C'est un fait : on rit beaucoup dans la littérature marocaine ; une littérature qui, paradoxalement, porte un regard critique sur la société et l'homme marocains, une littérature qui pense à coups de sourires et d'éclats de rire. Autant dire qu'on « rit jaune » dans les romans marocains. Ce jugement est cependant à affiner indéfiniment car c'est un véritable nuancier du rire (comme on parle du nuancier des couleurs) que Fouad Mehdi nous propose dans son ouvrage intitulé Rira bien qui lira la littérature marocaine. Essai sur l'humour et la satire, paru, ce mois de mars 2022, chez Virgule éditions. Revisitant le roman marocain depuis ses débuts jusqu'à nos jours, l'auteur de A l'écoute des écrivains marocains (Virgule Editions, 2019), par une analyse qui va de la « lecture du détail » à la « lecture d'ensemble » et inversement, étudie les deux formes majeures du « rire marocain » : l'humour et la satire. Informé, érudit (sans être lourd), l'ouvrage de Fouad Mehdi essaie de cerner les définitions, les aspects, les stratégies, les topiques, la rhétorique, bref, les « textualités » et les écritures de ce rire pensif. Il essaie aussi d'étudier le système des valeurs qui sous-tend ces écritures, l'arrière-fond « métaphysique » qui donne sens et effet à ces « techniques ». C'est dire qu'il y a dans ce livre tout un travail archéologique sur la définition de l'humour en général (une notion fuyante aux contours labiles : « l'humour, calvaire des définisseurs », disait Pierre Daninos) et de l'humour-satire marocain. Par ses différents types de fonctionnement, le rire apparaît, en définitive, non pas comme quelque chose de factice et d'éphémère mais comme des postures engageant la conscience du rieur (humoriste, satiriste) devant le monde. Le rire est « une modalité de l'existence et une vision du monde » qui fonctionnent autant comme un acte de défense que comme un acte jouissif devant un monde qui regorge de travers et de vices. Si le « rieur » est tour à tour impliqué dans ce dont il rit et distant par rapport à lui, c'est qu'il est lui-même nécessairement tissé-ligué dans/à son rire. La complexité du rire marocain (dans le roman) est à l'image de la complexité du Marocain lui-même. Et c'est cette complexité que Fouad Mehdi a traqué dans son ouvrage en essayant d'en montrer les tenants, les aboutissants et les manifestations. Rire, est-ce se libérer de la doxa (le Pouvoir), échapper au poids de la communauté (dogme) ? Rire, est-ce simplement parler autrement, acquérir une voix ? Rien n'est moins simple. Qu'il prenne la société marocaine pour un théâtre (theatrum mundi) ou qu'il crée un monde inversé (mundus inversus) pour questionner celui où il vit, le romancier-rieur marocain évalue et met à contribution sa puissance et son impuissance à la fois. En lisant cet ouvrage, la matière première de l'humour et de la satire semble être le contradictoire, la contradiction. Rira bien qui lira la littérature marocaine. Essai sur l'humour et la satire un ouvrage de synthèse sur la question du rire marocain. A ce titre, il mérite d'être lu. Abderrahim KAMAL Professeur de littérature