Elément important des armoiries royales nationales, le Lion de l'Atlas est un grand prédateur qui continue de fasciner, plus de 80 ans après sa disparition des plaines et montagnes marocaines. Le 10 août 2023, le monde a célébré la Journée mondiale du Lion. Si jadis cette espèce a pu vivre dans plusieurs territoires à travers le monde, son symbole n'est plus associé aujourd'hui qu'à une petite poignée de pays, dont le Maroc. Les prouesses de l'équipe nationale de football à la Coupe du Monde organisée au Qatar en fin 2022, comme la participation honorable de l'équipe féminine à la Coupe du Monde d'Australie, n'ont pas manqué de refaire parler des lions et des lionnes de l'Atlas dans la presse du monde entier, rappelant à cet occasion que le Maroc a hébergé une des espèces les plus impressionnantes de ces grands félins. Le prestige d'avoir l'exclusivité du majestueux Lion de l'Atlas comme emblème national a même fait des jaloux quelque part vers l'Est du Royaume... Une frustration qui peut se comprendre au vu du fait que l'aire de répartition de ce grand félin couvrait une grande partie de l'Afrique du Nord, même si la présence de ses dernières populations sauvages s'est cantonnée au Maroc avant l'ultime disparition.
Récit d'une disparition « Alors que cet animal était très abondant dans l'Antiquité et qu'il peuplait de nombreuses régions du Maroc jusqu'au XIXème siècle, il se réfugia d'abord dans les zones montagneuses boisées et la frange nord-saharienne. Rapidement décimé par les chasseurs européens, il a survécu jusqu'aux années 20 dans le Moyen Atlas, un dernier individu étant encore signalé en 1930. Jusque vers 1939, des animaux se sont maintenus près des points d'eau en limite Nord du Sahara. Dans le Haut Atlas, la dernière observation remonte à 1942 : un animal abattu près du Tizi n'Tichka ; mais l'espèce s'est probablement éteinte, comme en Algérie, dans les années cinquante, voire au-delà », confirment les auteurs du livre « Mammifères sauvages du Maroc », publié en 2017 par la Société Française pour l'Etude et la Protection des Mammifères. Le Royaume continue cependant à héberger la plus grande population captive de lions de l'Atlas (22 individus selon le site du Jardin zoologique de Rabat), grâce notamment au rôle qu'a joué la ménagerie royale qui hébergeait plusieurs lions jusqu'à la fin des années 60.
Fauverie royale « Les chefs de diverses tribus offraient régulièrement au Sultan du Maroc des lions et des lionceaux de l'Atlas qu'ils capturaient dans la Nature. Ces offrandes, qui constituaient des symboles d'allégeance, se retrouvaient dans une fauverie du palais royal où vivaient également d'autres animaux offerts par des chefs d'Etat africains », raconte Dr Brahim Haddane, président du comité UICN Maroc (Union Internationale pour la Conservation de la Nature) et ancien directeur du Zoo de Témara. « Au début des années 70, il a été décidé de déménager la fauverie à Guich Loudaya et c'est autour de ce noyau que s'est petit à petit constitué l'ancien zoo de Témara. C'est de cette population que descendent actuellement les lions qui vivent dans le jardin zoologique de Rabat », précise Dr Haddane. Avec l'implication de plusieurs scientifiques américains, français, anglais et marocains, les derniers lions de l'Atlas ont peu à peu commencé à faire l'objet d'études et de sélection afin de favoriser le maintien d'une certaine « pureté de l'espèce ».
Recherches génétiques « Comme la fauverie où se sont maintenus les lions de l'Atlas hébergeait également des lions d'Afrique, il y a eu malheureusement des croisements qui ont engendré des individus hybrides », explique l'ancien directeur du Zoo de Témara. « Nous avons travaillé sur plusieurs années pour sélectionner les individus qui étaient les plus purs génétiquement pour donner la chance à la sous-espèce marocaine de se maintenir et de garder ses spécificités génétiques et morphologiques », poursuit Dr Haddane. « Les lions de l'Atlas intéressaient énormément les scientifiques, car l'objectif ultime n'était pas uniquement de les multiplier, mais de reconstruire une population génétiquement saine et viable pour tenter un jour de les réintroduire dans la Nature », souligne le vétérinaire. Cet espoir n'a malheureusement pas pu être concrétisé. Même si le Royaume nourrissait jusqu'au début des années 2000 un ambitieux projet de réintroduction du lion de l'Atlas dans la région d'Azilal, ce programme a fini par être abandonné et, par là même, ont été définitivement enterrées les chances de rendre un jour leurs lions à nos montagnes. (Voir interview)
3 questions au Dr Brahim Haddane, expert en biodiversité « Nous allions procéder vers 2020 à la réintroduction d'un couple de lions de l'Atlas» Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur l'ancien projet de réintroduction du Lion de l'Atlas ? C'était un projet qui avait vu le jour dans les années 90 et qui devait prendre au moins deux décennies avant d'aboutir. Nous avions commencé à sélectionner quelques lions de l'Atlas dans le zoo de Temara et l'idée était de préparer une réintroduction dans une zone de 10.000 hectares située dans la région d'Azilal où nous suspections d'ailleurs une présence du Léopard de l'Atlas. Cette zone, nichée entre deux versants, était traversée par un cours d'eau et était située au cœur d'une réserve de 100.000 hectares. L'objectif était de clôturer cet écosystème et d'y reconstituer une faune marocaine typique grâce notamment à des relâcher de cerfs de berbérie et de mouflons. Le programme établi à l'époque prévoyait qu'une fois cette biodiversité consolidée, nous allions procéder vers 2020 à la réintroduction d'un couple, voire de deux couples de lions de l'Atlas dans cet habitat.
La réalisation de ce projet était-elle possible, selon vous ? Absolument. C'était évidemment un travail de longue haleine, mais nous avions à l'époque un habitat sauvage adéquat où ne vivait quasiment aucun humain. Nous avions également des bailleurs de fonds et des scientifiques qui étaient partants avec nous. Enfin, nous avions l'appui des autorités locales qui étaient intéressées par le potentiel de valorisation écotouristique de ce projet.
Pensez-vous que ce projet puisse encore être réalisable aujourd'hui ? Malheureusement, le Maroc a définitivement raté l'opportunité de réintroduire le lion de l'Atlas, qui est pourtant notre emblème national. Aujourd'hui, les conditions favorables à une réintroduction n'existent plus.
Ecologie / Lion de l'Atlas : Un chasseur redoutable et tout terrain Le lion de l'Atlas est génétiquement le cousin du lion d'Afrique. Isolé depuis des milliers d'années par un processus naturel de désertification qui a progressivement engendré la grande étendue saharienne, le lion de l'Atlas s'est progressivement adapté à son territoire. Le félin a gagné en poids (il peut atteindre 240 kg) et en taille et a développé une crinière sombre et très fournie qui le protège des hivers glacials. Si le lion d'Afrique ne participe que rarement à la chasse et se cantonne à son rôle de protecteur du territoire, les naturalistes de l'époque avaient remarqué que le lion de l'Atlas avait tendance à vivre en petits groupes, voire en solitaire, et, de ce fait, était un chasseur très actif. Dans les territoires montagneux, le lion de l'Atlas s'attaquait aux gibiers de taille respectable comme le Sanglier, le Cerf de berbérie, le Macaque ou encore le Mouflon à manchette. Dans les plaines et les territoires semi-arides, le lion de l'Atlas ajoutait les diverses espèces d'antilopes marocaines à sa liste de chasse.
Antiquité : Un grand prédateur chassé depuis des temps immémoriaux Bien que l'extinction à l'état sauvage du lion de l'Atlas dans son habitat nord-africain ne remonte qu'à la moitié du siècle dernier, les activités de braconnage qui avaient pour objectif de capturer des individus vivants remontent à plusieurs centaines d'années. À l'époque de l'empire romain, l'utilisation d'animaux féroces pour divertir les citoyens de Rome à travers les jeux organisés régulièrement dans les amphithéâtres de l'empire, avait façonné une demande que les chasseurs des deux rives de la Méditerranée s'appliquaient à combler. C'est ainsi que des milliers de lions de l'Atlas ont été capturés puis acheminés à Rome et aux diverses villes de l'empire romain qui organisaient des jeux du même genre. Des milliers de ces félins étaient tués pendant les tentatives de capture qui tournaient souvent au vinaigre. Parmi ceux qui étaient capturés vivants, beaucoup ne survivaient pas au long voyage et, enfin, ceux qui arrivaient à survivre, finissaient leurs vies dans des combats contre les gladiateurs. Malgré ce carnage, les lions de l'Atlas se sont maintenus en nombres importants sur le territoire marocain jusqu'au siècle dernier. Des explorateurs comme Léon l'Africain ou encore Mármol Carvajal ont raconté dans leurs carnets de voyage des rencontres effrayantes et des récits de chasse au lion, où les hommes utilisaient des lances, des flèches et des filets. Ces chasses épiques duraient plusieurs heures et se soldaient le plus souvent par la mort de plusieurs hommes et chevaux.