Malgré ses belles performances, Tanger Med ne contribue que très peu aux recettes fiscales de l'Etat. L'activité de transbordement, sa spécialité, échappe elle aussi aux impôts. Pour rectifier le tir, certaines voix appellent à transformer le trafic transbordé en trafic inclusif, irriguant le système de production national. Une vitrine qui fait le prestige du Maroc, mais qui, financièrement, ne rapporte pas autant qu'on le pense à l'économie nationale. C'est en somme l'histoire du Port Tanger Med. Ces derniers temps, la plateforme portuaire de la ville du Détroit continue de battre des records et d'améliorer ses classements sur les principaux indices de compétitivité des ports du monde. Dernier en date : la place de leader occupée dans le classement des ports africains sur le trafic conteneurisé, établi par Lloyd's List et Container Management. Avec 5,7 millions de conteneurs EVP (équivalents vingt pieds) traités, Tanger Med distance ainsi les ports égyptien de Port Saïd (4 millions de conteneurs) et sud-africain de Durban (2,5 millions). De quoi renforcer l'image de marque du gigantesque port tangérois, qui est, par ailleurs, le plus grand port du continent et du bassin méditerranéen, dans lequel il s'est aussi adjugé le premier rang sur le trafic conteneurisé. Exonérations fiscales Mais pour Tanger Med, le problème réside ailleurs. Il se pose avant tout sur le plan fiscal, c'est-à-dire la participation directe au budget de l'Etat. « En vertu des dispositions légales, la contribution de Tanger Med dans le budget est quasi nulle, pour ne pas dire négative », estime l'expert maritime Najib Cherfaoui. En effet, selon l'article 12 du décret n°22.02.644 (10 Sept. 2002), l'Agence Spéciale Tanger-Méditerranée (TMSA) est affranchie des impôts d'Etat sur les revenus liés à ses activités. Toujours selon le même décret, la TMSA est exemptée de la taxe sur la valeur ajoutée (article 13). Enfin, au niveau de la région Tanger‐Tétouan-Al Hoceima, la TMSA ne paye pas la taxe sur les services portuaires, car elle bénéficie de la suspension pendant quinze années d'exploitation, conformément à la loi n°47-06 (6 déc. 2007) relative aux collectivités locales (article 6/II/3). Autrement dit, la TMSA est subventionnée via l'exonération fiscale. Idem pour l'ensemble des sociétés opérant sur ce périmètre. Et ce n'est pas tout : même l'activité de transbordement, qui est l'ADN de ce port situé sur un axe par lequel passent 80% du transport maritime mondial, ne fait pas rentrer de fonds pour l'Etat. Bingo pour les armateurs ! « Il faut savoir que ces millions de conteneurs échappent totalement à l'impôt », renchérit le professeur Cherfaoui. Par exemple, l'article 121 de la loi n°47-06 (6 déc. 2007) relative aux collectivités locales stipule expressément « la non-imposition des services liés au transport international relatifs aux marchandises en transit non destinées au marché national ». En plus clair, le transbordement est exclu du champ d'application des impôts. Ce qui fait l'affaire des armateurs internationaux qui opèrent sur le Port Tanger Med, à savoir les trois conglomérats planétaires : 2M Alliance, Ocean Alliance et The Alliance, qui assurent 70% du trafic conteneurisé mondial. « Ce sont les trois heureux locataires de cette structure portuaire », souffle un professionnel du secteur portuaire. Mal insignifiant ? Si cette situation est bien admise chez l'ensemble des acteurs du monde maritime, certains préfèrent voir « le rôle pivot » joué par le Port sur la compétitivité logistique du Maroc et sur le développement industriel. Ce qui, à leurs yeux, compense largement les pertes fiscales du Port... C'est notamment le cas de El Mostafa Fakhir, premier vice-président du Comité des spécialistes africains en activités maritimes, portuaires et logistiques (COSAMPOL), pour qui « le mal est insignifiant » vu l'apport du port dans sa globalité. « Tanger Med a fait venir de nombreux sous-traitants au Maroc. Tanger Med a offert de la compétitivité logistique au Maroc », rappelle-t-il. Ecosystèmes industriels Le décollage des différentes zones industrielles de la ville du Détroit, notamment Tanger Free Zone, l'installation de grands groupes automobiles tels que Renault, sans parler des milliers d'emplois créés dans la région, compensent, selon plusieurs observateurs, les « carottes fiscales » offertes à l'écosystème de Tanger Med. Malgré tout, conclut le professeur Cherfaoui, il est toujours possible de limiter les pertes fiscales. Et pour cela, conseille-t-il, « il faut plutôt agir directement sur l'industrie de la région pour transformer au moins une fraction du trafic transbordé en trafic inclusif irriguant le système de production ». A bon entendeur ! Abdellah MOUTAWAKIL
Repères Un pôle en devenir L'installation portuaire de Tanger Med s'inscrit dans une vision de développement à long terme, sur une assiette foncière dédiée évaluée à 50 millions m2, avec la création d'un réseau de parcs industriels et logistiques. Ce pôle régional de compétitivité compte près de 1.000 entreprises orientées vers l'export en activité à ce jour, et a généré de plus de 80.000 emplois principalement axés sur des activités industrielles et logistiques opérant dans différents secteurs, tels que l'aéronautique, l'automobile, le textile, la logistique et l'électronique.
L'économie circulaire via l'éducation En plus de ses activités commerciales et industrielles, Tanger Med vient d'investir le domaine de l'éducation via sa fondation. Une incursion qui s'intègre dans le concept d'économie circulaire et qui vise à accompagner le développement de la région Nord, s'est matérialisée par l'ouverture successive d'une école 1337 Med (spécialisée dans le codage) et du Lycée méditerranéen (LYMED). Des écoles calquées sur leurs grandes soeur situées à Benguerir et qui sont le fruit d'un partenariat avec l'Université Mohammed 6 Polytechnique de Benguerir. L'info...Graphie Maroc – Espagne En attendant la reprise des liaisons maritimes...
Malgré les rumeurs annonçant une reprise prochaine des rotations entre le port de Tanger Ville et la ville espagnole de Tarifa, rien n'est acté à ce jour. De sources portuaires et auprès des compagnies maritimes, on avance qu'aucune notification n'a été reçue à ce propos jusqu'à présent. En plus, si reprise il y a, toutes les lignes à destination de l'Espagne devraient être concernées, aussi bien au départ du Port de Tanger Ville que de Tanger Med. Les acteurs du transport maritime attendent avec impatience la formation du nouveau Gouvernement marocain et le réchauffement des relations avec Madrid. A ce propos, la reprise des échanges officiels entre les chefs de la diplomatie marocaine et espagnole, le 21 septembre, constitue un signe positif quant à un retour à la normale dans les relations entre les deux voisins.
C'est une opération qui en dit long sur la réforme du secteur portuaire en cours, mais aussi sur le besoin de relais de croissance pour Tanger Med. En juillet dernier, le groupe Tanger Med a acquis 35% du capital de l'opérateur portuaire Marsa Maroc. Coup de l'opération : 5,48 milliards de dirhams. L'objectif annoncé est, pour l'Etat, d'accompagner les différents secteurs stratégiques à travers les entreprises publiques qu'il contrôle. Dans ce cas précis, il s'agit surtout pour Marsa Maroc de contribuer au financement et à la mise à disposition de cash pour accélérer la rentabilisation de Tanger Med. « Ce besoin de rentabiliser les activités de Tanger Med via l'apport d'autres sources de financement montre que le transbordement ne rapporte pas encore. Là, on part piocher dans les activités des autres ports marocains pour soutenir Tanger Med », note un professionnel du secteur. Il est à noter que Marsa Maroc fait aussi son entrée dans le Port de Tanger, avec l'exploitation du Terminal TC3. Dans un autre registre, et toujours à Tanger Med, il est prévu de former un nouvel ensemble qui se chargera de la gestion de l'exploitation du Port Tanger Med 1, du port Passagers et Rouliers et du Port Tanger Med 2. Le tout sous la tutelle de Tanger Med Port Authority. A ce propos, une Assemblée générale extraordinaire de Tanger Med 2 est prévue le 15 octobre pour entériner la décision.
3 questions à Najib Cherfaoui, Expert maritime « Faire du transbordement un moteur de croissance »
Pour le professeur Najib Cherfaoui, il faut à tout prix rentabiliser les activités de transbordement, qui, aujourd'hui, selon lui, ne profitent qu'aux grands armateurs. - Depuis sa création, quelle a été la contribution la plus conséquente de ce port dans sa région d'implantation ? - La TMSA a été créée en 2002 selon une mentalité primaire, imprégnée par l'obsession du transbordement démarré en 2007. Chemin faisant, eu égard au montant colossal de l'investissement initial, la stérilité de la démarche est apparue au grand jour. Comme alternative, il a été décidé de soustraire au port de Tanger Ville les deux composantes majeures : ferries et Transport International Routier (TIR) en 2010. Ayant constaté l'insuffisance de ces pistes, ils se tournent alors vers les céréales et le secteur automobile (2012), avec accompagnement en zone franche. En 2015, avec la faillite de la SAMIR (Mohammedia), le monopole des hydrocarbures a été attribué à Tanger Med. En clair : on est en train de cannibaliser les trafics des autres ports, y compris celui de Casablanca, à travers son entrée en 2021 dans le capital de Marsa Maroc. - Faut-il alors revoir ce cadre réglementaire ou bien quoi faire pour que Tanger Med soit plus rentable pour l'économie nationale ? - Il ne s'agit pas du cadre réglementaire. Le cadre réglementaire n'est qu'un symptôme. Il faut plutôt agir directement sur l'industrie de la région pour transformer au moins une fraction du trafic transbordé en trafic inclusif irriguant le système de production. - Comparé aux autres grands ports du bassin méditerranéen, est-ce la même réalité ? - La réalité n'est pas la même pour tous les ports, car les ports du Nord ont adapté le tissu industriel de l'arrière-pays pour faire du transbordement un « volant de services » à la disposition de la croissance. Recueillis par A. M.