istiqlalien « Pour l'Unité et l'Egalitarisme » sur « la rationalisation de la détention provisoire », l'ancien avocat Abdellatif Ouahbi a qualifié le recours à cette mesure d'excessif, imputant la hausse du nombre de détenus à titre préventif au « manque d'audace » des Procureurs généraux. En d'autres termes, la détention provisoire est, pour Ouahbi, un recours trop facilement usité par ces acteurs en matière de traitement des dossiers des détenus et d'émission de jugements. Cette mesure devient encore plus problématique puisqu'elle porte atteinte au principe de la présomption d'innocence, lequel stipule que « toute personne accusée ou suspectée d'avoir commis une infraction est présumée innocente jusqu'à ce que sa culpabilité ait été juridiquement établie par une décision ayant acquis la force de la chose jugée, à l'issue d'un procès équitable où toutes les garanties légales sont réunies». Le responsable a considéré d'inconcevable l'absence de « garanties » qu'un prévenu peut présenter pour ne pas fuir la justice. « Les personnes censées être emprisonnées ne le sont pas, en raison de l'encombrement des établissements pénitentiaires», a regretté Ouahbi. Bien au contraire, « ceux censés être en liberté provisoire, jusqu'à ce que le jugement final soit rendu à leur encontre, sont en prison », a-t-il dit. « 110.000 prisonniers au Maroc, dont 50 % sont en détention préventive, ne peuvent tous être dépourvus de garanties pour leur libération », a-t-il poursuivi. Parmi ces garanties, rappelons que le prévenu doit disposer d'une caution financière, s'engager à assister à son procès et disposer d'une adresse fixe. Le juge doit aussi tenir en compte le fait que cette libération ne présente aucun obstacle pour la justice, notamment pour la bonne marche de l'instruction du dossier. Devant ces constats, la notion de liberté provisoire devient un privilège. Ouahbi a ajouté, dans le même sillage, que la rationalisation de la détention provisoire est tributaire, en grande partie, à « la pratique et une prise de décisions courageuses et audacieuses ». Face à cette situation alarmante, le ministre a évoqué le recours au « bracelet électronique » pour renforcer ces garanties et rationaliser la détention préventive. « Cette mesure ne résoudrait pas le problème définitivement, mais constituerait un outil important entre les mains des Procureurs généraux lorsqu'ils prennent des décisions de détention préventive, jusqu'à ce qu'une décision définitive soit rendue », a-t-il reconnu. Rappelons que la réforme du Code pénal prévoit d'introduire de nouvelles peines alternatives à l'emprisonnement, notamment le bracelet électronique et les travaux d'intérêt général. Il est prévu également de révoquer les peines privatives de liberté en cas d'infractions financières.