Après un long silence, Emmanuel Macron a reparlé succinctement des relations avec le Maroc sans rien dire. La crise dure au grand dam des Républicains. Décryptage. Dans l'exquise salle des fêtes du palais de l'Elysée, le président Emmanuel Macron a tenu « les états généraux » de la diplomatie française en rassemblant ses ambassadeurs dans le cadre de la conférence annuelle. Un exercice cher au chef de l'Etat français qui, manifestement, aime débiter ses analyses personnelles pendant des heures sur la géopolitique mondiale et se montrer dans la posture du fin analyste des subtilités de l'échiquier international. Un thème qui semble le passionner.
Devant des ambassadeurs et des ambassadrices attentifs, Macron a parlé pendant deux heures, où il a déroulé sa feuille de route diplomatique dans un contexte de crise où la France continue de subir, impuissante, des revers et des affronts inédits au Sahel après le changement de régime au Niger et l'hostilité anti-française croissante en Afrique subsaharienne. Idem au Maghreb où Paris semble perdu après avoir brouillé ses cartes en étant en crise à la fois avec le Maroc et l'Algérie, deux principaux pays de la région.
Après un long silence, le président français n'avait d'autre choix que de se prononcer, ne serait-ce que légèrement, sur les relations avec le Royaume qui n'ont jamais été aussi froides. La crise silencieuse entre Rabat et Paris semble perdurer sans qu'il n'y ait aucun indice sur une possible détente. Absence prolongée d'un ambassadeur marocain à Paris, contacts rares au niveau gouvernemental, la crise est telle que même les patronats des deux pays ne sont pas parvenus à tenir une rencontre à cause du contexte actuel, jugé inopportun.
Pour Emmanuel Macron, il serait ridicule de nier l'évidence. « Soyons lucides, les relations ne sont pas au niveau qu'ils devraient être », a reconnu le chef de l'Etat français, évoquant une série de pays, en commençant par le Maroc avant d'enchaîner avec l'Algérie, la Tunisie et l'Egypte.
Bien qu'il reconnaisse qu'il y a une crise avec les pays de la région, le président français a refusé d'en assumer la responsabilité. « C'est dû à quoi ? Je ne pense pas qu'il s'agit d'un manque d'engagement avec beaucoup de pays de la part de la France, y compris dans les efforts que nous avons pu faire sur les questions de mémoire ou sur les questions économiques », a insisté le locataire de l'Elysée qui semble étonnamment convaincu que la dégradation des relations de son pays avec le Maghreb est due à une crise d'organisation de la région. Donc, dans son esprit, la France n'en est pour rien.
Revoir une politique désuète sans vision claire
Et les solutions ? Difficile d'en trouver dans la boîte à outils d'Emmanuel Macron qui a parlé de la possibilité d'engager « des initiatives bilatérales » prochainement sans citer particulièrement le cas du Maroc. Le président français, connu pour son engouement des initiatives diplomatiques sans suites, a fait part de sa volonté d'engager « un agenda de relance intergouvernemental avec toute la région » sous l'autorité de la ministre des Affaires étrangères, Catherine Colonna. Un schéma opaque qui ne donne aucune idée concrète sur les motivations de Paris. La seule chose concrète qu'on peut retenir de l'intervention d'Emmanuel Macron est que la France doit revoir sa diplomatie au Maghreb. « Nous devons repenser nos partenariats avec les pays du Maghreb et du Moyen-Orient », a-t-il dit sans donner une feuille de route claire.
En se montrant aussi ambigu, le président français semble décevoir les observateurs qui espéraient que la conférence des ambassadeurs soit porteuse d'une nouveauté concernant les relations avec le Maroc. Le chef de l'Etat français en a parlé plus franchement, en février dernier, lors de la conférence de presse tenue à la veille de sa tournée africaine. Une conférence où il a fait part de sa volonté d'avancer avec le Maroc et où il a prétendu avoir de bonnes relations avec SM le Roi. Ses déclarations ont été aussitôt contredites par une source marocaine qui a confié à « Jeune Afrique » que les relations ne sont ni bonnes ni amicales aussi bien au niveau des chefs d'Etat qu'au niveau des gouvernements. Depuis lors, le flou plane sur l'avenir de l'axe Paris-Rabat qui ne cesse de s'ébranler au point que plusieurs experts des relations franco-marocaines pensent que l'époque de la relation d'exception est révolue et que les rapports entre les deux pays ne seront plus comme avant. Vu que le Maroc a diversifié tellement ses partenaires durant les deux dernières décennies qu'il s'est affranchi du paternalisme français.
La colère des Républicains
Au moment où Macron croit pouvoir tourner la page de la brouille avec le Maroc avec des phrases et des vœux, l'opposition de droite fait montre de plus de réalisme et ne cesse de l'alerter sur les conséquences de son attitude à l'égard du Royaume. Pour les Républicains, les choses sont claires. Le président français est allé tellement loin dans son tropisme algérien qu'il a provoqué une crise sans précédent avec le Maroc, qu'il considère comme l'allié le plus crédible de la France en Afrique. Pour les camarades d'Eric Ciotti, la crise silencieuse qui dure entre le Maroc et la France est si préoccupante que ce sujet s'est imposé lors de leur rentrée politique.
D'ailleurs, lors d'un meeting, tenu le 27 août en présence des poids lourds de la droite dite républicaine, la députée Michèle Tabarot, a, à nouveau, fustigé la politique du président Emmanuel Macron au Maghreb et son entêtement forcené à se rapprocher du régime algérien malgré l'hostilité viscérale des généraux de ce pays. Devant une foule de militants, la députée a crié, haut et fort, son indignation de la politique du locataire de l'Elysée, coupable, à ses yeux, de sacrifier l'amitié franco-marocaine en faveur d'un rapprochement infructueux et inutile avec Alger.
Avec un ton grave et ferme, Michèle Tabarot n'a pas manqué d'user de termes forts. « J'en veux à Macron d'avoir sacrifié notre relation avec le Maroc pour plaire au pouvoir algérien », a-t-elle martelé sous les applaudissements des militants.
La députée, qui est aussi vice-présidente du groupe LR à l'Assemblée nationale, a réitéré, à cette occasion, l'attachement de sa formation politique à « relancer les relations entre la France et le Maroc » sur une base solide.
« Pour nous, il n'y aura pas de politique méditerranéenne sans le Maroc », a-t-elle insisté, ajoutant que « le président Macron doit comprendre cela ». Ce n'est pas la première fois que la députée LR Michèle Tabarot s'insurge publiquement contre l'attitude du chef de l'Etat français vis-à-vis de l'Algérie et qui a conduit à une dégradation inédite des relations avec le Maroc. En juin dernier, la députée a vigoureusement critiqué l'échec du tropisme algérien d'Emmanuel Macron qui n'a fait qu'encourager l'agressivité du régime algérien vis-à-vis de la France. Ceci s'est manifesté dans la réintroduction d'un couplet hostile à la France dans l'hymne national algérien par décret du président Tebboune.
L'ombre de Nicolas Sarkozy !
Cela fait des mois que les Républicains multiplient les mises en garde à l'endroit du président français et l'appellent à changer de politique afin de tourner la page de la crise avec le Royaume. Le président du parti, Eric Ciotti, s'est même rendu au Maroc, en mai dernier, en compagnie de Michèle Tabarot et Rachida Dati, afin d'engager un débat à ce sujet avec les leaders des partis de la majorité, dont le RNI et l'Istiqlal. Durant cette visite, Ciotti a publiquement affirmé son soutien à la marocanité du Sahara, estimant qu'il est temps que son pays reconnaisse la souveraineté du Maroc.
Cette position est partagée même par les personnalités imminentes de la droite française, y compris l'ex-président Nicolas Sarkozy, qui, dans son dernier livre « Le temps des combats », a estimé que la France devrait prendre clairement position en faveur de la marocanité du Sahara. Ainsi, les relations avec le Maroc deviennent un véritable sujet de désaccord entre les Républicains et le président Macron au moment où ce dernier a besoin de la droite pour construire une majorité à l'Assemblée nationale et où le parti présidentiel ne dispose que d'une majorité relative.