Ce 13 janvier, les communautés amazighes célèbrent l'avènement de l'année 2972. Zoom sur une fête qui consacre les valeurs de partage et de diversité. Durant la nuit du 13 au 14 janvier, les populations nord-africaines célèbrent le Nouvel An amazigh, appelé également « Innayer » ou « Hagouza ». Cette fête collective et traditionnelle très ancienne marque en 2022 le début de l'année 2972 selon le calendrier amazighe. Cette célébration est imbriquée dans des pratiques rituelles, essentiellement agraires, des Amazighs à travers leur Histoire millénaire. « C'est la célébration de l'accession de Sheshonq, amazighe de Libye, au pouvoir en Egypte en 950 avant J.C., qui est ainsi devenu Pharaon. La célébration est accompagnée de rites et de manifestations festives qui concernent tous les Nord-Africains, Amazighs et Darijophones », nous explique Moha Moukhlis, chef du service de la communication externe à l'Institut Royal de la Culture Amazighe (IRCAM). Le décalage de 13 jours avec le calendrier grégorien s'explique par le fait que le calendrier Amazighe s'aligne sur le système julien, autrement appelé « calendrier agraire » ou « calendrier agricole ». Equinoxe d'hiver « Innayer peut être abordé de deux points de vue différents mais complémentaires. Le premier est celui de la tradition. C'est dire qu'il s'agit de pratiques qui viennent du fond des âges et qui se sont transmises de génération en génération », explique Ahmed Skounti, anthropologue et professeur habilité à l'Institut National des Sciences de l'Archéologie et du Patrimoine (INSAP), qui précise que la fête d'Innayer correspond à l'équinoxe d'hiver. « Très tôt, dans l'Histoire, les différentes sociétés et communautés qui composent l'humanité ont remarqué qu'il y avait un cycle qui se bouclait à une période précise de l'hiver et qui annonçait le début d'autres périodes de l'année. Ça a donné des célébrations comme Noël dans d'autres pays, mais également une tradition comme la nôtre qui, dans notre cas de figure, correspond au 31 décembre du calendrier julien, autrement appelé calendrier agricole », poursuit la même source en notant que le calendrier julien - en décalage de 13 jours avec le calendrier grégorien - était privilégié chez les communautés nord-africaines jusqu'à l'avènement de la colonisation. Une célébration réinventée « Innayer peut également être abordé du point de vue du Patrimoine. C'est ainsi que nous pouvons par exemple constater une réinvention de cette fête, qui est, depuis 3 décennies, en train de sortir du cadre familial privé vers une célébration qui se fait également dans l'espace public. C'est un phénomène équivalent à ce qui s'est passé avec les fêtes de Noël par exemple », analyse l'anthropologue. Pour pouvoir mieux célébrer le Nouvel An amazigh tout en lui garantissant une reconnaissance nationale, plusieurs groupes différents ont, à plusieurs occasions, demandé au gouvernement marocain de décréter le 13 janvier comme fête nationale et jour férié. La dernière demande de ce genre a pris la forme d'une question écrite adressée en décembre dernier par un groupe parlementaire au gouvernement lui demandant de prendre en considération l'appel des associations amazighes pour la reconnaissance du Nouvel An amazighe comme jour férié national. « Je pense que l'Etat ne tardera pas à répondre positivement à cette demande, d'autant plus que la question Amazighe en général a été tranchée à travers la Constitution de 2011 », confie la même source. Une célébration de la diversité Si les pouvoirs publics au Maroc décident de reconnaître l'importance de cette date en désignant le 12 janvier comme jour férié, les célébrations à travers les diverses régions du Royaume pourraient prendre une nouvelle ampleur. « Un foisonnement d'activités commerciales, touristiques et culturelles pourrait rapidement se mettre en place autour de cette date si elle était déclarée jour férié. Cela dit, je pense personnellement que si cette décision n'a toujours pas été actée, c'est probablement dû à la proximité de cette date avec une autre fête nationale, à savoir l'anniversaire du Manifeste de l'Indépendance », estime Ahmed Skounti. En attendant une véritable reconnaissance, les célébrations s'organisent déjà à travers le territoire marocain. « Innayer est une fête qui est appelée de différentes manières. Sa richesse réside justement dans cette diversité des célébrations qui fait que dans chaque région, nous trouvons une façon particulière de la célébrer, car les tribus se sont approprié cette fête et l'ont adaptée à leurs spécificités locales, culturelles, historiques et environnementales. Cette diversité est par ailleurs une valeur qui est au coeur de l'Amazighité », conclut l'anthropologue. Asgass Ambarki ! Oussama ABAOUSS Repères Calendrier julien Le calendrier julien est un calendrier solaire utilisé dans la Rome antique, introduit par Jules César en 46 av. J.C. Il est encore utilisé dans plusieurs régions du monde, notamment par les Amazighs en Afrique du Nord et dans les pays orthodoxes d'Europe de l'Est. Pour cette raison, les célébrations des fêtes de Noël se trouvent, à ce jour, décalées dans ces pays. L'utilisation du calendrier julien s'est prolongée jusqu'au 13ème siècle puis a été progressivement remplacée par le calendrier grégorien.
Calendrier hébraïque Le calendrier hébraïque est un calendrier luni-solaire composé d'années solaires, de mois lunaires, et de semaines de sept jours commençant le dimanche et se terminant le samedi, jour du Chabat. Comme point de départ, il se réfère à la Genèse, le premier livre de la Bible, dont il fait correspondre le début à l'an -3761 du calendrier grégorien. Il est considéré comme calendrier officiel en Israël (le calendrier grégorien est utilisé pour toutes les activités laïques) et il est aussi utilisé dans le judaïsme pour célébrer des fêtes religieuses. L'info...Graphie Calendriers Les 5 manières différentes de mesurer le cycle annuel au Maroc
Selon Ahmed Skounti, il existe au Maroc au moins 5 calendriers utilisés par les Marocains. « Il y a le calendrier hégirien islamique, le grégorien universel, le calendrier hébraïque utilisé par les communautés juives du Maroc, le calendrier julien ou agraire, mais il y a également un ancien calendrier amazighe, peu connu et de moins en moins utilisé, qui prend la forme d'un calendrier lunaire », explique l'anthropologue précisant que ce calendrier lunaire amazighe était surtout utilisé pour la célébration des fêtes religieuses. « A l'exception du mois de Ramadan, tous les autres mois de ce calendrier ont des appellations différentes. Pour le calendrier julien ou agraire, les mois ont des appellations qui sont quasiment les mêmes que pour le calendrier grégorien, avec cependant quelques légères différences de prononciation ». C'est ainsi que les deux calendriers lunaires marocains (hégirien et amazighe) sont parfaitement alignés, alors que le calendrier julien accuse un décalage de 13 jours par rapport au calendrier grégorien.
Histoire Dynastie amazighe en Egypte pharaonique : conquête guerrière ou politique ?
L'année de référence d'un calendrier correspond toujours avec un fait historique important qui justifie sa désignation comme repère de datation. Si le choix de la naissance de Jésus-Christ pour le calendrier grégorien (ou de l'année de l'Hégire pour le calendrier musulman) semble limpide, celui de se référer à l'année de l'avènement d'une dynastie amazighe en Egypte pharaonique pour établir un calendrier, génère quelques débats. Parmi les points qui reviennent souvent dans les discussions, celui lié à la nature de cette prise de pouvoir amazighe en l'an 950 avant J.C. Quand certaines voix évoquent un triomphe militaire qui serait à l'origine de la naissance de cette dynastie Amazighe, d'autres font plutôt référence à la consécration d'un personnage d'origine libyenne (Sheshonq en l'occurrence) qui se serait déroulée sans aucun acte de violence. « Historiquement, les amazighes, particulièrement ceux de Libye, faisaient partie de l'armée égyptienne de l'époque en tant que soldats, officiers et hauts gradés. Sheshonk occupait un haut poste de l'armée et c'est ce qui lui a permis d'accéder au pouvoir. C'est son « intronisation » en tant que Pharaon, célébré avec faste, qui nous a légué la tradition d'Innayer, retenue comme date pour la calendrier amazighe, qualifié aussi d'Année agricole », nous confie M. Moha Moukhlis de l'IRCAM. Loin d'être une référence à une conquête belliqueuse, l'année de référence du calendrier amazighe se révèle surtout comme un rappel de l'ancienneté et de l'influence historique de la culture Amazighe en Afrique du Nord.
3 questions à Moha Moukhlis, chef de service à l'IRCAM « Cette célébration fait partie des événements millénaires et historiques que notre mémoire collective perpétue »
Chef du service de la communication externe à l'Institut Royal de la Culture Amazighe (IRCAM), M. Moha Moukhlis répond à nos questions.
- Quelles sont les différentes traditions marocaines liées à la célébration du Nouvel An amazigh ? - Cérémonie festive et conviviale, la célébration qui a lieu chaque 13 janvier de l'année grégorienne se caractérise essentiellement par la préparation de mets spécifiques : couscous aux sept légumes, plat de Tagwlla, fruits secs... Les mets et le cérémonial peuvent varier d'une région à une autre. La fête est dans certaines régions accompagnée de chants déclamés à cette occasion. Un noyau de datte ou une amande est dissimulée dans le plat de couscous. Celui qui la trouve est le chanceux de l'année. Le noyau est alors enfoui dans le silo à grain comme gage de prospérité. Innayer est aussi la célébration de la terre et de la nature conçues comme ressources pour la vie. C'est une occasion conviviale qui consolide les valeurs de solidarité, de tolérance et du vivre-ensemble. - Plusieurs communautés et groupes demandent que cette date soit célébrée comme une fête nationale et devienne un jour férié. Adhérez-vous à cette demande ? - Absolument. Cette célébration fait partie des événements millénaires et historiques que notre mémoire collective perpétue. Elle donne au Maroc et à l'Afrique du Nord sa spécificité. C'est aussi un symbole de l'union et de la fraternité, d'un rassemblement autour de mets, avec toute la symbolique qui caractérise la nourriture dans notre culture et les valeurs qui lui sont inhérentes : générosité, solidarité, aide, partage... - Comment sera célébrée cette fête par l'IRCAM cette année ? - La célébration du Nouvel An amazigh est une tradition consacrée par l'IRCAM, depuis sa création. Cette année, 2972 sera fêtée conformément à un programme qui, pour des raisons liées à la pandémie du Covid-19, se fera à distance, sous le thème : « Valeurs de Innayer : souhait et espoir », le 14 janvier 2022, à partir de 15:00, via le site internet de l'Institut : www.ircam.ma. Le programme comporte plusieurs capsules réalisées par des Centres de recherches qui analysent, de manière pédagogique, le sens et la symbolique de Innayer, dans des perspectives anthropologique, historique et pédagogique. Recueillis par O. A.