Prolongation de la durée de formation, retard de titularisation et d'affectation, les lauréats de la 3ème promotion de l'Ecole nationale supérieure de l'administration publique à Rabat végètent dans l'incertitude. Leur affaire a tourné au bras de fer qui semble se prolonger sans issue proche. Rien ne va plus entre la direction de l'Ecole nationale supérieure de l'administration de Rabat (ENSA) et un bon nombre de lauréats, futurs hauts fonctionnaires de l'administration publique. A l'heure où l'ENSA vient de lancer son concours pour accueillir la 6ème promotion, les lauréats des promotions précédentes, notamment la 3ème, trainent toujours un statut de « fonctionnaire stagiaire » et déplorent l'absence de régularisation de leur situation. Un statut peu enviable qui a poussé la majorité de ces lauréats (30 personnes) à adresser une lettre au Chef du gouvernement en tant qu'autorité de tutelle pour hâter la régularisation de leur situation. Une telle démarche n'a pas été pour plaire au staff administratif de l'école qui pointe du doigt le niveau de ces lauréats. « Ce sont le moins bien classés qui sont mobilisés dans cette action. Les meilleurs de la promotion sont,eux, en phase de stage », nous a déclaré un responsable de l'école. Mais de tels propos sont complètement démentis par un lauréat de la même promotion dont le nom figure parmi les meilleurs, lequel déplore ce qu'il qualifie d'«échec » d'un projet conçu pour la formation de l'élite de la fonction publique. Conformément à la loi 038.13 portant création de l'établissement, dès leur admission à l'école, les étudiants non fonctionnaires intègrent automatiquement la fonction publique. Juste après la fin de leur formation, ils sont censés être affectés dans les différentes administrations et grands corps de l'Etat tout en bénéficiant d'une ancienneté de 4 ans. Or, dans le cas d'espèce, après la fin de leur cursus, qui a duré plus que prévu, les futurs hauts fonctionnaires de l'administration publique gardent le statut de fonctionnaires stagiaires sans affectation.
Pourquoi 4 ans de formation au lieu de 2 ans ?
Bien que le décret portant règlementation du cycle de formation initiale de l'Ecole fixe la durée de formation à 24 mois, celle de la 3ème promotion s'est étalée sur 4 ans. Chose que l'école considère comme une « mesure liée au contexte marqué par la propagation de la Covid-19 » et avance qu'elle a été décidée de manière légale. « La pandémie de la Covid-19 a pesé sur le bon déroulement, non pas seulement de la formation mais aussi des stages de terrain de la 3ème promotion », nous a indiqué Saïd Rachek, directeur des ressources humaines et financières au sein de l'ENSA, ajoutant : « Bien que les professionnels chargés de l'encadrement des étudiants de l'école ne sont pas tous familiarisés avec les outils numériques, certains d'entre eux n'ont pas pu s'adapter avec les cours à distance, malgré la mise en place des outils nécessaires pour réussir cette opération, parce que tout simplement certains ateliers et travaux collectifs ne pouvaient pas se dérouler en ligne. Ce n'est qu'après l'assouplissement des conditions sanitaires que nous avons pu reprendre notre rythme de formation », explique-t-il. Autre volet relatif à la formation pédagogique, la conjoncture a pesé, semble-t-il, sur le bon déroulement des stages de terrain de la 3ème promotion des hauts fonctionnaires de l'administration publique. « S'organiser en temps de crise pour intégrer les 50 membres de la promotion dans l'administration publique n'était pas évident, surtout avec les règles sanitaires instaurées au sein des différentes administrations. Il nous a fallu beaucoup de temps pour réussir la coordination dans ce sens, afin de permettre aux lauréats de passer leur stage en présentiel au lieu du mode à distance tel que cela a été imposé par la conjoncture », précise-t-il, ajoutant que cette même promotion n'a pas pu non plus faire son stage à l'étranger, comme prévu, pour les mêmes motifs. Des propos catégoriquement rejetés par les 32 étudiants formant la coordination des étudiants lauréats de l'ENSA, qui déplorent une prolongation « hors la loi et sans avis préalable». « Nous n'avons jamais arrêté nos cours même en période de crise. Certains des étudiants fonctionnaires ont été contactés, vers la fin des 24 mois de formation, par leurs administrations pour intégrer leurs fonctions. Même lorsqu'ils se sont enquis desdites décisions de prolongation, ils n'ont rien eu comme justification», nous a confié un lauréat 2022 de l'ENSA qui invoque, dans ce sens, la loi portant création de l'école qui ne prévoit, en aucun cas, une prolongation de la formation au-delà des 24 mois réglementaires. A ce sujet, les lauréats revendiquent à ce que leur titularisation prenne effet à la fin des 24 mois de formation et non pas après 4 ans, chose qui n'est pas possible, aux yeux des responsables de l'école, qui soulignent que la titularisation du lauréat prend effet à la date des résultats des délibérations, avec un classement à l'échelle 11.
Affectation des lauréats : Question de temps ou de volonté ?
Bien que la 3ème promotion a fini son cursus de formation en novembre 2022, celle-ci reste confinée dans une situation de non affectation avec notamment comme titre, celui de fonctionnaire stagiaire depuis le début de la formation en février 2019. « L'école a déjà accueilli sa 5ème promotion alors que la 3ème reste encore incertaine sur son sort. Certains des lauréats de la 2ème promotion ne sont pas encore affectés non plus, ce qui n'existe nulle part », affirme le même lauréat de l'ENSA en faisant référence au statut général de la fonction publique de 1958 qui fixe la durée de stage à un an renouvelable une seule fois. « Malgré les différentes tentatives de contacts menées auprès de l'école, nous n'avons rien eu de nouveau par rapport au sujet de l'affectation. C'est vrai que notre dossier a commencé à bouger après avoir adressé une lettre au Chef du gouvernement, mais nous avons constaté que seuls quelques départements ministériels ont été contactés au sujet de notre affectation et non pas les grands corps de l'Etat », nous a-t-il confié notant que cette démarche va à l'encontre du principe de l'égalité des chances. Autrement dit, les lauréats revendiquent, comme édicté dans l'article 19 de la loi 038.13 portant création de l'ENSA, l'affectation dans les grands corps de l'Etat comme premier choix et les départements ministériels comme deuxième choix, le tout dans le cadre d'une approche participative qui prend en compte les profils et les affinités des 48 lauréats de la promotion. « Si jamais ils comptent sur les différents départements ministériels pour nous titulariser, nous serons dans l'obligation de passer un an de plus dans le département en question. Nous allons donc perdre deux ans de plus, chose qui s'est passée avec la 1ère et la 2ème promotion et qu'on espère ne pas rééditer », nous explique-t-il. Du point de vue de l'Ecole nationale supérieure de l'administration, l'affectation des lauréats de la 3ème promotion reste une question de temps. Le directeur des ressources humaines nous a indiqué, à cet égard, que les démarches vont bon train auprès des différents départements ministériels mais aussi les grands corps de l'Etat, pour réussir la régularisation du statut des lauréats de la même promotion. « A l'instar des départements ministériels, la Cour des comptes, qui recrute les mieux classés de la promotion, est en train d'examiner le dossier pédagogique des lauréats, mais le processus est un peu long », a admis le directeur des ressources humaines de l'ENSA qui s'est dit pleinement mobilisé sur ce dossier, rappelant que le poste de chacun des lauréats est garanti par la loi. L'administration publique représente l'attraction phare des lauréats. « Par exemple, le ministre des Finances a recruté 12 fonctionnaires parmi la 1ère promotion, puis 24 parmi la 2ème. Un chiffre en mesure d'augmenter en 2023. Ce même département va convoquer les lauréats retenus pour des entretiens, après validation les noms seront notifiés au Chef du gouvernement pour officialiser leur statut », détaille-t-il. A ce sujet, les étudiants non fonctionnaires de la même promotion pointent du doigt la procédure de recrutement mise en place par les départements concernés, d'autant plus qu'elle ne repose pas sur le recrutement direct tel que prévu par la loi. « Ce n'est pas acceptable de convoquer un lauréat de l'ENSA pour passer de nouveaux entretiens préalablement à son affectation. Celle-ci doit se faire de manière directe», insiste le même lauréat.
A propos de l'ENSA Créée en 2015 suite à une fusion entre l'Ecole Nationale d'Administration (ENA) et l'Institut supérieur d'Administration, l'ENSA a accueilli sa première promotion en 2017. Son cycle de formation initiale a pour objectif de former une nouvelle génération de « hauts fonctionnaires », de «managers publics efficaces», et d'«ambassadeurs des valeurs du service public». Le concours d'entrée au Cycle de formation initiale exige la détention d'un diplôme donnant accès à l'échelle 11 de la fonction publique (Master, Master spécialisé, Diplôme d'ingénieur d'Etat ou tout autre diplôme reconnu équivalent) en plus d'une ancienneté d'au moins de 2 ans pour les candidats fonctionnaires. La formation qui s'étale sur une durée de 2 ans comprend le volet pédagogique (travaux collectifs, ateliers...) et le volet pratique qui se traduit par des stages de terrain au Maroc et à l'étranger.