A sa disparition en 2017, Anis Hajjam lui a consacré un hommage dans les colonnes de l'hebdomadaire Tel Quel. En voici quelques passages revisités. La première venue du chanteur au Maroc est professionnelle et grand public. En ce juin 1962, Johnny est booké. Et pour cause... Le naïf bad boy de l'époque sort, un peu plus d'un an plus tôt et après quelques singles de reprises, son premier album «Nous les gars, nous les filles». L'engouement pour ce Français, Belge de père et vaguement Américain, est phénoménal. Le Maroc l'accueille un brin à l'aveugle. Grâce à une dame, reine incontestée de la fête casablancaise, Ninette Banon, le futur caméléon-opportuniste -il aura tout essayé pour s'imposer- l'invitation de Johnny est possible. Cela fait quelques années qu'elle organise des spectacles aux Arènes (boulevard d'Anfa), dédiées initialement à la tauromachie. La scène qu'elle met en place devient mythique. Elle reçoit des stars mondiales de la chanson. Avec l'acharnement de cette chanteuse-journaliste-publiciste, le public casablancais n'a pas grand-chose à envier aux spectateurs européens et américains. Dame haute en couleurs et amoureuse de la vie, elle fait venir The Platters, Sacha Distel, Petula Clarck, Dalida, Richard Anthony, Ray Charles, Shadows, Eddy Mitchell, Charles Aznavour, Juliette Greco... Ses programmations s'étalent au Théâtre municipal, au Vox et au Rialto. Le 14 juin 1962, c'est au tour de Johnny Hallyday, flanqué des Golden Stars, d'investir Les Arènes de Casablanca. La première partie du show est assurée par une pré-ado époustouflante de talent : Allegria Banon, fille de Ninette, devenue Malika quelques années auparavant, surnom suggéré par le sultan Mohammed V suite à une prestation de chant et de danse au palais lors d'une fête d'anniversaire de la princesse Lalla Amina. Johnny regarde, ébahi, la jeune demoiselle à la beauté divine et à l'énergie rare. C'est, ensuite, à lui d'affronter des Arènes pleines à craquer. Un moment intimidant pour un quasi débutant. La foule est acquise, c'est à lui d'assurer sans décevoir. Faisant appel à des classiques connus de tous, il réussit à draguer un public exigent avant d'enchainer sur des titres qui ne font pas la gloire du rocker. Pari, pourtant, gagné. La soirée se poursuit en comité restreint au célèbre Clapotis «chez Sacha» à Aïn Diab. La fête dure jusqu'aux aurores avec la petite Malika dansant et reprenant des titres de la chanteuse pop-rock-country Brenda Lee. C'est «déjà» le 15 juin et Johnny Hallyday célèbre ses 19 ans. La nouba a lieu chez les Banon. La star s'éclipse le lendemain et retrouve le chemin de Casablanca deux années plus tard pour un set au casino Fédala et encore huit années après. Entre-temps, le chanteur développe du lourd autour de lui, en termes de production et d'image de plus en plus rock'n'roll. Rock & soul, Johnny Circus Se rappelant ses passages au mythique club parisien Golf-Drouot, Johnny s'y rend le 21 mars 1967. Sur scène se produit le Marocain Vigon. Un jam s'ensuit et la sueur mêle rock et soul. Cinq ans après cette collaboration improvisée, Hallyday recrute Vigon pour les besoins de la tournée «Johnny Circus» (lire plus loin). L'amitié entre les deux hommes pousse Hallyday à remettre le couvert au Maroc. Les Arènes démolies en 1971, Ninette Banon programme Johnny au Théâtre municipal l'année suivante. Le succès est tel qu'une foule impressionnante se jonche tout autour de ce défunt espace. Une décennie plus tard, le revoilà à Casablanca, en touriste éclairé. Il dîne à proximité du Consulat de France, au restaurant Al Mounia, propriété de Hassan Berrada, homme d'affaires, mécène et ami des artistes. Son associé et gérant, Mohamed Sbaï, se rappelle d'un rockeur au grand coeur, d'une personne sympathique et d'un disjoncté touchant. Après le repas, Johnny et Sbaï se rendent chez une figure emblématique du culturel casablancais, aujourd'hui six-pieds-sous-terre. Il les accueille à bras entrouverts vu qu'il tutoie généralement le nirvana. Johnny fume et boit du gros rouge pendant toute la nuit avant de disparaitre. Le rockeur s'évapore non sans rappeler qu'un percussionniste qui l'a longtemps accompagné était Marocain (Mohamed Ben Fettah) et qu'il se faisait appeler Sam Kelly. Le Maroc, sa dernière femme Laeticia le découvre à travers lui. Pour les 73 ans du chanteur, elle organise un anniversaire aux couleurs d'ici : tente et bougies, gâteaux et thé, mets et desserts, décors et accessoires..., une fête somptueuse dans leur résidence californienne récemment vendue. A.H.