Si aujourd'hui, grâce aux diverses avancées technologiques, les inconditionnels du football ont un accès facile et direct aux matchs de la très attendue Coupe du Monde au Qatar, il fut un temps où ce plaisir était l'apanage des «happy few». Rétrospective : nous sommes au tout début des années 1990. La prolifération massive d'antennes paraboliques est, très vite, devenue un phénomène de société. Les possesseurs de cette invention technologique pouvaient suivre les matchs des championnats européens, de la Coupe d'Afrique des Nations et de la sacro-sainte Coupe du Monde, en direct, devant leur téléviseur, grâce à un décodeur relié par câble à ce que beaucoup de Marocains ont accepté d'appeler «l'assiette». Pour s'offrir une telle commodité, les prix démarraient à 3500 dirhams. Les plus grandes paraboles, celles dont les diamètres captaient le plus grand nombre de bouquets satellitaires, valaient, quant à elles, aux alentours de 10.000 dirhams. Si la motivation des uns était de n'avoir d'yeux que pour les séries arabes et autres «telenovelas latinas», beaucoup d'autres ne juraient que par le ballon rond, a fortiori quand il s'agit d'équipes de haute voltige. Sur les terrasses des cafés, la vue panoramique sur les terrasses des foyers marocains était tout à fait spectaculaire. Mais Marocmétrie (société marocaine de la mesure de l'audience) savait mieux que quiconque que pendant le «Prime time», (les heures générant le plus grand nombre de vues) beaucoup de décodeurs diffusaient des images de matchs de football, quels qu'en soient la manifestation sportive et le pays d'origine. «Quand je vivais à la Cité universitaire de Souissi-Rabat vers le milieu des années 1990, je me souviens que lors des grands matchs, nous prenions d'assaut la salle de repos de notre buvette. Et pour cause, nous pouvions y regarder en direct les matchs de la CAN et de la Champions league », se remémore Rizkallah, banquier et supporter du FC Barcelone, avant de poursuivre que «les étudiants les plus fortunés préféraient regarder les diffusions dans les cafés des grands hôtels car leurs paraboles avaient de plus grands diamètres et permettaient une offre plus diversifiée de matchs». Mis-à-part les étudiants mordus de foot, d'aucuns ont même dû casser leurs tirelires et pas seulement. «Même si aujourd'hui elles sont devenues surannées, les paraboles des années 1990 et 2000, surtout les plus grandes, étaient par ailleurs un signe ostentatoire de richesse. Les bourses modestes, pour leur part, préféraient souscrire des crédits à la consommation et payer cette merveille technologique en petites mensualités. Les hommes surtout, mais aussi les femmes qui aiment le football, pouvaient pour la première fois dans l'histoire du paysage audiovisuel marocain, regarder de grands matchs en direct ou même en différé mais en bonne qualité», se souvient Aïcha, fonctionnaire publique. Toutefois, il faut rappeler qu'à la fin des années 80, en 1989, année du lancement de la chaîne 2M, les Marocains d'alors ont connu les chaînes cryptées le soir et accessibles la journée. C'était le cas de 2M et de la chaîne française Canal+. Durant ces années, seules les personnes abonnées à ces canaux et disposant donc de décodeurs leur permettant de décrypter les programmes payants, pouvaient visionner les matchs à grand succès. La parabole, kézako ? Une antenne parabolique, communément appelée parabole par le grand public, est un dispositif technique équipé d'un réflecteur permettant de capter et focaliser les signaux provenant d'un satellite, d'une liaison hertzienne ou d'un émetteur de télévision terrestre, vers un convertisseur, destiné à être relié par un câble, à un récepteur ou démodulateur satellite ou encore à une unité de distribution de télévision par câble. Tunisie : la parabole, «inaccessible étoile» ? En Tunisie, l'attitude du régime de Ben Ali a été beaucoup plus virulente. Dès 1990, les premières antennes paraboliques valaient peu ou prou 2000 euros. Les moins onéreuses, dont le prix a été baissé par des revendeurs ou des particuliers, coûtaient entre 1000 et 1500 euros. Ipso facto, ce luxe était destiné aux plus fortunés. En 1995, le gouvernement a jugé bon de freiner l'équipement des ménages en cette invention controversée en suspendant l'importation du matériel et en taxant les utilisateurs. Les chaînes nationales avaient donc monopolisé les droits de diffusion des matchs de football de la CAN et des Coupes du monde des années 90. Les commentateurs sportifs tunisiens sont, alors, devenus notoirement connus à l'échelle du Maghreb et même du Moyen-Orient. À l'approche des années 2000, les choses se sont normalisées, et les Tunisiens ont enfin pu rattraper leur retard en matière de technologie. Houda BELABD Football qatari Une passion sportive érigée en culture !
L'émergence du football dans le petit émirat du Qatar remonte à la fin des années 1940, avec l'ouverture du pays, sur fond d'essor pétrolier qui a attiré des milliers de travailleurs étrangers. La main-d'oeuvre étrangère constitue environ 88 % de la population, dont la majorité est composée de Sud-asiatiques, les personnes originaires d'Inde étant estimées à environ 700.000. Les Egyptiens et les Philippins constituent le plus grand groupe de migrants non sud-asiatiques au Qatar. La popularité du football parmi ces travailleurs a conduit le Qatar à cultiver ce sport comme enjeu pour cristalliser les liens intercommunautaires. Les retombées pétrolières ont permis au football de s'institutionnaliser, surtout lorsque le pays est devenu indépendant en 1971. Au début des années 1980, l'équipe de football qatarie est devenue une véritable incarnation des sentiments identitaires. Le sport est alors l'occasion de se rassembler autour de la figure de l'Emir. Ainsi, en 1984, l'équipe affiche ses premiers bons résultats de niveau international, comme par exemple le match contre la France aux Jeux Olympiques de Los Angeles (2-2). De plus, une percée majeure a eu lieu dans les années 1990. À cette époque, la population a fortement augmenté en raison du développement prodigieux des secteurs du pétrole et du gaz naturel, les centres commerciaux ont fait florès encourageant la culture consumériste, ce qui a détient sur le sport, devenu moins séduisant. Le père de l'Emir actuel avait alors décidé de développer une autre approche en la matière. De nombreux représentants de la famille régnante ont alors entrepris d'investir une partie de leur fortune dans les clubs locaux. De surcroît, c'est à cette époque qu'est créée l'Aspire Academy, ce vaste centre de formation piloté à tour de rôle par des stars mondiales du football, qui formera des joueurs du monde entier, promis à être naturalisés en fonction de leurs prouesses. En effet, pas moins de 90% de la population qatarie est étrangère. Ce schéma de sélection inclut l'Afrique, l'Amérique latine et l'Asie. Le football qatari renforce, à nouveau, son attractivité. Ainsi, l'ancien entraîneur du Paris Saint-Germain Laurent Blanc a été nommé entraîneur du club Al-Rayyan de décembre 2020 à février 2022. En 2019, le Qatar a remporté la Coupe d'Asie grâce à son équipe nationale performante et bien entraînée. Dans la même ligne, le Qatar a flairé très tôt les avantages de l'audience que peut donner au pays l'investissement dans les médias à grande diffusion, tant aux plans financier qu'en termes de promotion de l'image du Qatar. La chaine « Al Jazeera » et les canaux beIN Sports s'inscrivent évidemment dans cette stratégie.
Les matchs et les événements organisés au stade de Doha sont considérés comme ayant joué le rôle de véritable stimulant pour toute une jeune génération de joueurs qataris.
Lorsque le pays a commencé à investir dans ses installations sportives avec la construction du Khalifa International Stadium, il a inclus évidemment dans ces programmes de promotion son équipe nationale de football. Après avoir fait florès dans le Championnat des jeunes de l'AFC en 1980, les moins de 20 ans du Qatar ont obtenu leur billet pour le Championnat du monde junior de la FIFA en 1981 en Australie. Dans une compétition habituellement dominée par les Européens, le Qatar a renversé le Brésil et l'Angleterre, accédant à la phase finale et se classant à la deuxième place. En 1988, l'Etat du Golfe a accueilli sur son sol le deuxième plus ancien championnat continental de football du monde, la Copa América. La neuvième édition de la Coupe d'Asie de l'AFC masculine n'a pas été en reste, puisque le Qatar l'a à son tour hébergée en 2011. L'organisation de la Coupe d'Asie a démontré les capacités du pays à abriter des compétitions de dimension internationale. Le Qatar a remporté ainsi la Coupe du Golfe pour la deuxième fois en 1992, contre l'Arabie saoudite, au stade Khalifa. En 2004, le Qatar a organisé le tournoi pour la deuxième fois en battant Oman et en décrochant le trophée une fois de plus. En 2006, le Qatar a organisé et participé aux 15èmes Jeux asiatiques, auxquels les 45 nations membres du Conseil olympique d'Asie ont pris part pour la première fois. Le Qatar, qui a raflé trois Coupes du Golfe, a pu conquérir un autre titre, cette fois lors de la Coupe d'Asie de l'AFC en 2019. Dans un contexte de blocus politique, l'équipe nationale du Qatar s'est rassemblée pour triompher du Japon, quadruple vainqueur de la Coupe d'Asie. La réussite historique du pays en terre des Emirats Arabes Unis a fait comprendre au monde entier que l'équipe nationale du Qatar était une force avec laquelle il fallait compter. Tout comme le stade de Doha a été une source d'inspiration pour la jeune génération du pays dans les années 1960, la victoire du Qatar à la Coupe d'Asie 2019 a donné naissance à une nouvelle génération de joueurs de football talentueux dont le pays peut aujourd'hui s'enorgueillir.
Le récit de l'histoire footballistique du Qatar est souvent raconté à travers le prisme du pétrole et du gaz naturel, mais en y réfléchissant plus longuement, le pays affiche un parcours sportif exceptionnel qui a vu le jour il y a plus d'un demi-siècle. Doha Stadium a abrité de nombreux matchs de compétition locaux et régionaux avant d'être officiellement inauguré en 1962. Avant sa création, il n'y avait pas de pelouse, les rencontres de football se déroulant sur la terre battue à la fin des années 1940. En 1971, Mohammed Ali, figure de proue de la boxe mondiale, a fait cadeau au pays d'un match d'exhibition au stade de Doha. Ce fut la première fois, et pas la dernière, qu'un stade de Doha comble accueillait une vedette du sport, car le footballeur brésilien Pelé, triple champion du monde, y allait jouer un match amical face à l'équipe d'Al Ahly en 1973. La présence de Pelé avec son club, le Santos FC, a engendré une vague d'euphorie chez les résidents qataris de l'époque, car il était perçu, à l'époque, comme la perle du football mondial. Le Brésilien venait de remporter son troisième titre de champion du monde de la FIFA. Ancien ailier d'Al Ahly, Mohammed Al Siddiqui décrit le moment où il a joué contre Pelé comme un rare privilège. «Tous les clubs locaux jouaient là, et c'était une fourmilière animée tout au long de la semaine, alors lorsque l'on a appris que Pelé et Santos venaient en ville, le stade de Doha a vibré d'enthousiasme et d'impatience», a expliqué Al Siddiqui à Doha News.
Foot et diplomatie Un symbole pour dissiper les malentendus
Au Qatar, comme ailleurs, le football n'est pas seulement une vitrine ouverte sur le monde servant à véhiculer le fairplay, le vivre-ensemble intercommunautaire et la philanthropie, comme le veut l'esprit même de la FIFA. Il constitue également la pierre angulaire d'une véritable approche systémique pouvant se révéler un bon arbitre en cas de crise diplomatique avec des pays limitrophes. L'allusion ici concerne l'embargo imposé au Qatar en 2017. Cette page de l'histoire panarabe où l'Arabie Saoudite, les Emirats Arabes Unis, Bahreïn et l'Egypte ont imposé pendant trois ans et demi un blocus économique et diplomatique au Qatar, jugé un peu trop proche de l'Iran et accusé de soutenir des organisations extrémistes dans le monde arabe. Le football en tant que lobby représentant diverses nationalités (même si ses joueurs sont naturalisés qataris) a donc servi de moyen pour charpenter un certain sentiment d'appartenance panarabe, qui se révèle dans toute sa dimension à l'occasion de l'actuelle Coupe du monde.