Bien que le Royaume ait accompli un long chemin en termes d'amélioration des conditions de l'emploi, une enquête réalisée par des experts du domaine pointent du doigt des lacunes qui restent à combler en ce qui concerne la qualité des conditions de travail des personnels actifs. S'il y a un grand défi auquel sont confrontées les entreprises ces derniers temps, c'est bien celui d'attirer, de retenir et de développer les talents. Autrement dit, d'offrir à leurs collaborateurs les meilleures conditions de travail possibles, comme facteur de performance et de productivité à tous les niveaux. C'est en tout cas ce qui ressort d'une enquête sur la qualité de l'emploi au Maroc, dirigée par Fouzi Mourji, économiste et professeur à l'Université Hassan II de Casablanca, qui pointe du doigt des lacunes persistantes en termes de conditions de travail, aussi bien au sein des entreprises formelles qu'informelles, soit le développement du mal-emploi au mépris du bon. Cette étude a été menée dans le cadre d'un projet initié par le CRDI canadien (Centre de Recherches pour le Développement International) et coordonnée par l'Université Cheikh Ant Diop à Dakar, dans une optique comparative, mettant en interface le Maroc et le Sénégal, le Bénin et le Cameroun.
Etat des lieux Cette étude, réalisée sur la base d'un échantillon constitué de salariés des secteurs formels et informels, a pris en considération plusieurs facteurs impactant le quotidien des travailleurs, à savoir la disposition d'un contrat de travail, l'accès aux congés payés, l'accès à une assurance-maladie, le stress à cause d'un excès de travail et le harcèlement moral et sexuel. Sur la base de ces indicateurs, l'enquête a affirmé que beaucoup de travailleurs sur le marché du travail ne bénéficient pas d'un emploi « décent », dans le sens que lui donne le BIT (Bureau international du Travail). « L'analyse du chômage concentre la plupart des travaux relatifs au marché du travail et occupe aussi une place prépondérante dans les préoccupations des décideurs », fait remarquer Pr Fouzi Mourji, soulignant que bien qu'un tel intérêt soit légitime, « il semble également opportun d'étudier la qualité du travail des femmes et des hommes qui sont en emploi ». Dans le détail, l'enquête a conclu que 35,75% des salariés du secteur informel travaillent dans de « mauvaises conditions », et 39.82% dans de conditions « moyennes ». La part des personnes travaillant dans des conditions favorables reste, sans surprise, en deça des aspirations dans le secteur informel, puisque seuls 23.08% des travailleurs concernés par l'étude disent évoluer dans de « bonnes » conditions alors que seuls 1.36% opèrent dans de très bonnes conditions. Du côté du secteur formel, les conditions semblent être meilleures, avec une qualité de travail de 78,17% des salariés jugée «bonne», alors que les conditions de travail sont «mauvaises» pour 7,04% d'entre eux, «moyennes» pour 6,34% et «très bonnes» pour 8,45%. Selon l'enquête, 18% des salariés du secteur formel ne disposent pas d'un contrat de travail, et cette situation de précarité touche davantage les nouvelles recrues. Par ailleurs, toujours selon l'étude, les employés du secteur formel sont davantage exposés au harcèlement sexuel et moral que les travailleurs de l'informel, lesquels souffrent, cependant, plus du stress ou d'excès de travail.
Conditions de travail moins favorables vs productivité
L'amélioration des conditions de travail des salariés ne profite pas, comme certains le croient, aux salariés seulement, mais bénéficie à toute l'entreprise. Les entreprises ont tout à gagner, selon notre interlocuteur, d'une optimisation des conditions de travail de leurs collaborateurs, du fait que c'est le seul et unique moyen pour tirer profit de leur plein potentiel, avec un meilleur engagement de sorte à favoriser la productivité ». «Un employé qui ne dispose d'aucun avantage serait amené à fournir le minimum d'effort au quotidien. Par contre, un salarié qui travaille dans de bonnes conditions serait toujours prêt à travailler plus et mieux, même en cas de charge de travail », plaide Fouzi Mourji. Une étude est citée par notre expert pour appuyer ce constat. Parmi un ensemble d'entreprises, à taille égale, à même ancienneté, à même secteur d'activité..., les entreprises qui performent le mieux en termes de productivité et de rendement, sont celles qui offrent à leurs collaborateurs un salaire moyen supérieur.
Vers une valorisation du cadre légal
La persistance de conditions de travail défavorables au sein des entreprises informelles demeure compréhensible du fait de leur nature, ces entreprises étant peu structurées et échappent au cadre légal, à savoir le Code du travail, mais les professionnels s'inquiètent davantage de la situation concernant les entreprises formelles. Une situation qui témoigne d'une méconnaissance de l'impact positif de l'amélioration des conditions de travail pour l'entreprise et ses collaborateurs et qui requiert, bien évidemment, la mobilisation de campagnes de contrôle pour veiller au bon respect des textes en vigueur. Pour ce faire, le Maroc affronte un autre défi, celui de l'insuffisance de l'effectif parmi les inspecteurs du travail. « Un long travail devrait se faire dans la formation des inspecteurs de travail et leur dotation en moyens, pour pouvoir couvrir l'ensemble des entreprises et donc optimiser les résultats des contrôles réalisés sur place », recommande Pr Fouzi Mourji, rappelant également la nécessité de sensibiliser les salariés à leurs droits et obligations, en matière de travail.
Trois questions à Pr Fouzi Mourji, professeur à l'Université Hassan II de Casablanca « La qualité des emplois offerts par les entreprises profite à leur productivité » Pr Faouzi Mourji qui a conduit une enquête sur la qualité des conditions de travail au Maroc répond à nos questions sur la promotion des emplois décents. L'enquête fait état de la persistance de plusieurs lacunes en termes de conditions de travail. Qu'est-ce qui, selon vous, est à l'origine de cette réalité ? D'un côté, ce constat est le résultat d'un besoin permanent en matière d'emploi. D'un autre côté, il est compréhensible d'assister à une dégradation des conditions de travail au sein des entreprises informelles car, du fait de leur nature, elles échappent au cadre légal du travail. Le problème s'avère plus inquiétant au sein des unités formelles qui ne respectent pas la législation du travail, comme le fait d'offrir à leurs employés un contrat de travail avec un salaire de moins que le SMIG. Comment est-ce que cette réalité affecte les entreprises et l'économie nationale ? Des travaux montrent que les collaborateurs qui se voient accorder des gratifications et des avantages de la part de leurs entreprises, sont plus engagés et plus enthousiastes. Un état qui permet une meilleure productivité de l'entreprise dans tous les secteurs d'activité. Par contre les entreprises qui n'accordent pas les avantages attendus de la part de leurs collaborateurs, assistent à une baisse importante de leur productivité. Pour répondre à votre question, oui : l'insuffisance de la qualité des emplois offerts par les entreprises apparait au détriment de leur productivité, car en offrant à leurs collaborateurs le minimum, les salariés fournissent de leur côté le minimum d'efforts. Vous dites que le problème ne se situe pas niveau du cadre légal mais à celui de son application, comment peut-on veiller à sa bonne application, quelle est la part de responsabilité du collaborateur ? -Certes, c'est une responsabilité partagée entre l'entreprise et ses collaborateurs malgré que ces derniers, du fait de leur situation, acceptent des emplois bien que leur qualité soit en deça des attentes. Pour changer la donne, il faut que tout le monde ait conscience du cadre régissant le marché pour que chacun puisse être en mesure de refuser un travail qui ne lui paraît pas décent. Il importe également de renforcer les campagnes de contrôle au sein des entreprises et la formation de plus d'inspecteurs de travail à cette question pour couvrir les besoins qui se ressentent en la matière.