L'Afrique doit se défaire du qualificatif pernicieux de la « résilience » et occuper l'espace économique par une excellence atteignable. Pour ce qui concerne les différentes conjugaisons de la place de l'Afrique dans le monde, il va falloir sortir du moralisme, et se regarder en face une bonne fois pour toutes, soulignent les deux Co-Fondatrices de « Je m'engage pour l'Afrique » (JMA), Amina Zakhnouf et Ileana Santos. Entretien. - A travers « Je m'engage pour l'Afrique », vous voulez repenser le New Deal africain. De quoi s'agit-il ? - Ileana Santos : Pour rappel, ce fameux « New Deal » correspond à une volonté européenne, menée par Emmanuel Macron, d'apporter son soutien au continent africain qui vivait sa première année de récession et dont les besoins en financements continuent de croître ostensiblement. Ce New Deal est donc un « package » européen, logé dans le « Global Gateway » (stratégie de l'UE, synonyme de connexions durables et fiables au service des citoyens et de la planète) et censé venir au chevet d'économies africaines en péril. Tout ça est évidemment couplé à une crainte grandissante que d'autres puissances viennent peser sur la balance africaine, et rabattre les cartes économiques (et géopolitiques) du continent. - Amina Zakhnouf : Exactement, mais, deux problèmes essentiels se dressent. En effet, si le New Deal est une « noble » intention des pays européens à bien des égards, quel véritable leadership des leaders africains sur ces questions ? Sont-ils les orfèvres ou simples clients de cette nouvelle donne ? La dernière serait difficilement « entendable » par temps de demandes de partenariats. Le second problème réside dans la capacité actuelle des pays africains à tirer pleinement parti des financements, puisque poches de financement il y aura. Sans tissu économique solide, sans système public performant, sans cohésion, sans travail de fond, et sans collaboration, ce financement qui se veut « financement ricochet » risque de couler... sec. C'est une véritable rampe de lancement pour une déception assurée en bout de course qu'il faut craindre. Chez JMA, nous alertons souvent du double tranchant des effets d'annonces, et surtout de ceux qui empruntent la sémantique de « nouvelle donne ». Pour permettre à ce partenariat d'avoir du sens et de l'impact, il faut un changement... de l'intérieur ! - Votre ambition est de permettre aux jeunes de prendre la parole dans le débat public et de faire de la politique publique l'affaire de tous. Comment cela se présente-t-il aujourd'hui ? - Ileana Santos : Concrètement, nous avons développé une véritable boîte à outils pour décrypter ce qu'on aime appeler « les modalités du monde », les challenger, et présenter ces idées à ceux qui les font, ces fameuses modalités. En d'autres termes, nous accompagnons des jeunes par des cycles de formations à la politique publique, mais aussi à la prise de parole en public, à l'intelligence émotionnelle et situationnelle, à la compréhension des enjeux politico-économiques qui les anime, et ensuite, à présenter ces idées aux décideurs qui souhaitent les entendre. Formations en présentiel et à distance, parcours d'incubation intégrés, production d'ouvrages, de podcast, de contenus éditoriaux, de plaidoyers : chez JMA, tous les chemins mènent à la place publique ! - Quelles sont les actions majeures ou en projet de JMA au Maroc ? - Amina Zakhnouf : Evidemment, le Maroc est très cher à JMA ! C'est pour cela qu'il fait partie de nos quatre cibles prioritaires. Nous y lançons un cycle de formations d'introduction aux politiques publiques, aux rouages du « policy making » et aux grands enjeux qui traversent le continent dans quelques mois avec des acteurs locaux, associatifs. Nous espérons aussi pouvoir nous déployer dans tout le Maroc, et auprès des entreprises pour sensibiliser les agents de collectivité territoriale, mais aussi les salariés dont les groupes ou entreprises opèrent depuis le Maroc sur le continent. Il faut le reconnaitre, elles sont nombreuses. C'est un avis que nous lançons. - Actualité oblige, « Je m'engage pour l'Afrique » vient d'éditer son quatrième ouvrage dénommé « Alternatives ». En peu de mots que propose cette nouvelle parution ? - Amina Zakhnouf : « Alternatives » s'inscrit dans la continuité des ouvrages précédents, mais offre une proposition de rupture avec les conventions du discours autour de l'Afrique qui domine la scène médiatique. « Alternatives » est le fruit d'une volonté de proposer de vraies pistes pour transformer la capacité productive de l'Afrique de l'Ouest, et d'une rencontre avec le think tank « A New Roundtable on African Debts », dont les membres prestigieux ont été partie intégrante des réflexions. Cela a abouti à une véritable vision, la vision JMA, et une méthodologie de travail qui porte ses fruits. « Alternatives », c'est cette proposition de New Deal, mais que l'Afrique se doit de passer avec elle-même, et dans une logique intra-africaine. - Dans cette édition, vous ouvrez le débat sur la manière d'atteindre l'excellence par de nouvelles voies productives, au-delà de l'aide internationale. Quelles sont les pistes en la matière ? - Amina Zakhnouf : Trois verticales, complémentaires et structurantes : développer la compétitivité collective des Etats, faire de l'innovation un levier de croissance, s'appuyer sur des sociétés fortes, solidaires et engagées. En se basant sur ces trois piliers, l'Afrique pourrait enfin se défaire du qualificatif pernicieux de la « résilience » et occuper l'espace par une excellence atteignable. Quant aux différentes conjugaisons de la place de l'Afrique dans le monde, il va falloir sortir du moralisme, et se regarder en face une bonne fois pour toutes. Propos recueillis par Wolondouka SIDIBE Billet Les marcheurs Conakry-Bamako rallument le feu de l'union
Peu importe le nombre mais le signal est fort et d'une portée historique. Il s'agit de l'acte posé par de jeunes panafricains marcheurs qui ont rallié la capitale guinéenne à celle du Mali. Ils étaient 16 jeunes, venus de différentes contrées d'Afrique, à marcher de Conakry à Bamako, sur une distance longue de 1143 km. Certains verront dans cette marche symbolique une certaine idée de l'Afrique, et qui appellent à l'unité, à l'union du continent. D'autres y verront de l'héroïsme, du courage, un cran qui manque énormément aux jeunes d'aujourd'hui. Toujours est-il que ces pèlerins de la paix ont ouvert la voie pour une nouvelle Afrique. De quoi s'agit-il ? Partis de Conakry le 15 mai dernier pour soutenir les Maliens et appeler à la fédération des deux Etats (Guinée-Mali), les jeunes marcheurs Conakry-Bamako sont arrivés à Bamako samedi 18 juin et ont été accueillis dans une ferveur populaire. Pendant ce parcours, de plus d'un mois, ils n'ont observé que quelques jours de repos. Leur but est clair : « Nous partons au Mali à pieds pour féliciter et soutenir le peuple malien qui est le porte-flambeau de la liberté africaine. Aujourd'hui, comme la Guinée l'a été en 1958, aussi pour réaffirmer et consolider la solidarité que l'Etat guinéen a affirmé vis-à-vis de l'Etat malien, en refusant de fermer ses frontières comme l'a voulu la CEDEAO pour isoler le Mali et aussi lancer un appel pour un Etat fédéral de l'Afrique noire », soulignent nos braves marcheurs. Et de poursuivre : « cet Etat fédéral peut commencer quelque part. Nous, nous souhaitons que cet Etat fédéral commence par le Mali et la Guinée. Comme l'a dit feu Ahmed Sékou Touré : la Guinée et le Mali, ce sont deux poumons dans un même corps. Mais force est de reconnaître aujourd'hui que ce corps, s'il ne dort pas il est en coma. Nous, nous voulons que la Guinée et le Mali soient deux poumons dans un corps solide et vivant qui évolue vers un avenir meilleur ». Leur appel sera-t-il entendu ? Le contexte politico-économique d'aujourd'hui s'y prête favorablement. A moins que le démon de la désunion, vendue par procuration, ne vienne éteindre encore cette étincelle naissante, comme l'a été aux lendemains des indépendances. La suite de cette désunion est connue de tous. Wolondouka SIDIBE