Le rythme d'adoption des programmes axés sur la digitalisation des entreprises industrielles a tendance à s'accélérer ces dernières années au Maroc. Tel est du moins le constat dressé dans un récent Policy Paper élaboré par le Policy Center for the New South (PCNS). La prise de conscience de la nécessité de s'adapter aux transformations de l'industrie, notamment celles induites par la digitalisation de la production, s'est accrue au cours des trois dernières décennies au Maroc, en Tunisie et en Egypte. C'est l'une des affirmations d'un récent Policy Paper intitulé « Digitalise to industrialise : Egypt, Morocco, Tunisia, and the Africa–Europe Partnership », publié par le Policy Center for the New South (PCNS) et rédigé par les économistes Karim El Aynaoui, Larabi Jaïdi et Akram Zaoui. Cette prise de conscience a encore été stimulée au cours de la dernière décennie par le rôle que jouent les technologies numériques dans l'économie mondiale et, plus récemment, par la pandémie de Covid-19, soulignent les auteurs de cette étude. Et de poursuivre que les investissements directs étrangers (IDE) et les exportations vers l'UE, associés à des politiques industrielles adéquates axées sur la modernisation des processus des entreprises industrielles, ont aidé les trois pays à renforcer leur tissu manufacturier. L'industrie manufacturière est donc un élément clé du commerce entre les trois pays d'Afrique du Nord et l'UE, estiment les auteurs de ce Policy Paper. Néanmoins, poursuit la même source, les incitations pour les entreprises industrielles à améliorer leur utilisation des outils numériques ont donné des résultats limités, et le manque d'adoption de ces outils pourrait constituer une menace potentielle pour leur secteur manufacturier dans son ensemble. Le Maroc, la Tunisie et l'Egypte ont co-développé leurs stratégies industrielles et numériques, relève-t-on de même source. Les plus hautes autorités de chacun des trois Etats ont manifesté un vif intérêt pour les TIC. Par exemple, le Maroc a commencé à adopter des stratégies liées au numérique à la fin des années 1990 avec le plan quinquennal 1999-2003, suivi de «e-Maroc 2010» (2005-2010) et de la «Stratégie nationale pour la société de l'information et l'économie numérique» appelée « Maroc Numeric 2013 ». De l'avis des rédacteurs de cette analyse, dans les trois pays, ces stratégies n'ont cependant pas atteint les résultats escomptés. Par exemple, au Maroc, la stratégie « e-Maroc 2010 » n'a jamais été évaluée. Idem pour la stratégie « Maroc Numeric 2013 » qui s'est soldée, d'après un rapport de la Cour des Comptes, par une nette sous-performance. Sans oublier que seules 295 entreprises marocaines ont bénéficié de l'accompagnement de « Moussanada TI » pour se doter de systèmes d'information professionnels, loin des 3.000 objectifs que « Maroc Numeric 2013 » avait prévus. Cas du Maroc Quoiqu'il en soit, les rédacteurs de ce Policy Paper estiment que le rythme d'adoption des programmes axés sur la digitalisation des entreprises industrielles a eu tendance à s'accélérer ces dernières années, et les autorités poussent le secteur privé, et notamment les PME, à adopter davantage les technologies numériques. Sans oublier que l'une des particularités du Maroc est que les institutions universitaires financées par le secteur privé jouent un rôle clé dans cette poussée. De même, le Royaume a adopté des mécanismes relevant du « Maroc PME » et de l'ADD (Agence de Développement du Digital). Il s'agit notamment de «Tatwir Startups» qui a été lancé en février 2021. Ce programme vise à soutenir les startups pertinentes pour l'industrie marocaine et fait partie du plan de relance industrielle (2021-2023) qui a été inauguré par le ministère de l'Industrie pour faire face à la crise économique induite par la pandémie de Covid-19. L'Université Mohammed VI Polytechnique, institution académique disposant de locaux dans différentes villes du Maroc et financée par le Groupe OCP, premier groupe industriel au Maroc, a inauguré en février 2021 un data center et le supercalculateur le plus puissant d'Afrique. Il héberge également un Innovation Lab for Operations axé sur les solutions de digitalisation industrielle. Une autre initiative est le récent Memorandum of Understanding (MoU) entre le ministère de l'Industrie, l'ADD, l'Université euro-méditerranéenne de Fès (EMUF) et le Consortium de projet «Fez Smart Factory» pour développer des projets I4.0 et encourager la numérisation des PME industrielles de la région de Fès (Centre-Nord). Le MoU fait ainsi le pont entre le projet « Smart Factory » de l'ADD et le « Fez Smart Factory Project » de l'EMUF, visant à créer une zone intégrée et durable pour les industriels qui souhaitent digitaliser et moderniser leurs activités dans la région de Fès. L'EMUF, qui a reçu des financements de l'Union pour la Méditerranée (UpM) et de l'UE, a également été le lieu choisi pour la deuxième édition de la Global Industry Conference 4.0 en 2021 (la première édition a eu lieu en 2019), un événement placé sous l'égide du ministère de l'Industrie. Les acteurs non académiques relevant de la sphère des organisations professionnelles sont également engagés dans l'adaptation de la main-d'oeuvre à l'ère numérique. Ainsi, la Fédération Marocaine des Technologies de l'Information, des Télécommunications et de l'Offshoring s'est associée à l'Agence Nationale de Promotion de l'Emploi et des Compétences pour créer des programmes de formation professionnelle en matière numérique. Conclusion et recommandations D'une manière générale, cette analyse du PCSN indique que les trois pays (Maroc, Tunisie et Egypte) ont acquis une expérience et des connaissances dans la conception de politiques sectorielles, notamment industrielles et numériques. Néanmoins, ces stratégies sont souvent mal évaluées (par manque de données) ou échouent à cause d'un excès d'optimisme ou d'une mauvaise mise en oeuvre. La priorité donnée au secteur manufacturier pour aborder la transition numérique reste faible et devrait être encouragée, recommande le Policy Paper. Cette étude estime aussi que l'UE pourrait jouer un rôle pour s'assurer que cette numérisation figure en bonne place sur les agendas officiels du Maroc, de la Tunisie et de l'Egypte. Par exemple, un meilleur financement pourrait être fourni par l'UE pour soutenir les investissements dans la numérisation pour les entreprises manufacturières par le biais de fonds publics nord-africains dédiés à la modernisation de la production industrielle. Cela pourrait être un moyen de favoriser le renforcement des chaînes de valeur transméditerranéennes. Le financement pourrait également être intensifié pour des programmes de formation rationalisés et plus clairs et des infrastructures liées à la numérisation. Le Policy Paper note également que des avantages fiscaux ciblés pourraient aussi être fournis par les trois pays aux entreprises qui numérisent leurs opérations ou forment leur main-d'oeuvre à l'utilisation des outils numériques. A. CHANNAJE ADD, catalyseur de la transformation digitale du Maroc
L'Agence de Développement du Digital (ADD), créée en vertu de la loi 61.16 publiée au Bulletin Officiel n°6604 du 14 septembre 2017, est un établissement public stratégique doté de la personnalité morale et de l'autonomie financière. Placée sous tutelle du ministère Délégué auprès du Chef du gouvernement chargé de la Transition numérique et de la Réforme de l'administration, l'Agence est chargée de mettre en oeuvre la stratégie de l'Etat en matière de développement du digital et de promouvoir la diffusion des outils numériques et le développement de leur usage auprès des citoyens. Plusieurs missions transverses sont assignées à l'Agence de Développement du Digital, en sa qualité d'acteur institutionnel. Elles visent à structurer l'écosystème du digital et à faire émerger de véritables opérateurs dans l'économie numérique.