Du biscuit au four, certains entrepreneurs marocains ont réussi des miracles avec des produits simples et novateurs. De quoi inspirer les nouvelles générations. Nouvelle ère pour l'investissement industriel ? A l'inauguration de la journée nationale de l'industrie le 29 mars dernier, un message royal a appelé à un produit local performant et concurrentiel pour que le Royaume réduise sa dépendance vis-à-vis du marché international. Ainsi, les investisseurs marocains devraient se diriger vers des secteurs plus performants et à forte valeur ajoutée, capables de concurrencer les plus grands pays. Cette orientation s'inscrit dans la mise en œuvre de la nouvelle Charte de l'Investissement, qui veut dynamiser l'investissement privé et le tissu entrepreneurial national. Dans ce domaine, le pays ne va pas bâtir sur du néant. Depuis l'indépendance, plusieurs aventures industrielles se sont révélées être des réussites flamboyantes, occupant jusqu'à aujourd'hui les premières places dans des marchés pourtant fortement concurrentiels. Voici une sélection de huit des plus grandes success stories industrielles et commerciales du Royaume, qui ont tracé le chemin pour un secteur industriel performant et d'avenir.
Brosse Tazi
C'est cette petite brosse en plastique ronde, avec un crochet qu'on glisse entre les doigts pour mieux maîtriser le mouvement. Il s'agit de la célèbre brosse Tazi, qui a coiffé tant de cheveux marocains. C'est en 1954 que Abdelaziz Tazi, exilé en France, rentre au pays avec l'idée de fabriquer un peigne en plastique à un prix abordable. Il choisit le modèle et commercialise le produit qui connaîtra un grand succès. Même si le modèle a été copié par plusieurs concurrents, l'entreprise vend toujours plus de 12 millions de pièces par an. Quant à Abdelaziz Tazi, il lancera d'autres entreprises, dont la célèbre marque de matelas Richbond.
Confiture Aïcha
Des générations de Marocains ont grandi avec les publicités de cette petite fille prénommée Aïcha, qui gambade dans son "Jnane" à la recherche des meilleurs fruits pour en faire de la confiture. Derrière la publicité devenue mythique, il y a une véritable success story de l'agroalimentaire marocain. Il s'agit des Conserves Meknès, entreprise créée en 1962 par la famille juive marocaine Devico. L'entreprise s'est depuis développée autour de trois pôles : la conserverie, l'huilerie et les surgelés. Dernièrement, la famille basée à Meknès s'est aussi lancée dans le vin. Depuis près de 60 ans, le groupe de conserves Meknès a toujours sauvegardé son statut de leader de la confiture et des conserves de fruits sur le marché local, et de grand exportateur vers aussi bien l'Afrique, le Moyen-Orient que les Etats-Unis.
Aiguebelle Le chocolat Aiguebelle est probablement la plus vieille marque toujours commercialisée au Maroc. Le produit est d'abord élaboré en 1868 par l'abbaye d'Aiguebelle, dont les moines fabriquent de manière traditionnelle des chocolats et confiseries. Les maîtres chocolatiers de cette abbaye s'installent en 1941 au Maroc, et décident de produire leur célèbre chocolat localement en créant la Compagnie Chérifienne de Chocolaterie. Ce n'est qu'en 1987 que la Compagnie Chérifienne de Chocolaterie est rachetée par le groupe OMNIPAR de la famille Berrada. Les nouveaux propriétaires développent et diversifient la marque, jusqu'au 24 mars où l'entreprise a inauguré une nouvelle ligne de production pour un investissement de 75 millions de dirhams. Kitea
On aurait pu penser qu'avec l'installation au Maroc du géant suédois des meubles en kit Ikea, l'existence de Kitea serait menacée. Mais c'était sans compter sur l'agilité et la vision de l'entreprise marocaine, qui a su s'adapter et prospérer. Kitea est fondée en 1993 par Amine Benkirane, dans l'optique de pallier au manque de produits structurés dans le mobilier et l'équipement de la maison sur le marché marocain. L'entreprise se développe très rapidement et couvre 17 villes du Royaume. Kitea a su aussi se diversifier en se lançant dans le mobilier professionnel, ainsi que le mobilier haut de gamme en obtenant la franchise de la marque Roche Bobois. Le groupe est par ailleurs présent dans plusieurs pays subsahariens, comme le Kenya, la Guinée Equatoriale et la République Démocratique du Congo. Flash
Le célèbre chewing-gum a su se tailler une place de choix chez les Marocains. Flash, c'est une histoire qui remonte à plus d'un demi-siècle. En 1959, Mohamed Marrakchi crée la Maghreb Company Chewing Gum, dans le but de vendre localement et d'exporter la fameuse pâte à mâcher. Voulant s'attaquer au marché ibérique, l'entreprise crée en 1965 la marque Flash, avec une unité de production en Espagne. En 1974, la Maghreb Company Chewing Gum est renommée Maghreb Industries, et cinq ans plus tard le célèbre chewing-gum Flash, destiné initialement au marché espagnol, est lancé au Maroc. L'actuel PDG Hakim Marrakchi prend les commandes de l'entreprise en 1989, et la marque devient le leader incontesté de ce marché, statut qu'elle conservera jusqu'à aujourd'hui. Entre-temps, Maghreb Industries se diversifie dans les bonbons, dragées et sucettes, et part à la conquête de l'international, en exportant vers l'Europe, les Etats-Unis et jusqu'en Australie. Colorado
C'est l'un des fleurons de l'industrie nationale, avec un chiffre d'affaires dépassant les 600 millions de dirhams en 2022. L'entreprise spécialisée dans la fabrication de peinture Colorado est fondée en 1962 par la famille Berrada. Elle mise dès le début sur l'innovation et la proximité géographique avec ses clients, et devient leader dans le domaine de la peinture au Maroc. Forte de résultats solides, Colorado s'introduit en 2006 à la Bourse de Casablanca. L'année suivante, l'entreprise s'installe dans un nouveau site industriel à Dar Bouazza, dans les environs de la capitale économique. En 2008, Colorado commence à effectuer ses premières opérations d'exportation, notamment vers l'Afrique. Actuellement, Colorado se targue d'être présente également en Europe et au Moyen-Orient. Henry's
Tous les Marocains connaissent ce biscuit à l'emballage rouge et vert, dont la forme et le goût n'ont pas changé depuis des générations. Cette marque remonte à 1929, lorsqu'un certain M. Henri fabriquait traditionnellement des biscuits dans un petit atelier à Casablanca. Le biscuit était vendu dans une boîte en fer blanc consignée dite «demi-tine», unité de mesure qui correspond à 1,5 kg. L'affaire est reprise en 1940 par la famille franco-marocaine Philibert. Ce sont les nouveaux propriétaires qui donnent au produit l'emballage et la forme qu'on connaît. Ils investissent aussi dans une nouvelle usine mécanisée et diversifient leurs gammes, avec Paty's pour les produits secs et froids et Pingouin pour les crèmes glacées. La famille restructure ses participations en 1990, en créant Mobigen, une holding de droit marocain. Four Afifi
Les Afifi, ce sont trois frères d'origine palestinienne installés au Maroc. La fratrie décide en 1979 de fabriquer localement le premier four à gaz, à une époque où la majorité des foyers ne connaissaient que les fours à bois. Son design simple, sa robustesse et son efficacité séduisent très vite les Marocains. En 1990, l'entreprise est rachetée par une certaine famille Laâbi, mais l'expérience tourne court car les nouveaux gestionnaires n'arrivent pas à perpétuer la réussite commerciale. Huit ans plus tard, un autre entrepreneur du nom de Mohamed Diouri se propose de racheter l'entreprise afin de la remettre à pied. Mohamed Diouri réussit son pari et l'entreprise remonte la pente. Elle atteint sa vitesse de croisière en 2011, et fabrique chaque année près de 21.000 unités, qui ne couvrent pas seulement le marché marocain, mais aussi mauritanien et d'autres pays africains.
Soufiane CHAHID 3 questions à Hakim Marrakchi « Il y a un déficit fiscal de compétitivité entre les marques marocaines et étrangères» Entrepreneur et industriel et économiste chevronné, Hakim Marrakchi, patron de Maghreb Industries, nous parle des facteurs de développement des marques marocaines.
Quel état des lieux faites-vous de la présence des marques marocaines dans le marché national ?
- Le premier constat qu'on pourrait faire, c'est que nous avons perdu beaucoup de marques nationales au fil des années. Avant les accords de libre-échange et la mondialisation, il y avait une dynamique favorable à la création et au développement des marques marocaines. Néanmoins, celles-ci n'ont pas pu résister à l'ouverture du marché à cause des écarts de compétitivité entre elles et les marques étrangères. Ainsi, il y a certaines marques nationales qui ont été rachetées par de grandes multinationales, tandis que d'autres ont été forcées à mettre les clés sous la porte. Le rachat de la marque SIM par Pepsi Cola témoigne, par exemple, de la dynamique engendrée par l'ouverture du marché. Ceci dit, l'évolution des marques nationales est visiblement parallèle à celle de la compétitivité de l'Industrie nationale. Si cette dernière est forte, les enseignes locales vont résister, sinon, les marques marocaines deviennent menacées.
Le paysage audiovisuel a-t-il joué un rôle dans cette dégradation de la marque marocaine ?
- En effet, le paysage audiovisuel national a été envahi de marques étrangères, ce qui n'a pas été sans conséquence sur les habitudes d'achat des consommateurs. D'autant plus que ces mêmes marques achetaient de la publicité dans les chaînes étrangères, qui étaient fortement regardées par les Marocains, chose que les enseignes nationales ne pouvaient pas se permettre vue le coût énorme de ces publicités. Dans ce sens, il aurait fallu ouvrir des canaux privilégiés pour les marques marocaines de sorte à équilibrer la balance de la compétitivité, ne serait-ce qu'en partie. Les chaînes de distribution étrangères ont également contribué à la destruction du produit local, du moment qu'elles privilégient leurs propres produits. C'était le cas avec BIM il y a quelques années, avant l'intervention de la tutelle pour obliger la distribution d'un quota bien précis de produits marocains.
Comment peut-on développer la marque marocaine ?
- Renforcer la marque nationale, c'est tout d'abord donner des moyens privilégiés pour qu'ils puissent communiquer sur leurs produits. En Malaisie par exemple, les producteurs locaux qui souhaitent faire de la publicité, sont avantagés fiscalement. Le législateur peut aussi mettre en place des systèmes de primes pour les enseignes marocaines, avec en ligne de mire donner un avantage compétitif par rapport aux marques étrangères, sachant qu'au Maroc le coût de la main d'œuvre est élevé, les taxes aussi, sans oublier les droits de douanes. Il y a donc un déficit fiscal de compétitivité qu'il faudrait combler. Il faut donc mettre en place des conditions optimales pour le développement des marques marocaines, qui sont un enjeu majeur pour la souveraineté industrielle et économique du pays.
L'info...Graphie Made in Morocco : Comment améliorer la qualité ? Si les consommateurs marocains n'achètent pas davantage de produits Made In Morocco, c'est que pour eux ils seraient de moins bonne qualité que les produits importés. Souvent faux, ce préjugé reste cependant ancré chez les consommateurs qui ne font pas facilement confiance au produit local.
Encourager le Made In Morocco passe donc d'abord par convaincre et réconcilier les Marocains avec les produits de leur propre pays, en leur faisant comprendre qu'un produit local peut rivaliser en tous points avec un produit importé. Selon l'industriel Hakim Marrakchi, cette différenciation ne devrait pas avoir lieu puisque "si un produit est exportable, cela veut dire qu'il est compétitif en termes de prix et de qualité à l'étranger. Ces produits ont déjà fait leur preuve dans le textile, l'agroalimentaire et autres", nous explique-t-il.
Selon lui, pour tisser la confiance avec le consommateur marocain, il faut travailler sur les aspects qualitatifs et normatifs. Cela passe par le développement d'une image positive et d'un cahier de charges avec des normes de qualité élevées pour que l'acheteur se sente davantage en sécurité. Dans ce sens, il serait intéressant de développer des labels Made In Morocco. "On en a discuté avec le ministre de l'Industrie Ryad Mezzour, dans l'optique de développer un label Made in Morocco, et on a eu son accord de principe. Il ne reste plus qu'à enclencher le chantier", nous apprend Hakim Marrakchi. Success stories : Ces marques marocaines qui ont su briller La lettre royale à l'inauguration de la journée nationale de l'industrie a appelé à un produit local performant et concurrentiel. Cela passe par la mobilisation des investissements dans le secteur privé, ainsi qu'un appui de l'administration publique. Si avec la Charte de l'Investissement, le chemin est désormais tracé pour les hommes d'affaires, ce n'était pas le cas il y a un demi-siècle. Et pourtant, plusieurs entrepreneurs ont eu le courage de se lancer dans des aventures risquées qui ont fini par devenir des success stories. Des biscuits aux fours en passant par les brosses, ses produits ont su gagner le cœur des Marocains et devenir des marques mythiques qui ont pu supplanter les produits importés. Il y a dans ces expériences beaucoup de leçons à tirer afin de réussir à développer des marques fortes et un tissu entrepreneurial dense et diversifié.