Boualem Sansal, écrivain franco-algérien né en 1949 à Theniet El Had, un village niché dans les monts de l'Ouarsenis à 250 kilomètres d'Alger, s'est imposé comme une figure du paysage littéraire et intellectuel en France. Avant d'acquérir sa renommée en France, il a suivi une formation d'ingénieur à l'Ecole nationale polytechnique d'Alger, avant de décrocher un doctorat en économie. Ce parcours académique lui a ouvert les portes de nombreuses fonctions : enseignant, consultant, chef d'entreprise, et haut fonctionnaire au sein du ministère de l'Industrie. Pourtant, c'est à travers son inlassable opposition à l'obscurantisme et à l'autoritarisme qu'il est surtout connu. Une posture qu'il exprime avec la détermination et la sincérité d'un militant convaincu. Lire aussi | «Houris» de Kamel Daoud et les démons d'un passé algérien sanglant Durant les tumultes qu'a traversés l'Algérie, Sansal n'a jamais hésité à dénoncer les dérives du régime ou la montée de l'islamisme radical, ce qui lui a valu des censures et des polémiques dans son pays natal. En France, il est devenu une voix respectée dans les cercles intellectuels et médiatiques, où ses analyses critiques sur les dynamiques politiques et sociales du Maghreb trouvent un large écho. Une œuvre littéraire engagée Boualem Sansal s'est distingué par des œuvres marquantes, dont Le Serment des barbares (1999), une immersion dans les dysfonctionnements de la société algérienne post-indépendance, et Le Village de l'Allemand (2008), où il explore les thématiques de la mémoire et de l'identité à travers le parcours de deux frères découvrant les origines nazies de leur père. En 2015, il publie 2084 : La fin du monde, une dystopie librement inspirée de 1984 de George Orwell, qui dénonce les dérives totalitaires et religieuses. Ces ouvrages lui ont valu des distinctions prestigieuses, telles que le Grand Prix du roman de l'Académie française pour 2084 : La fin du monde en 2015, le Prix de la paix des libraires allemands en 2011 pour son engagement en faveur de la liberté d'expression, et le Grand Prix de la francophonie de l'Académie française en 2013, saluant l'ensemble de son œuvre. Lire aussi | Le général Changriha au gouvernement algérien: un pion visible pour masquer l'invisible ? Les écrits et prises de position de Boualem Sansal sont profondément marqués par l'influence d'auteurs comme Albert Camus et George Orwell, partageant leur quête de justice et de liberté. Son engagement l'a également amené à collaborer étroitement avec les médias français, où il est régulièrement sollicité pour ses réflexions critiques et engagées sur les enjeux sociopolitiques du Maghreb. Une arrestation controversée Le 16 novembre 2024, Boualem Sansal, alors âgé de 75 ans, a été arrêté à son arrivée à l'aéroport d'Alger en provenance de Paris. Cette interpellation, menée par la Direction générale de la sécurité intérieure algérienne, a provoqué de vives inquiétudes parmi ses proches et son éditeur, Gallimard, surtout en l'absence de toute explication officielle sur les motifs de son arrestation. Quelques jours avant cet événement, Sansal avait tenu des propos polémiques dans une interview accordée au média français Frontières sur YouTube, affirmant qu'à l'époque de la colonisation française, « toute la partie ouest de l'Algérie appartenait au Maroc », citant des villes comme Tlemcen, Oran et Mascara. Ces déclarations, largement relayées par les médias marocains, ont été perçues par certains comme une remise en cause de l'intégrité territoriale de l'Algérie. Le Maroc, un « grand Etat » Dans cette interview, Sansal s'est également attaqué à la question la plus sensible pour les autorités algériennes : le Sahara marocain. Voici ce qu'il a déclaré : « La France n'a pas colonisé le Maroc parce que c'est un grand Etat. C'est facile de coloniser des petits trucs qui n'ont pas d'histoire, mais coloniser un Etat, c'est très difficile. » Lire aussi | Quand le Maroc, à peine indépendant, soutenait la résistance algérienne Il a également critiqué frontalement le Polisario, en affirmant : « Ce qu'ont fait les militaires, c'est inventer le Polisario pour déstabiliser le Maroc parce qu'ils voulaient un système communiste. Ils ne voulaient pas que les Algériens se disent : et si on faisait comme le Maroc. » Ces propos, perçus comme une remise en cause des fondements idéologiques et stratégiques de la politique algérienne, ont sans doute aggravé sa situation. Contexte diplomatique et réactions internationales Cette arrestation survient dans un climat diplomatique tendu entre la France et l'Algérie, exacerbé par la reconnaissance par Paris de la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental. Le président Emmanuel Macron a exprimé sa vive préoccupation face à la situation de l'écrivain, mobilisant les services de l'Etat pour clarifier les circonstances de cette arrestation. Il a également réaffirmé l'engagement de la France en faveur de la liberté d'un intellectuel dont la voix, souvent dérangeante, est essentielle au débat public.