L'amende journalière a été introduite dans la liste des peines alternatives lors du vote des amendements à la Chambre des Représentants. Une victoire pour le ministre de la Justice qui s'est accroché à cette mesure controversée. Le ministre de la Justice, Abdellatif Ouahbi, poursuit son parcours de refonte du système judiciaire. Ainsi, il n'a pas lâché du lest en ce qui concerne la loi relative aux peines alternatives. Au Parlement, à force d'insister, il a réussi à faire introduire l'amende journalière dans la liste des peines alternatives en convainquant les députés. Après avoir été écartée dans la version initiale adoptée par le gouvernement, l'amende journalière a été finalement introduite. Cette mesure a fait l'objet d'un amendement adopté lors d'une séance dédiée au vote du projet de loi N°43.22 par la Commission de la Justice de la première Chambre. Cet amendement a été voté à 18 voix favorables sans qu'il y ait de voix opposées, sachant que huit députés se sont abstenus.
Un débat acharné, des craintes et des réserves ! Le vote a eu lieu après un débat acharné sur cette question entre les députés de la majorité et ceux de l'opposition, apprend-on de sources parlementaires, qui expliquent que quelques députés ont affiché plusieurs réserves quant à l'amende journalière qui peut, selon les arguments avancés lors des discussions, être exploitée pour favoriser l'impunité pour les personnes fortunées.
Ce que pensent les juristes Le recours à l'amende journalière n'est pas passé inaperçu dans les cercles des robes noires et des praticiens du droit. Plusieurs y voient un moyen dangereux de faciliter le marchandage des peines au service de l'impunité. C'est ce que pense Jamila Sayouri, avocate au Barreau de Rabat et présidente de l'Association "Adala". « Nous étions toujours contre l'amende journalière qui peut être, à nos yeux, détournée pour échapper à la prison », explique-t-elle, tout en qualifiant cette mesure de "dangereuse". "C'est une mesure qui n'est pas adaptée à notre société pour l'instant compte tenu de la corruption qui persiste toujours", poursuit l'avocate qui voit qu'il est encore tôt de faire appel à une telle alternative. En effet, ce genre de réserves est souvent avancé comme argument par les détracteurs des peines alternatives qui y voient un encouragement à la délinquance. Lors de la discussion de la loi en Commission, le ministre de la Justice, qui a pris part à la séance, a tâché de rassurer les députés sceptiques. Il a expliqué que la décision d'accorder cette amende sera dévolue au pouvoir discrétionnaire du juge qui déterminera le montant de l'amende selon la situation financière de l'accusé. Le seuil minimal a été fixé à 100 dirhams. Le montant peut aller jusqu'à 2000 dirhams. En principe, l'amende journalière permet de substituer la peine d'emprisonnement par une pénalité financière. Une façon de convertir la peine de réclusion à ce qui ressemble à une caution pécuniaire. Elle fait partie désormais des nombreuses peines alternatives introduites dans le Code pénal, dont les travaux d'intérêt général, le bracelet électronique. Le but est de réduire le recours à la détention préventive et soulager ainsi les établissements carcéraux qui sont actuellement surpeuplés. Mais la fin justifie-t-elle les moyens ? Une question qui traverse l'esprit de beaucoup de personnes qui regardent ce qui se passe avec un œil prudent. L'enjeu est donc de savoir si les peines alternatives sont suffisamment utiles pour désengorger nos prisons. C'est en tout cas le moyen le plus réaliste et le plus applicable pour le moment et la seule piste à emprunter, juge Mohammed Bouzlafa, expert dans le droit pénal et Doyen par intérim de la Faculté des Sciences juridiques, économiques et sociales de Fès. "Les peines alternatives s'imposent en tant que solution fondamentale à la crise que connaît la politique pénale marocaine, dénoncée sans ambiguïté par toutes les composantes de la justice et aussi par la doctrine. Une politique acharnée fondée essentiellement sur l'enfermement. Notons que la population carcérale au Maroc approche les 100.000 détenus, selon la présentation faite par Monsieur Mohamed Salah Tamek, Délégué général de la DGAPR, devant la commission de la Justice et de la Législation à la Chambre des Représentants, le 1er novembre 2022", rappelle le juriste qui trouve que les peines alternatives sont indispensables. La crainte de ce nouveau assouplissement du Code pénal n'a pas lieu d'être, pour M. Bouzlafa, du moment que les peines nouvellement introduites sont strictement encadrées par loi. En effet, les peines alternatives, en tant que mesures judiciaires, ne peuvent être prononcées que dans des affaires où la peine de prison prononcée ne dépasse pas 5 ans fermes. Aussi, rappelle le juriste, il est à souligner que le recours aux peines alternatives est impossible en cas de récidive et elles sont carrément exclues pour les infractions graves : terrorisme, blanchiment de capitaux, exploitation sexuelle des mineurs, etc.
Peines alternatives : unique remède de la surpopulation carcérale ? Pour sa part, Mme Sayouri juge que les peines alternatives ne sont pas l'unique remède aux maux de la politique carcérale. Raison pour laquelle elle plaide pour une refonte globale du Code pénal, une condition sine qua non pour remédier définitivement aux insuffisances actuelles de la politique pénale qui souffre de plusieurs carences. "De toute façon, la politique pénale, telle qu'elle est actuellement, a montré ses limites puisqu'elle n'a pas empêché la récidive qui demeure élevée. Cependant, les peines alternatives ne sont pas la recette miracle. Il faut de véritables programmes de réinsertion", précise notre interlocutrice.
Anass MACHLOUKH
Les arguments de Ouahbi Lors de la discussion de la loi, le débat a également porté sur la durée des peines qui peuvent être remplacées par les mesures alternatives. La loi telle qu'adoptée par le gouvernement dispose que les juges ne peuvent recourir à ces alternatives qu'en cas de peines inférieures à cinq ans. Quelques députés de l'opposition ont jugé pertinent de réduire la durée maximum à deux ans afin de réduire le nombre de bénéficiaires et ainsi ne pas "encourager" le crime. Cet amendement a été rejeté par le ministre qui a fait savoir que le chiffre « cinq ans » était déjà un compromis. Dans son argumentaire, Ouahbi n'a pas manqué d'évoquer le cas des enfants arrêtés pour vandalisme dans les stades. Il a soutenu que leur emprisonnement nuit à leur scolarité et à leur futur. D'où, selon lui, la pertinence et l'utilité des peines alternatives.