Condamnant « fermement et sans réserve les atrocités commises contre les civils israéliens, dont certaines relèvent du terrorisme », le président de l'Union des mosquées de France et coprésident du Conseil français du culte musulman (CFCM), dénonce, dans une tribune au « Monde », les critiques dont ses coreligionnaires font l'objet depuis les massacres perpétrés par le Hamas. Les nombreuses réactions spontanées des institutions (le Conseil français du culte musulman a réagi le 10 octobre, tout comme plusieurs comités locaux, ainsi que les membres de la Conférence des responsables de culte en France, sans compter tous les imams qui ont pris la parole partout en France) et des citoyens musulmans de France pour condamner les atrocités commises contre les civils israéliens, leurs appels à l'apaisement et leurs prières pour toutes les victimes quelles qu'elles soient, ne semblent pas suffisants aux yeux de certains médias et responsables politiques qui se sont érigés en juges des consciences. Depuis des jours, sur fond des événements tragiques qui se déroulent au Proche-Orient, les citoyens français de confession musulmane sont mis au banc des accusés par des opportunistes de tous bords qui distillent une suspicion insupportable à leur égard. Dans une émission de télévision de grande audience, un acteur réalisateur [Philippe Lellouche, le 14 octobre sur France 2 ndlr] a par exemple lancé : « Ils sont où mes potes musulmans, pourquoi vous n'êtes pas avec nous en ce moment ? ». Un autre [l'essayiste d'extrême droite Jean Messiha, le 16 octobre sur Cnews] se demande encore : « Combien de musulmans ont participé à la manif en soutien à Israël ? » Des personnalités françaises éminentes et insoupçonnables sur leur engagement républicain ont au contraire été prises à partie pour leurs positions et opinions. Ainsi, les anciens premiers ministres, Dominique de Villepin et Edouard Philippe, l'ancien ministre des affaires étrangères Hubert Védrine, l'économiste Thomas Piketty, le géopolitologue Dominique Moïsi et bien d'autres ont été vilipendés sur les réseaux sociaux alors même qu'ils ont condamné sans réserve les atrocités commises par Hamas. Leur seul tort serait-il d'avoir appelé à la paix et à la solution des deux Etats vivant en sécurité côte-à-côte ? Ce « deux poids deux mesures » est même assumé comme tel par des extrémistes adeptes de la théorie du choc des civilisations qui, plus que jamais, cachent mal leur euphorie de voir cette situation de chaos s'installer dans cette région du monde et en France. Face aux injonctions et aux procès d'intention injustifiables et insupportables faits aux musulmans de France, nous avons le devoir et l'obligation de dire « ça suffit ». Les citoyens de confession musulmane n'ont aucune leçon à recevoir des promoteurs de la division et de la discorde au sein du peuple de France. Ceux-là feraient mieux de s'interroger sur leur propre posture en décalage avec un drame qui a fait et continue de faire des milliers de victimes civiles innocentes, des femmes et des enfants en majorité. De même, leur mutisme durant toutes ces années sur la situation dramatique des Palestiniens rend leur posture actuelle de juge et de procureur illégitime et indécente. Les musulmans de France estiment qu'ils ont assumé leur responsabilité morale et humaine. Ils ont condamné fermement et sans réserve les actions commises contre les civils israéliens dont certaines relèvent du terrorisme, de crimes de guerre, voire de crimes contre l'humanité. Aujourd'hui, force est de constater que les mêmes qui osent donner des leçons aux musulmans de France, non seulement ils ne condamnent pas les actions commises contre les civils palestiniens, mais ils tentent aussi de les justifier. Pourtant et incontestablement, certaines de ces actions relèvent aussi du terrorisme, de crimes de guerre, voire de crimes contre l'humanité. Le fait qu'une majorité de Français, dont des musulmans, ne se soient pas rendus massivement aux manifestations de soutien à Israël organisées par la communauté juive de France, ne remet pas en cause leur soutien aux victimes civiles israéliennes. Vouloir reprocher cette absence de mobilisation aux seuls français musulmans est une stigmatisation manifeste. De notre point de vue, cette désaffection pourrait s'expliquer simplement : d'une part par le mot d'ordre, « Soutien à Israël », compris par certains comme un soutien aussi au gouvernement d'Israël, qui n'a pas été de nature à rassembler tous les Français. D'autre part par l'annonce, faite par les autorités, de l'interdiction systématique de toute manifestation propalestinienne au motif de risque de trouble à l'ordre public. Pour beaucoup de Français, manifester en faveur d'un soutien exclusif à Israël sans pouvoir le faire pour les civils palestiniens semble poser un problème éthique et moral et être inefficace pour la défense d'une paix juste et durable. Nous devons être sensibles de la même manière aux souffrances des Israéliens et des Palestiniens, comme de tout être humain. Cette vision d'une humanité une et indivisible, inscrite par ailleurs dans le droit international, doit nous guider à chaque instant et en toutes circonstances. Le Coran nous apprend que toutes les vies se valent et qu'un meurtre reste un meurtre quel qu'en soit l'auteur et quelle qu'en soit la victime : « C'est pourquoi, Nous avons prescrit pour les Enfants d'Israël que quiconque tuerait une personne non coupable d'un meurtre ou d'une corruption sur la terre, c'est comme s'il avait tué tous les humains. Et quiconque lui fait don de la vie, c'est comme s'il faisait don de la vie à tous les humains (...) » (Coran 6, 32). Il nous apprend également à rester justes, y compris dans les pires situations de conflits, et à ne jamais céder à la logique de vengeances aveugles : « Que l'animosité que vous opposent certains ne vous pousse pas à être injustes, restez justes, c'est ce qui vous préservera » (Coran 6, 8). Aujourd'hui, nous avons besoin, plus que jamais, d'unir nos efforts afin de nous lever contre les aberrations de ceux qui détournent nos cultures, nos religions et nos civilisations. Nous pouvons ensemble lutter contre la haine et récupérer les étendues perdues de la raison qui ont disparu dans la confusion des conflits. Nous vivons une époque marquée par de multiples signes d'angoisse, nous devons nous montrer porteurs de signes d'espérance.