Dans un contexte national et régional marqué par les impacts des changements climatiques et par la raréfaction des ressources hydriques, la mobilisation de l'eau et à sa bonne gestion s'avèrent de plus en plus comme des défis décisifs pour le Royaume. M. Nizar Baraka, ministre de l'Equipement et de l'Eau répond à nos questions concernant les divers aspects liés à ces enjeux stratégiques majeurs. - Quel constat faites-vous concernant la situation hydrique que vit notre pays actuellement ? -Depuis plusieurs années, notre pays vit un stress hydrique causé par les impacts des changements climatiques. Nous sommes même passé d'une situation de stress hydrique à celle de la pénurie hydrique. Dans les années à venir, ce phénomène devrait perdurer et s'exacerber puisque d'ici 2050, le Royaume continuera à subir une baisse tendancielle de ses apports pluviométriques « habituels ». Ceci démontre la gravité de la situation que nous vivons et l'importance de l'enjeu hydrique pour notre pays. Il existe par ailleurs d'autres facteurs qui ont aggravé ce phénomène, notamment la hausse de la température. Le Maroc reçoit annuellement une moyenne 140 milliards de mètres cubes de pluies, dont 108 milliards de mètres cubes s'évaporent, alors que le ratio de quantité d'eau par personne a atteint en moyenne 606 mètres cubes. Cela dit, il convient de noter que Sa Majesté le Roi Mohammed VI accorde une grande priorité à la question de l'eau. Suite à Ses Hautes Instructions, plusieurs programmes ont été développés avec pour objectif principal de mobiliser l'eau à travers la mise en place de barrages, qui sont d'une grande importance pour le Royaume. Des efforts importants ont également été déployés pour améliorer l'accès à l'eau au plus grand nombre de citoyens, en particulier dans les zones rurales et montagneuses.
« Il est plus que temps pour notre pays de passer à une gestion intégrée de l'eau par les producteurs et les consommateurs de cette substance vitale ». - Justement, qu'en est-il de l'évolution des taux de remplissage des barrages ? -Au cours des quatre dernières années, une baisse sensible a été enregistrée au niveau du taux de remplissage des barrages qui est passé de 62% en 2018 à 49% en 2019, puis à 37% en 2020, pour enfin atteindre 34% en 2021. Cette année, ce taux de remplissage est de 30,2%. En outre, de nombreux bassins-versants ont été touchés par l'insuffisance des précipitations, en particulier le bassin-versant «Guir-Ziz-Gheriss» qui a enregistré un déficit compris entre 30 et 50%. Il en a été de même pour les deux bassins-versants du Loukkos et du Sebou -entre 60 et 70%-, et entre 71 et80 % dans les nappes du Souss-Massa, du Tensift, de l'Oum Er-Rbia et de la Moulouya. À noter qu'avec les pluies printanières le niveau de remplissage des bassins a atteint 33,1%. Cela dit, grâce aux divers programmes dans lesquels le Maroc s'est investi, nous disposons actuellement de 149 grands barrages d'une capacité totale de 19 milliards de mètres cubes, et 15 barrages en construction, avec pour objectif fixé d'atteindre 24 milliards de mètres cubes. C'est un acquis considérable que nous oeuvrons à consolider à travers d'autres axes d'intervention et projets en préparation outre l'accélération du programme 2020-2027 lancé par le Souverain en janvier 2020.
« Le bassin hydraulique est l'espace naturel le plus approprié pour comprendre et résoudre les problèmes de gestion des ressources en eau et réaliser une solidarité régionale effective ». - Vous faites référence aux projets de dessalement de l'eau de mer ? -Effectivement, on peut citer le lancement de diverses usines de dessalement d'eau de mer, notamment celles de Dakhla et de Casablanca cette année, mais également la construction de 127 barrages collinaires sur 3 ans, le raccordement entre les bassins et la préservation des nappes phréatiques à travers des contrats de nappe comme ceux qui ont été signés à Berrechid et prochainement à Boudnib. Par ailleurs, une enveloppe de 3 milliards de dirhams a été mobilisée pour un programme d'urgence 2021-2022 dont l'objectif est de sécuriser l'approvisionnement en eau potable dans les zones des bassins hydrauliques de Moulouya, Oum Al Rabie, Tensift et Guir-Ziz-Ghris. À cela, s'ajoute un autre programme complémentaire de 2 milliards de dirhams spécifique au monde rural. - La priorisation de certaines régions plutôt que d'autres s'explique-t-il par des situations hydriques qui changent selon le territoire ? -Il existe des disparités au niveau de l'accès aux ressources hydriques selon les régions. À titre d'exemple, chaque citoyen dispose d'environ 600 à 700 mètres cubes par an dans la région du Loukkos, alors que dans les régions du Sud, ce taux est inférieur à 300 mètres cubes par année et par habitant. Il est important de prendre en considération ces différences et de bien les gérer. - Quelle est votre vision en termes d'approche méthodologique pour une bonne gestion des ressources hydriques dans le contexte que vit notre pays ? - J'estime qu'il est plus que temps pour notre pays de passer à une gestion intégrée de l'eau par les producteurs et les consommateurs de cette substance vitale. Cette gestion intégrée permettra une utilisation plus efficace, plus efficiente et plus rentable, et garantira aux citoyens une eau potable au plus bas prix, ainsi que l'eau dédiée à l'irrigation, sans oublier la sécurisation des ressources hydriques nécessaires aux activités économiques, à la création de valeur ajoutée et à l'amélioration des revenus des citoyens. À cet égard, le Nouveau Modèle de Développement a pleinement abordé la problématique de l'eau et a montré que le Maroc subira une forte pression à cause des impacts des changements climatiques.
« L'enjeu lié à l'amélioration des économies de consommation d'eau est un autre enjeu important, notamment compte tenu de la grande pression sur la ressource hydrique dans le secteur agricole ». - Le Nouveau Modèle de Développement a également évoqué l'enjeu de tarification de l'eau. Est-ce un chantier qui pourrait aboutir à court terme ? -Le tarif de l'eau potable n'a pas connu de changement depuis des années et cela demeurera inchangé pour l'heure actuelle. - Quelle est selon vous l'unité territoriale qui pourrait servir de référence de départ pour définir la meilleure approche de gestion des ressources hydriques ? - Le bassin hydraulique est l'espace naturel le plus approprié pour comprendre et résoudre les problèmes de gestion des ressources en eau et réaliser une solidarité régionale effective. Dans cette perspective, le Maroc poursuit ses efforts pour instaurer une gestion décentralisée de l'eau par bassins afin d'assurer les conditions d'une utilisation bénéfique de cette ressource vitale qui répond aux aspirations de développement aux niveaux national, régional et local. Parmi les efforts consentis par le Royaume, il faut citer la création des agences de bassins-versants, il y a plus de vingt ans, qui s'est traduite par une politique volontariste de décentralisation. Ces institutions garantissent le développement, la gestion et la protection des ressources en eau et du domaine public de l'eau dans le cadre des dispositions organisationnelles et économiques déterminées par les textes législatifs et réglementaires en vigueur. La promulgation de la nouvelle Loi 15-36 sur l'eau a par ailleurs renforcé le rôle de ces agences, ainsi que la gestion décentralisée de l'eau, en créant des mécanismes de participation des usagers à la gestion avec la mise en place notamment des conseils de bassin et des commissions régionales de l'eau.
« Des campagnes dédiées vont être lancées incessamment afin de toucher les citoyens et les convaincre de l'importance d'une consommation rationnelle de l'eau afin de réduire le gaspillage de cette substance vitale ».
« Le tarif de l'eau potable n'a pas connu de changement depuis des années et cela demeurera inchangé pour l'heure actuelle ». -Qu'en est-il de l'enjeu d'utilisation des eaux non-conventionnelles ?
-La réutilisation des eaux usées traitées est un sujet important que le ministère oeuvre à dynamiser surtout que seuls 58 millions de mètres cubes de ces eaux sont actuellement utilisés, alors qu'il était prévu, selon la stratégie nationale de l'eau, d'atteindre 300 millions de mètres cubes. On peut dire qu'il y a de grandes potentialités qui peuvent être exploitées pour réutiliser ces eaux usées traitées. Les volumes que nous utilisons actuellement sont surtout dédiés à l'irrigation des espaces verts, mais nous voulons que cette utilisation puisse s'étendre au domaine agricole, surtout pour l'arboriculture. Dans de nombreux pays, l'eau utilisée pour l'irrigation provient à près de 60% d'eaux usées traitées. C'est un chantier que nous comptons continuer à développer à l'avenir. - Cela incite d'autant plus à éviter le gaspillage des eaux « conventionnelles »... - L'enjeu lié à l'amélioration des économies de consommation d'eau est un autre enjeu important notamment compte tenu de la grande pression sur la ressource hydrique dans le secteur agricole. Des techniques comme le goutte-à-goutte sont justement utilisées à cet effet dans un périmètre estimé à environ 700.000 hectares. Cela dit, le recours à cette technique peut prendre encore plus d'ampleur. Il faut par ailleurs solutionner la problématique liée à l'utilisation de l'eau en termes de produits et travailler pour ajuster la carte agricole dans ce contexte, mais également adopter les bonnes pratiques dédiées à une meilleure efficacité hydrique dans l'utilisation de cette ressource par les secteurs de l'industrie et du tourisme. Il en va de même pour les villes et l'urbanisme, où il est important d'intégrer la dimension de l'efficacité hydrique dans les visions futures. Des réunions ont eu lieu avec les ministères concernés (Agriculture, Urbanisme et Habitat et Transition énergétique et Développement durable), dans le but de créer des équipes communes de travail pour maîtriser ces sujets et assurer la pérennité de l'eau pour les citoyens et les activités économiques, tout en valorisant les usages de l'eau. Cela se complète avec l'enjeu lié à la sensibilisation. Des campagnes ont été lancées afin de toucher les citoyens et les convaincre de l'importance d'une consommation rationnelle de l'eau afin de réduire le gaspillage de cette substance vitale. Recueillis par Oussama ABAOUSS