A l'heure où le nombre de Marocains en situation d'handicap avoisine le 1,5 million, le Maroc assiste à un déficit criant en médecine physique et de réadaptation (MPR). Conditions d'exercice difficiles, insuffisances de structures dédiées... Nombreux sont les obstacles qui freinent le développement de cette discipline vitale. Immersion dans les coulisses de formation et d'exercice de cette discipline. C'est très clair : le manque cruel de ressources humaines est la grande problématique de la réforme du système de santé au Maroc, comme souligné à plusieurs reprises par le ministre de la Santé et de la Protection, Khalid Ait Taleb. Cette question touche presque tout le système et n'épargne pas les disciplines clés dont la médecine physique et de réadaptation (MPR). Etat des lieux Actuellement, le Maroc compte à peu près 100 MPR en exercice tout secteur confondu (libéraux, universitaires et hospitaliers, militaires et détachés), soit un médecin physique pour 500.000 habitants, alors même que le besoin de soins en rééducation fonctionnelle augmente. En témoigne le 1,5 million de Marocains en situation de handicap, selon les données du Haut-Commissariat au Plan (HCP). « Ce chiffre reste en dessous des ratios préconisés pour assurer une offre de soins optimale en rééducation et réadaptation », commente Pr Samia Karkouri, Chef de Service de Médecine Physique et de Réadaptation, Hôpital Al Ayachi, CHU Rabat-Salé. Ce déficit est encore plus grave, poursuit-elle, d'autant plus que le champs d'action des médecins MPR est large, et s'étend au-delà de la prise en charge des personnes en situation de handicap pour couvrir aussi bien les maladies chroniques (maladies non transmissibles) que les troubles fonctionnels dans tous les domaines, notamment sportif. Pour mieux comprendre ce constat, il est important de revenir quelques années en arrière. En effet, la MPR a été reconnue comme spécialité médicale au Maroc en 1994. Cependant, elle n'a été intégrée au cursus de formation des résidents qu'à partir de 2001. « Ceci a contribué que le développement de la spécialité a connu une certaine lenteur au début en rapport avec le délai de la mise en place des ressources », explique Pr Samia Karkouri, qui s'est dite optimiste quant au développement des ressources humaines en matière de MPR, suite à la conjugaison des efforts des secteurs public et privé. D'ailleurs, plusieurs mesures ont été initiées pour promouvoir cette discipline auprès de la future génération de médecins. Après avoir intégré en 2019 la formation initiale des études médicales, la MPR a bénéficié des efforts de promotion de la recherche et l'enseignement, la mise en place de quelques structures dédiées et l'ouverture des CHU sur les nouvelles technologies impliquant la robotique et l'Intelligence Artificielle. Tout cela a augmenté l'attractivité de cette discipline auprès des résidents, ce qui a permis de relever le nombre des résidents en formation de 3 en 2004 à 60 actuellement mais aussi de disposer de 16 enseignants répartis sur 7 CHU du Royaume », souligne notre interlocutrice.
Terrain pas trop prometteur Bien qu'elle soit une discipline prometteuse, les conditions de son exercice restent loin des aspirations des professionnels, lesquels déplorent l'insuffisance des établissements complets exclusivement dédiés à la médecine physique, malgré les initiatives louables privées et publiques. En d'autres termes, les médecins de MPR exerçant actuellement au Maroc travaillent plutôt dans des cabinets que dans des établissements dédiés. Chose qui ne leur permet pas, selon le médecin spécialiste en médecine physique, Sekkat Samir, d'exercer pleinement cette discipline dans son interdisciplinarité et dans sa transversalité, tout en ayant la possibilité de créer et d'accéder à des examens complémentaires propres à la spécialité. Ainsi, le spécialiste préconise la création d'établissements dédiés à cette discipline, tout en mobilisant suffisamment de lits d'hospitalisation dans les CHU du Royaume en vue d'offrir un terrain de travail favorable au médecin et d'améliorer la qualité des soins dispensés aux concernés. Il est également question, selon lui, de donner aux MPR la possibilité de créer et d'accéder à des examens complémentaires propres à la spécialité. A cet égard, le médecin appelle à l'encouragement des initiatives d'investissement des MPR. « Il faut mettre en place des facilités pour l'achat de terrains à des prix avantageux et pour faciliter l'accès des MPR à des crédits bancaires, de manière à permettre à un médecin ou à un groupe de médecins de créer plutôt une structure qu ́un cabinet », souligne Dr Sekkat, qui a décidé de s'engager dans cette dynamique par la construction à Tanger d'un établissement dédié à la médecine physique et de réadaptation au sein d'une clinique pluridisciplinaire et de façon indépendante. Tous ces efforts permettront, selon lui, d'améliorer les conditions d'exercice des médecins concernés et donc de redonner une nouvelle image à cette spécialité jeune et prometteuse. 3 questions à Pr Samia Karkouri : « Un total de 60 rééducateurs résidents sont actuellement en formation » -Le Maroc dispose-t-il des moyens matériels et humains pour combler le déficit en médecins rééducateurs ?
-Conscient de l'importance des soins de suite et de réadaptation en matière de santé, le Maroc s'est engagé dans le développement des ressources humaines et matérielles au profit de la discipline. Ceci s'est traduit par le développement du secteur universitaire pour promouvoir la recherche et l'enseignement, ainsi nous comptons actuellement 16 enseignants répartis sur 7 CHU. Aussi, d'autres centres sont créés au niveau régional. Le secteur privé commence également à s'investir dans le domaine des soins de suite et de réadaptation avec l'installation de quelques structures dédiées. Ces efforts salués restent limités par l'absence de structures d'hospitalisation complète. Ce manque a été souligné notamment lors du séisme qui a frappé le Maroc le 8 septembre dernier où le manque de structures dédiées aux soins de suites des victimes s'est fait sentir.
-Comment appréhendez-vous l'offre de formation dans cette discipline ?
-L'offre de soin est en perpétuelle développement pour répondre au nombre croissant des résidents. Ainsi depuis 2019, la MPR a intégré la formation initiale des études médicales sous forme d'un module de 10 heures au cours de la 4ème année. Ce module a permis la levée d'ambiguïté quant à la spécialité et a permis également d'élargir l'offre de formation de la discipline. Aujourd'hui, nous avons 60 médecins MPR en formation.
-Quid des MPR qui ont étudié leur spécialité à l'étranger et qui continuent d'exercer dans des centres à l'étranger ?
-La formation à l'étranger des médecins MPR a été initiée avant 2001, vu l'absence de structures de formation au Maroc, ce manque poussait certains médecins à poursuivre leur parcours professionnel à l'étranger. La situation a changé actuellement, et le parcours à l'étranger ne se fait que dans le cadre d'un cursus de durée déterminée au cours de la formation des résidents. Il reste donc à bien préparer le terrain de travail en développant les structures nécessaires afin de permettre aux MPR au Maroc d'exercer leur métier dans de bonnes conditions et du coup pour motiver les autres à revenir. La place de la MPR est primordiale et urgente à développer comme l'a fait ressentir les suites du séisme du mois de septembre.
Ressources humaines : Grand défi de la réforme de la santé Le manque cruel de cadres médicaux et paramédicaux est le plus grand défi de la réforme de la Santé, sachant que le besoin est estimé aujourd'hui à quelque 32.000 médecins et 65.000 infirmiers. Selon Khalid Ait Taleb, l'Exécutif se fixe l'objectif d'atteindre un ratio de « 23 cadres médicaux pour 10.000 citoyens au lieu de 17 actuellement, en espérant atteindre 42 médecins à l'horizon de 2030, conformément aux recommandations de l'OMS ». Le responsable a également réaffirmé l'engagement du ministère à préserver les acquis et à améliorer les conditions des travailleurs de la Santé, susceptibles d'impacter positivement la qualité des services offerts aux citoyens. Pour relever le défi, la tutelle prévoit une série de dialogues avec les centrales syndicales les plus représentatives dans le cadre de l'institutionnalisation du dialogue social, particulièrement dans le secteur de la Santé, pour le hisser au rang des choix stratégiques, et honorer tous les engagements sociaux contenus dans le programme gouvernemental.
Discipline : C'est quoi la médecine physique et de réadaptation ? Officialisée en 1968 par l'Organisation mondiale de la santé (OMS), la médecine physique et de réadaptation (MPR) n'a obtenu le statut de spécialité médicale, à part entière, qu'en 1994 alors qu'elle était exercée au Maroc depuis 1979. Discipline vitale et d'une importance capitale pour le système de santé, la MPR nécessite six années de spécialisation après le doctorat en médecine. Le médecin de MPR a pour rôle de prendre en charge sur le long terme des patients ayant des déficiences ou handicaps (neurologiques, ostéo-articulaires, vésico-sphinctériennes, cardiovasculaires, respiratoires...) suite à un accident ou à cause d'une pathologie médicale. Il peut être expert de patients particuliers (personnes âgées, enfants) ou de troubles spécifiques (troubles neurologiques...). Le médecin rééducateur pose le diagnostic, puis élabore et supervise un programme de réadaptation et de récupération unique pour chaque patient. La prise en charge est toujours pluridisciplinaire et peut associer médicaments, appareillages, techniques manuelles et soutien sur le plan social. L'objectif est de maintenir ou de restaurer l'autonomie, la qualité de vie et les activités de la vie quotidienne. Le médecin de MPR est le chef d'orchestre qui coordonne d'autres médecins (neurologues, chirurgiens orthopédiques et traumatologues) et professionnels de santé paramédicaux (infirmier, kinésithérapeute, ergothérapeute, assistante sociale, psychologue, psychomotricien, enseignant en activité physique adaptée).