Le manque de donneurs d'organes et l'absence de prise en charge des donneurs vivants sont toujours des freins au développement de la transplantation d'organes au Maroc. Explications avec Amal Bourquia, présidente de l'association « Reins », qui a lancé la Journée Mondiale du Rein dans notre pays. - Depuis de longues années, le Maroc reste à la traîne, que ce soit pour les transplantations ou les dons d'organes. La situation est-elle toujours la même ? - Le bilan est triste ! Chaque année, on espère dresser un état des lieux meilleur. Or, la situation est désespérante. L'évolution des opérations de transplantation d'organes au Maroc n'est pas à la hauteur de nos aspirations. Lors de la Journée mondiale du don d'organes et de la greffe, les gens sont plus sensibles à l'urgence et à la nécessité de développer ce moyen thérapeutique. On n'en parle pas tout au long de l'année. De notre côté, nous avons essayé de communiquer plus. L'association « Reins » a démarré des campagnes de sensibilisation 10 jours avant le jour J. Nous continuons à le faire. Le but principal est de sensibiliser le plus de personnes et leur faire intégrer certaines notions qui restent méconnues ou mal interprétées, selon les constats dressés découlant de différents sondages et enquêtes réalisés par nos soins. - Au Royaume, combien de personnes touchées par des problématiques d'insuffisance rénale ? - Il n'y a pas de chiffres fixes, puisqu'il y a des malades qui ont besoin de greffe d'organes vitaux comme le coeur, le foie, le poumon ou le rein. Par contre, il y a ce qu'on appelle les indicateurs internationaux. Tout le monde s'accorde à dire que 10% de la population marocaine ont un problème rénal. Ce qui est énorme... On a donc au moins 3 millions de personnes atteintes de maladies rénales. Souvent, les gens le connaissent après un dépistage et sont surpris de voir que leur fonction rénale est altérée. Des fois, on a recours à la substitution par des reins artificiels qui permettent de maintenir les patients dans un plus ou moins bon état, en attente de greffe. Concernant le rein, seuls les pays qui prennent en charge les patients ont des statistiques justes. Localement, il y a 600 donneurs qui sont majoritairement des donneurs vivants. Par ailleurs, la greffe de foie a commencé il y a une dizaine d'années, mais c'est dérisoire au point de dire qu'il n'y en a pas.
- Les deux dernières journées mondiales ont été célébrées dans un contexte marqué par la crise sanitaire. A quel point la crise du Covid a-t-elle perturbé les programmes de don et de transplantation dans le monde ? - Il y a eu quasiment un arrêt total de ces activités durant les premiers mois de la crise. Plusieurs personnes n'ont pas eu la chance d'être greffées. Il y avait le risque de voir ces patients immunodéprimés. Mais il y a eu une reprise des activités, quand on a compris comment les gens se comportaient et à qui greffer. Chez nous, c'était le chaos, pour de nombreuses raisons. Il n'y avait pas d'activités régulières. Une mobilisation urgente à tous les niveaux pour le don et la transplantation d'organes au Maroc était nécessaire, notamment en faveur des personnes atteintes de maladies rénales chroniques, véritable fléau du 21ème siècle qui risque de s'aggraver davantage avec la pandémie du Covid-19. - Dans votre nouvel ouvrage « Quel espoir », vous faites le point sur la situation du don et de la transplantation d'organes au Maroc et discutez de la transplantation dans tous ses aspects, législatifs, sociaux, économiques, entre autres. Qu'est-ce qui manque pour développer la transplantation d'organes au Maroc ? - Une volonté politique est ce qui manque ! Contrairement à d'autres domaines médicaux, le don d'organes est particulièrement spécifique puisqu'on ne peut pas demander aux autorités d'importer une machine ou d'autoriser un traitement. Pour développer cette transplantation, différentes actions doivent être menées dans différents secteurs, économiques, législatifs, religieux... Les responsables politiques sont ceux qui peuvent jouer le rôle de l'intermédiaire. C'est pourquoi une stratégie nationale de développement du don d'organes nous paraît obligatoire. - A quel point la modification de la loi relative au don, au prélèvement et à la transplantation d'organes et de tissus humains permet-elle de sauver les personnes en attente de greffe ? - Nous travaillons avec le Dahir n° 1-99-208 du 13 Joumada I 1420 (25 août 1999) portant promulgation de la loi n° 16-98 relative au don, au prélèvement et à la transplantation d'organes et de tissus humains. Toute loi est amenée à être modifiée, mise à jour et adaptée aux circonstances. Nous avons demandé le changement de la loi depuis cinq ans pour alléger la procédure du don d'organes. Parmi les leçons à tirer de la pandémie : l'importance de la digitalisation des services et l'inscription aux registres de don d'organes au niveau des différents tribunaux de première instance du Royaume. De plus, la prise en charge du donneur vivant n'existe pas. Nous plaidons pour le changement de la loi pour que les Marocains deviennent tous donneurs potentiels en dehors de ceux qui expriment leur refus. C'est la seule voie actuelle qui pourrait aider à sauver les personnes en attente de greffe. - De nombreux citoyens ont peur que ce don puisse faire l'objet d'un trafic ou d'une commercialisation illégale. Pouvez-vous leur rappeler la procédure à suivre pour faire don de ces organes ? - La procédure est simple. Il suffit de se présenter au Tribunal civil de première instance de la ville de résidence et demander à s'inscrire au registre de don d'organes. C'est tout. Les signataires peuvent se désister à tout moment. - Sans indiscrétion de ma part, êtes-vous prête à donner vos organes ? - Bien sûr. Je pense que tout humain, même scientifique ou médecin, sait très bien qu'après la mort, notre corps n'est plus qu'une masse. D'ailleurs, éthiquement, un médecin qui n'est pas convaincu par cette thérapie ne doit pas la présenter à son patient. Recueillis par Safaa KSAANI Portrait Une pionnière de la néphrologie au Maroc
Nul besoin de présenter Amal Bourquia, l'un des précurseurs au Maroc de la transplantation rénale. Ses qualités tant humaines que professionnelles sont reconnues aussi bien au niveau national qu'international et ses différentes actions en faveur des personnes atteintes de pathologies rénales au Maroc sont largement plébiscitées par la communauté néphrologique. Cette passionnée de néphrologie a entamé sa carrière universitaire en 1980 au CHU de Casablanca. Ses fonctions hospitalières, son dynamisme et son dévouement pour les malades l'amènent à participer activement à la mise en place et au développement de nombreux programmes thérapeutiques tels que l'hémodialyse aiguë et chronique, la dialyse péritonéale et la dialyse pédiatrique. Dès le début de sa carrière universitaire, le Pr Bourquia s'est investie intensément dans ses tâches d'enseignante, participant à la réforme des programmes pédagogiques de la faculté de médecine, en particulier les stages hospitaliers. Après sa longue et fructueuse carrière d'enseignante au Centre Hospitalier Ibn Rochd, elle démarre une nouvelle expérience dans le secteur libéral en créant Al Amal Centre, une structure de soins dédiée à la néphrologie et permettant de prendre en charge aussi bien les enfants que les adultes atteints de maladies rénales. Capitalisant sur sa longue expérience de terrain et avec une volonté de venir en aide aux patients marocains pour être mieux pris en charge, le Pr Bourquia crée « REINS », l'association marocaine de lutte contre les maladies rénales, qui a initié plusieurs actions en faveur des malades marocains. Elle a en outre lancé la journée mondiale du rein dans notre pays. C'est aussi une écrivaine prolifique qui compte à son actif plus de 100 articles qui touchent aux différents aspects de cette spécialité et rapportent les résultats de nombreux projets de recherches qu'elle a elle-même réalisés. Ses articles constituent, pour la plupart, les seules références nationales en la matière. S. K.