L'attaque perpétrée par un groupe d'éléments armés contre des camionneurs marocains le 11 septembre 2021 dans la commune de Didiéni au Mali, qui a causé la mort de deux ressortissants marocains et des blessures graves pour un troisième, porte encore beaucoup de zones d'ombre et d'interrogations. Dans un contexte local marqué par la transition politique au Mali assurée par le pouvoir militaire, la lutte contre les groupes extrémistes de différentes obédiences dans le nord du pays et par l'insécurité qui persiste actuellement sur une grande partie du territoire malien, cet acte qui s'apparente à une attaque terroriste comprend tous les éléments d'une affaire criminelle qui ne risque pas d'être élucidée de sitôt. Cette attaque rondement menée qui a causé la mort de deux Marocains à bord de deux camions de transport de marchandises en provenance du Maroc, ne répond nullement au mode opératoire des attaques menées par les groupes jihadistes qui opèrent habituellement dans cette région. En effet, d'après les déclarations des deux chauffeurs qui ont survécu à l'attaque sur la chaîne Médi1 Tv, les assaillants qui étaient postés derrière les arbres, en face de la route, ont directement ciblé les cabines des deux camions arborant des plaques d'immatriculation marocaines. Ces assaillants qui ont tiré à vue sur les chauffeurs et leurs accompagnants à l'aide d'armes de guerre, se sont enfuis à travers les bois sans essayer de voler ni effets ou argent personnels des victimes, ni contenu de la marchandise transportée. Selon le témoignage des victimes survivantes, quand les assaillants se sont approchés de la cabine d'un des camions visés pour vérifier si leurs cibles avaient bien été touchées, l'un d'eux s'est exprimé à voix haute en français en déclarant à propos des victimes : « Ce sont bien des Marocains ? ». Toujours d'après les témoins, ces hommes armés étaient cagoulés et deux d'entre eux étaient équipés de postes radio portatifs (talkie-walkie). Juste après l'attaque, Mohamed Wakrim, l'un des deux chauffeurs rescapés qui a été blessé, a été secouru par un automobiliste qui l'a conduit à un centre de santé à proximité du lieu de l'attaque. Selon Mohamed Kali, deuxième chauffeur sorti indemne de cette attaque, les autorités maliennes se sont rendues par la suite sur les lieux de l'incident et le bouclage de la zone a été effectué par des policiers et militaires en tenue de service.
Quelles motivations derrière cette attaque ?
L'armement et l'équipement militaire de ce groupe et le mode opératoire utilisé indiquent clairement qu'il ne s'agit pas de brigands ou de coupeurs de route intéressés par l'argent ou un butin à dérober. La piste jihadiste est elle aussi d'emblée écartée, car les groupes de combattants terroristes ne visent que des militaires maliens ou français de l'opération Barkhane, considérés comme représentant un pouvoir illégitime pour les premiers et constituant une force militaire colonisatrice pour les seconds. Les terroristes ont élargi leurs cibles dernièrement aux casques bleus de la « Minusma », comme en atteste l'attaque contre le contingent allemand près de Gao le 25 juin 2021.
Les groupes terroristes qui s'activent au Mali (Al Qaeda au Maghreb Islamique [AQMI], Groupe de Soutien à l'islam et aux Musulmans [GSIM] et Etat Islamique au Grand Sahara [EIGS]) ont tous un point commun : combattre les forces internationales qui représentent l'Occident et des valeurs contraires à l'Islam, épargnat la population civile (à l'exception d'expéditions punitives en représailles contre les civils soupçonnés d'informer l'armée dans la région d'Assango). Le Maroc ne participant pas aux opérations des casques bleus au Mali, il n'existe aucune raison pour laquelle des terroristes s'en prendraient à des ressortissants marocains, qui plus est assurant le transport de marchandises et de denrées vitales pour la sécurité alimentaire de la population malienne. D'ailleurs aucune revendication de cette attaque n'a été faite par les groupes terroristes présents au Mali. Ainsi, si on élimine les hypothèses d'une attaque terroriste et d'une opération menée par des bandits de grands chemins, il ne reste plus que la piste d'une attaque préméditée ou commanditée, visant des ressortissants marocains et plus précisément le secteur du transport de marchandise marocain en direction du Mali et des pays du Sahel. Ce qui conforte cette hypothèse, c'est que les assaillants ont visé les deux camions marocains puis ont pris la fuite sans s'en prendre à d'autres véhicules empruntant cet axe. Par ailleurs, l'utilisation de postes radios portatifs laisse penser que les assaillants ont été avertis à l'avance de l'arrivée imminente des deux camions, probablement par des guetteurs placés en avant sur l'axe routier.
Investigations et mesures de sécurité à la suite de cette attaque
D'après l'entretien de l'ambassadeur du Royaume au Mali, M. Hassan Naciri avec Medias24, les autorités maliennes ont mobilisé les moyens relevant des ministères de la Justice, de la Défense et de la Sécurité intérieure pour mener à bien les recherches et les investigations autour de cette attaque. Toujours d'après M. Naciri, les autorités ont ordonné une opération de ratissage dans la zone et ont ouvert une procédure judiciaire concernant cet acte criminel. Néanmoins, sans pour autant remettre en cause les capacités des services de sécurité maliens qui ont entamé dernièrement avec succès un processus de réforme du secteur de sécurité englobant tous leurs services, il semble peu probable que l'enquête puisse identifier et arrêter rapidement les auteurs de cette opération. En effet, les autorités maliennes ne peuvent assurer actuellement le contrôle de l'ensemble du territoire, dont une partie importante est sous l'emprise des groupes jihadistes. Par ailleurs, même si la région de Koulikoro dans laquelle se trouve la commune de Didiéni où s'est produite l'attaque, est sous contrôle des autorités maliennes, l'étendue de ce territoire et la concentration des forces de sécurité et de défense maliennes sur le front nord pour contrer les groupes de combattants terroristes font que cette région n'est pas entièrement sécurisée. Ainsi, il est fort possible que les éléments auteurs de l'attaque ont déjà eu l'occasion de quitter la région voire le pays, à la faveur des frontières poreuses dans cette région. En outre, les circonstances dans lesquelles l'attaque s'est déroulée laisse peu de chance aux enquêteurs pour trouver des preuves ou indices qui puissent faire remonter la trace jusqu'aux auteurs. Bien que cela ait été évoqué à travers des médias nationaux, la possibilité de voir les services marocains participer aux investigations sur place avec leurs homologues maliens est à écarter. En effet, seuls les services de sécurité nationaux sont habilités à mener des enquêtes et des procédures judiciaires. Car tout acte de police judiciaire (interrogatoire, perquisition, constatation, prélèvement de traces et indices) doit être exécuté conformément aux législations locales et doit faire l'objet d'un procès-verbal rédigé par des agents qui ont une compétence judiciaire nationale. Un service étranger peut toutefois apporter un soutien technique, sans pour autant mener d'actes de police judiciaire. Néanmoins, il semble peu probable que les autorités maliennes acceptent une telle coopération. D'abord car il y a une volonté de la part du Président de transition, le Colonel Assimi Goîta, de s'affranchir de la tutelle des puissances étrangères. Ensuite parce que cela sonnerait comme un désaveu pour les services de sécurités nationaux. Par contre une coopération sur le plan de l'échange de renseignements est tout à fait envisageable. Les services de renseignements marocains (DGED) qui accordent une importance particulière à la région du Sahel, vont certainement partager les informations qu'ils collectent à travers leurs sources sur place, en vue d'orienter les services maliens.
Existe-t-il un lien entre l'attaque des camionneurs marocains et l'élimination du chef de l'EIGS ?
En dehors de la « Minusma », mission onusienne déployée pour la stabilisation du Mali depuis avril 2013, les forces armées françaises sont la seule force armée d'une puissance étrangère autorisée à intervenir au Mali (dans le cadre de l'opération « Barkhane »). Dans leur lutte contre les groupes terroristes, les militaires français sont parvenus à éliminer Adnan Abou Walid Al-Sahraoui, le chef du groupe armé jihadiste Etat Islamique au Grand Sahara (EIGS) dans la nuit du 15 au 16 septembre 2021. Adnan Abou Walid Al-Sahraoui, natif de Laâyoune et dont le nom d'origine est Mohamed Al Lahbib Ould Joummani, est un ancien cadre du Polisario. Il a rejoint par la suite la mouvance jihadiste Al-Qaïda au Maghreb Islamique (AQMI) avant de prêter allégeance à l'organisation de l'Etat Islamique en mai 2015 dont il devint le chef de la branche de l'organisation au Sahel. Considéré comme l'instigateur de plusieurs attaques dans la zone des trois frontières, à cheval sur le Mali, le Niger et le Burkina Faso, il fait l'objet d'un intérêt particulier de la part de l'armée française, étant désigné comme "ennemi prioritaire" au Sahel par le ministère des Armées français. Dans ce contexte, il est utile de s'interroger sur la coïncidence de l'attaque contre les camionneurs marocains et la neutralisation de ce chef jihadiste ? En effet, si l'hypothèse de l'attaque commanditée contre les ressortissants et les intérêts marocains demeure la plus vraisemblable, le lien avec Abou Walid Al-Sahraoui et sa branche terroriste est tout à fait cohérent. Si le Polisario est bel et bien derrière l'attaque contre les camionneurs marocains comme cela a été suggéré par plusieurs médias et experts des mouvances terroristes dans la région, qui d'autre que Abou Walid Al-Sahraoui serait le plus à même d'exécuter cette attaque pour le compte du Polisario. Ayant été à la solde des milices du Polisario et surtout étant à la tête d'un groupe de combattants jihadistes installé au Mali, il semble le plus indiqué pour mener cette attaque. Si on se base sur cette éventualité, le lien entre les deux évènements est vite établi. Les forces françaises déployées au Mali suivent avec attention toutes les attaques et mouvements des groupes jihadistes en se basant sur des sources humaines mais aussi le Renseignement d'Origine Image (ROIM) à travers l'utilisation d'images provenant de satellites et de drones d'observation. En suivant le mouvement des assaillants qui ont mené l'attaque contre les camionneurs marocains, dans leur phase de retrait, les services de renseignement militaire français auraient parfaitement pu remonter la trace menant jusqu'au chef de l'organisation. En effet, pour déterminer l'emplacement de chefs de groupes terroristes qui changent de repère en permanence, une des méthodes utilisées est de remonter leur trace en suivant des personnes de leur cercle rapproché. Une coopération entre services de renseignement français et marocains n'est d'ailleurs pas à exclure pour mener à bien cette traque. Cette opération des forces françaises qui a abouti à l'élimination de Abou Walid Al-Sahraoui, va porter un coup décisif au commandement de l'EIGS et à sa cohésion. Néanmoins, les évènements récents au Mali interpellent surtout sur les liens présumés entre le Polisario et les différents groupes terroristes s'activant dans la région du Sahel et qui poursuivent les mêmes objectifs macabres. Nizar Derdabi, Ex-officier de la Gendarmerie Royale et analyste en stratégie internationale, défense et sécurité.