Après la signature par le Maroc du traité portant sur la conservation et l'utilisation durable de la biodiversité marine en haute mer, plusieurs étapes et changements sont en perspective. Le 21 septembre 2023, le Maroc, représenté par l'ambassadeur représentant permanent auprès de l'Organisation des Nations Unies (ONU), Omar Hilale, a signé le traité portant sur la conservation et l'utilisation durable de la biodiversité marine des zones ne relevant pas de la juridiction nationale (BBNJ). La signature de ce traité a eu lieu au siège de l'organisation internationale à New York, lors d'une cérémonie tenue en marge de la 78ème session de l'Assemblée Générale de l'ONU. « La biodiversité était le parent pauvre de la Convention sur le droit de la mer. C'est pour cela que la principale raison d'être de cet accord est la préservation de la biodiversité marine en haute mer. C'est-à-dire au niveau des zones qui n'appartiennent à personne et qui, à ce jour, sont des territoires de non-droit pour la biodiversité alors que l'exploitation des ressources minérales qui s'y trouvent est pour sa part cadrée depuis 1994 », décrypte M. Larbi Sbaï, expert national dans le domaine maritime.
De la signature à la ratification
À l'instar d'autres conventions internationales, l'accord entrera en vigueur lorsqu'il sera ratifié par un certain nombre de pays (60 pour le cas échéant). Une procédure qui peut être longue et laborieuse. « La dynamique relative à cet accord a débuté en février 2006, lorsque le Secrétaire Général des Nations Unies avait ouvert un portail de discussion avec tous les Etats. J'avais, par ailleurs, assisté à New York à la première séance. Cela dit, tant que l'accord n'est pas encore entré en vigueur, la pêche dans ces zones de haute mer est considérée comme libre, c'est-à-dire que tout bateau de pêche, quel que soit son pavillon, a le droit d'y pêcher », poursuit notre interlocuteur. Une situation qui a donné lieu à de nombreux abus et qui a justifié l'élaboration de cet accord, d'autant plus que les pratiques de surexploitation des ressources marines de haute mer n'ont pas manqué d'impacter sévèrement les ressources halieutiques situées dans les zones économiques exclusives de certains pays.
« Recrutement » des peuplements L'impact de la surpêche en haute mer sur les ressources marines a par ailleurs été constaté depuis plusieurs décennies déjà. « Pour illustrer avec un exemple concret, on peut citer ce qu'on a appelé ''Guerre du turbo'' durant les années 80. Les autorités canadiennes s'étaient à l'époque opposées à la pêche du turbo par les marins espagnols au niveau de zones marines qui ne relèvent pas de la juridiction nationale canadienne, mais qui sont situées en face de l'espace économique maritime exclusif du Canada », raconte Larbi Sbaï, soulignant que « les Canadiens avaient alors présenté un argumentaire assez solide prouvant que ''le recrutement'' des peuplements en turbo qui viennent dans la zone exclusive canadienne, provient justement de cette zone de haute mer qui est hors juridiction nationale canadienne. C'était une démonstration du fait que l'activité espagnole portait préjudice aux stocks situés dans la zone économique exclusive canadienne. Il a fallu l'intervention de l'UE à l'époque pour apaiser les tensions... ».
Quelles implications pour le Maroc ?
Ainsi, lorsque l'accord entrera en vigueur, le droit illimité à la pêche dans ces zones deviendra encadré par une autorité internationale, à l'image de l'exploitation des ressources minérales. Pour le Maroc, ce changement aura globalement un effet positif. « À mon sens, si le Maroc ratifie cet accord, et que ce dernier entre en vigueur, ça ne peut être que bénéfique pour nos ressources marines. C'est-à-dire que cela pourra empêcher les abus et les pêches excessives dans les zones situées au-delà de notre juridiction, mais qui ont un impact direct sur le renouvellement des peuplements halieutiques dans nos propres zones maritimes », commente l'expert. À noter que le Royaume est le 75ème pays à avoir signé cet instrument juridiquement contraignant, au terme de 18 ans de négociations multilatérales. Une longue période de gestation qui a certes abouti, mais dont le fruit ne se concrétisera qu'après plusieurs années, le temps que 60 parmi les pays signataires déposent officiellement leurs instruments de ratification officielle.
Oussama ABAOUSS 3 questions à Larbi Sbaï « Il n'existe pratiquement aucun navire battant pavillon marocain qui pêche au-delà de la zone de juridiction nationale » - En signant cet accord, le Maroc ne restreint-il pas ses propres droits à pêcher en haute mer ? - Abstraction faite de la mer Méditerranée qui est un cas très spécial qui ne permet même pas d'étendre la zone économique exclusive des pays riverains à cause de sa petite taille, il n'existe pratiquement aucun navire battant pavillon marocain qui pêche au-delà de la zone de juridiction nationale. - En signant cet accord, le Maroc contribue-t-il à la conservation de cette biodiversité ? - En tout cas, on peut dire qu'il se place du côté des « bons élèves ». Le Maroc n'a cependant pas encore ratifié puisque nous sommes encore au tout début de la procédure. Le Maroc a signé, c'est-à-dire qu'il s'est engagé à lancer une procédure interne qui devrait normalement aboutir à une ratification. Ce qui n'est parfois pas évident. Par exemple, la Convention « mère » relative au droit de la mer a été signée par 119 pays, parmi lesquels le Maroc, le 10 décembre 1982, mais notre pays ne l'a ratifiée que le 31 mai 2007, c'est-à-dire un quart de siècle plus tard. Ce sont des procédures qui relèvent de la souveraineté de chaque Etat, qui a la compétence de ne pas signer, ou bien de signer et de ne pas ratifier. Mais c'est la ratification qui oblige l'Etat membre à respecter l'aspect contraignant de cet accord qu'il doit par ailleurs décliner dans ses lois nationales. - Si l'accord entre en vigueur, devra-t-il être respecté y compris par les pays qui ne l'ont pas ratifié ? - Oui, puisqu'on ne peut pas se cacher derrière la non-ratification. Exemple des Etats-Unis qui n'ont à ce jour pas encore ratifié la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer, mais qui disposent d'une mer territoriale de 12.000 miles marins et d'une zone économique exclusive de 200.000 miles marins... Autrement dit, l'esprit de la convention est quand même appliqué par les Etats-Unis. Ce n'est que pour la haute mer où il y a tout un mécanisme d'exploration et d'exploitation des ressources non-vivantes, que les Etats Unis n'ont pas accepté d'appliquer l'accord au vu de la primauté de l'initiative privée dans le droit américain. Les Américains avaient par ailleurs expliqué que leur pays comptait déjà des sociétés privées qui avaient déjà investi, et qu'il était impossible pour les Etats-Unis de soumettre ces privés à une autorité internationale. Délimitations maritimes : Réglementation progressive du droit international en haute mer Jusqu'au milieu du siècle dernier, deux zones légales composaient les étendues marines mondiales : l'espace maritime considéré comme faisant partie du territoire d'une nation et « la haute mer », non revendiquée par aucune nation et donc libre et ouverte à tous. En 1958, l'Organisation des Nations Unies a entamé une nouvelle codification de la mer qui a abouti à quatre conventions adoptées sur la mer territoriale, la haute mer, le plateau continental et la pêche. Un besoin s'est par la suite ressenti au niveau international pour la mise en place d'un mécanisme désignant le fond marin de plus de la moitié de la planète comme appartenant à l'humanité entière et reconnu comme patrimoine commun de l'humanité. Un principe qui a été repris en 1982 par la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer à travers une typologie des espaces maritimes qui divise l'océan en différentes zones juridiques, différenciant celles qui sont sous la juridiction des Etats et celles qui se trouvent au-delà des juridictions nationales. Approbation : Traité « historique » pour les uns et « inacceptable » pour d'autres Avant de débuter la première étape des signatures au cours de ce mois de septembre 2023, la Conférence intergouvernementale chargée d'élaborer un instrument international juridiquement contraignant portant sur la conservation et l'utilisation durable de la biodiversité marine des zones ne relevant pas de la juridiction nationale, plus connue sous l'acronyme anglais « BBNJ », avait officiellement adopté le texte d'un accord inscrit dans le cadre de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer le 19 juin dernier. Ce traité avait été approuvé le 3 mars 2023, au terme d'une cinquième session de travail de la Conférence, qui avait été entamée en août 2022 et reprise le 20 février dernier pour s'achever par un ultime marathon de 36 heures de discussions. « Ces cinq cycles de négociations, très ardues et techniques, se sont étalés sur plus d'une décennie », souligne un communiqué des Nations Unies, qui précise par ailleurs que certaines parties prenantes ont considéré l'avancée que constitue l'adoption de ce texte comme « historique ». Il s'est cependant trouvé, parmi les représentants des nations, certaines voies qui n'ont pas vu cette avancée de manière positive. « Le texte ne comprend pas de garde-fou pour éviter la politisation des aires marines protégées », a par exemple tranché le délégué russe qui a aussi déploré le fait qu'un équilibre n'ait pas été trouvé entre la préservation et l'exploitation des ressources des océans. La Russie s'est ainsi dissociée du consensus qu'elle a par ailleurs considéré comme « inacceptable ».