Au moment où les centres de transfusion sanguine peinent à attirer les donateurs, le Maroc se démène à garantir un stock national assez suffisant à long terme. D'où l'urgence d'une politique nationale de sang. Détails. Cela fait des mois que la crise de la pénurie des stocks de sang perdure, malgré les efforts consentis par les autorités sanitaires pour encourager les gens à faire don de leurs globules rouges. La pandémie a détourné l'attention sur ce problème récurrent qui pose d'énormes difficultés pour les centres hospitaliers. Bien que l'état des réserves des centres de transfusion sanguine soit stable pour le moment, il n'est guère rassurant à long terme. 5.051 poches de sang disponibles Il suffit de prendre conscience des chiffres annoncés par le ministre de la Santé et de la Protection sociale, Khalid Ait Taleb, selon qui le Maroc dispose actuellement d'un stock de 5.051 poches de sang. Cette quantité suffit pour satisfaire les besoins du pays pendant cinq jours seulement. Ce qui dit long sur l'état des réserves du pays auquel il faut au moins l'équivalent de 1000 dons de sang par jour pour satisfaire les personnes ayant des besoins transfusionnels. C'est en tout cas l'estimation d'une étude publiée le 22 février 2022 par un groupe de chercheurs marocains et parue dans le « Journal of Drug Delivery and Therapeutics ». Dans la région Casablanca-Settat, par exemple, la plus peuplée des régions du Royaume, il faut 400 donateurs par jour pour assurer l'autosatisfaction, nous explique Amal Darid Ibnelfarouk, Directrice du Centre régional de transfusion sanguine, précisant que 600 paquets de sang sont consommés chaque jour dans les différents établissements hospitaliers de la région, soit 35% de la consommation nationale. Le mois de Ramadan a été une bénédiction pour quelques centres, comme celui de Casablanca qui a pu recevoir 150 donateurs par jour, améliorant ainsi ses stocks, comme nous l'a précisé notre interlocutrice. Pendant le mois sacré, le rôle des mosquées est également jugé important en matière de sensibilisation. Le pays a pu tout de même tenir le coup grâce à la stabilisation des stocks qui ont remarquablement augmenté au mois de mars (+64%). Pourtant, en dépit de ces efforts, le spectre de la pénurie persiste sachant que les campagnes de sensibilisation périodiques ne suffisent pas pour créer un sursaut de donateurs à moins qu'il ait une campagne nationale comme celle de 2015 qui a été un succès mémorable. Il est d'autant plus urgent de renforcer les réserves de façon durable que tout risque de pénurie pourrait avoir des conséquences irréversibles sur le fonctionnement des hôpitaux et leurs capacités à répondre aux besoins quotidiens (report des opérations chirurgicales, rendez-vous de dialyse, etc.) Quelle stratégie à long terme ? Face à la rareté des donateurs, les autorités sanitaires se projettent à long terme. Le Centre national de transfusion sanguine ambitionne, dans le cadre de sa stratégie 2021-2023, d'établir une politique de proximité, en allant vers le donateur. A cet effet, des unités mobiles convenablement équipées ont commencé à être déployées dans les grandes villes de façon plus ample qu'auparavant. En plus, le ministère de tutelle veut créer davantage de « maisons de don de sang », selon les normes internationales. Ceci s'inscrit dans une stratégie nationale, telle que présentée par le ministre Khalid Ait Taleb lors de son dernier passage à la Chambre des Représentants. Le ministère de tutelle veut développer les centres de transfusion sanguine de sorte à améliorer leurs capacités et leurs conditions d'accueil. Ceci requiert d'augmenter le financement de ces centres, ce à quoi s'est engagé le ministère. Outre cela, il est prévu qu'une Agence nationale voie le jour, il s'agit d'une instance à laquelle il incombe d'élaborer une politique nationale en matière de transfusion et gérer les besoins du pays à long terme. Par ailleurs, l'approvisionnement en immunoglobulines représente également un défi pour les mois à venir, surtout que le Maroc a été menacé par une pénurie de cette matière vitale. Sans la réception, en urgence, d'un lot de 6000 doses début avril, la situation aurait pu être critique. Pour tenir le pays à l'abri de tels scénarios, il faut absolument garantir un approvisionnement régulier des médicaments essentiels. Ce à quoi devrait remédier la nouvelle politique du médicament en vertu de laquelle une liste nationale de ces médicaments vitaux sera établie. Anass MACHLOUKH 3 questions à Amal Darid Ibnelfarouk « Il nous faut 400 donateurs par jour pour l'autosatisfaction »
Amal Darid Ibnelfarouk, Directrice du Centre régional de transfusion sanguine Casablanca-Settat, nous a livré un état des lieux sur les réserves de sang dans la région et sur les mesures prises pour renforcer le stock régional. - Quel est l'état actuel des stocks dans la région de Casablanca-Settat? - Le mois de Ramadan a été une bénédiction pour nous. Actuellement, le stock est confortable grâce à un afflux important des donateurs, dont les supporters du Raja qui ont contribué par 15% des donations durant le mois sacré. Près de 150 personnes par jour. Les supporters du Widad, pour leur part, nous ont promis 1000 dons pour le mois prochain. L'apport des mosquées nous a été précieux sachant qu'on a pu y garantir 20% de nos réserves. - On parle de la problématique de la pénurie de sang depuis des mois, quelle est l'ampleur du problème dans votre région ? - En effet, il est difficile de satisfaire les besoins d'une si grande région comme Casablanca-Settat, sachant que nous devons répondre aux besoins de 610 établissements hospitaliers. Pour atteindre l'autosatisfaction, il nous faut 400 donateurs par jour. Permettez-moi de rappeler aussi qu'il faut constituer une réserve suffisante pour 7 jour afin de se conformer aux normes de l'OMS. - Quelles sont les mesures que vous avez prises pour inciter les gens à faire don de leur sang ? - Nous avons persévéré dans la politique de proximité en déployant des unités mobiles dans différentes zones de la région. Nous en avons quatre actuellement qui s'ajoutent aux sept unités fixes, ou ce qu'on appelle « maisons de don du sang », dont a parlé le ministre de la Santé au parlement il y a deux jours. Ce type d'unités va être ensuite généralisé sur tout le territoire national. En outre, dès le début de la saison estivale, nous avons décidé de déployer des unités mobiles au niveau des sites balnéaires dans l'ensemble des villes de la région. Nous envisageons d'agir sur la sensibilisation, une capsule de 32 secondes sera diffusée prochainement sur les chaînes publiques. Recueillis par A. M.