Dans une tentative de contrecarrer les tankers iraniens, le gouvernement libanais aurait obtenu un feu vert américain pour faire transiter par la Syrie du gaz et de l'électricité. Le gouvernement syrien va aider le Liban en crise en autorisant le transit sur son territoire de ses importations en gaz et en électricité, a indiqué samedi un haut responsable libanais après la visite à Damas d'une importante délégation libanaise, la première en dix ans. En plein effondrement économique, à court de devises étrangères, le Liban connaît de graves pénuries de carburant et des coupures d'électricité qui paralysent en grande partie les services et les activités des hôpitaux, restaurants, magasins et industries. Avec un feu vert exceptionnel des Etats-Unis, le Liban va essayer d'acheminer - via la Syrie et ses infrastructures - du gaz égyptien mais aussi de l'électricité venue de Jordanie, et ce malgré les sanctions américaines visant le pouvoir syrien. La délégation ministérielle libanaise a rencontré samedi à Damas le chef de la diplomatie syrienne Fayçal Moqdad et le ministre du Pétrole, Bassam Tohmé. En conférence de presse, le haut responsable libanais Nasri Khouri a déclaré que la Syrie était « prête » à aider le Liban en ce qui concerne « le passage du gaz égyptien et de l'électricité jordanienne via le territoire syrien ». « Les deux parties se sont mises d'accord sur le suivi des détails techniques en mettant en place une équipe conjointe », a-t-il précisé. Le ministre libanais de l'Energie Raymond Ghajar a annoncé qu'une réunion aurait lieu la semaine prochaine en Jordanie avec des représentants des gouvernements libanais, syrien, jordanien et égyptien pour notamment établir un plan de travail et un calendrier. Questions logistiques La délégation libanaise, emmenée par la vice-Premier ministre du gouvernement intérimaire Zeina Akkar, comprend aussi le ministre des Finances Ghazi Wazni et l'influent directeur général de la Sûreté générale, Abbas Ibrahim. Plusieurs questions d'ordre logistique devront être résolues. Dans une Syrie aux infrastructures ravagées par le conflit déclenché en 2011, des travaux seront nécessaires pour permettre l'acheminement des importations énergétiques, depuis la Jordanie voisine et en passant par la mer Rouge pour le gaz égyptien. Concernant l'achat du gaz égyptien et les coûts de transport, la présidence libanaise avait auparavant évoqué des négociations menées par Washington avec la Banque mondiale pour sécuriser les financements. Le comité conjoint va évaluer «dans quel état se trouvent les infrastructures », a indiqué à des journalistes le ministre syrien Bassam Tohmé, car «les infrastructures, gazières ou électriques, ont essuyé des dommages importants». Il s'agit de la première visite officielle libanaise à un tel niveau en une décennie. Le conflit syrien avait profondément divisé la classe politique et ouvert un débat sur la nature des relations à entretenir avec Damas. Contrecarrer Hezbollah En août, la position américaine s'est assouplie: la présidence libanaise avait évoqué un feu vert donné par Washington pour autoriser le Liban à obtenir de l'énergie et du carburant transitant par la Syrie, malgré les sanctions américaines. Cette annonce faisait suite à celle du Hezbollah concernant l'acheminement vers le Liban de carburant iranien. Lors d'un déplacement début septembre à Beyrouth, une délégation du Congrès américain avait réitéré la volonté de contourner les sanctions pour le Liban, tout en fustigeant l'initiative du Hezbollah. «Nous ne pensons pas que le Liban a besoin de s'appuyer sur les pétroliers iraniens pour résoudre la crise», avait asséné le sénateur Chris Murphy. Le site Tanker Trackers, spécialisé dans le suivi du transport maritime, a indiqué vendredi sur Twitter qu'un premier pétrolier iranien à destination du Liban se trouvait désormais en mer Rouge, au sud du canal de Suez, tandis qu'un deuxième avait quitté l'Iran. Depuis l'automne 2019, le Liban traverse l'une des pires crises économiques au monde depuis le milieu du XIXe siècle, selon la Banque mondiale. Avec une dépréciation inédite de la monnaie nationale et une inflation galopante, près de 80% de la population libanaise vit désormais sous le seuil de pauvreté, selon l'ONU. La fuite de cerveaux, l'autre fléau qui menace le Liban Le Liban, déjà en plein effondrement politique et économique, doit s'attendre à une vague massive de départ de ses forces vives. Une saignée dont le Liban mettra des années à se remettre, pense le journal Asharq Al- Awsat rapporté par Courrier international. Les dommages de l'effondrement économique qui frappe le Liban depuis près de deux ans "sont réparables" si le pays venait à se mettre sur la voie des réformes. Mais la "fuite des cerveaux" qu'il connaît actuellement aura des conséquences irrémédiables, "menaçant le pays d'un avenir sombre", écrit le quotidien Asharq Al-Awsat. Le pays du Cèdre connaît la troisième grande vague d'émigration de son histoire moderne, après celle qui s'est étendue de la fin du XIXe siècle à la Première Guerre mondiale puis pendant la guerre civile. Commencé en 2019, cet exode s'est accéléré après la gigantesque explosion qui a ravagé Beyrouth le 4 août 2020 et l'aggravation de la crise économique et des pénuries de denrées essentielles. À y regarder de plus près, le plus grand nombre de ces 'fugitifs' font partie de l'élite, des talents et des cerveaux qui ne trouvent pas au Liban un terrain fertile à leurs ambitions et leurs rêves." Cet exode touche principalement le secteur médical, précise Asharq Al-Awsat. "Des centaines de médecins, d'infirmières et d'autres membres des personnels médicaux ont émigré au cours des deux dernières années", mais également le secteur de l'éducation ainsi que celui des banques. Selon des chiffres officiels cités par Asharq Al-Awsat, environ 260.000 passeports ont été délivrés depuis le début de l'année 2021, contre 142.000 durant la même période l'année dernière, soit une augmentation de 82 %. Dans un rapport publié le 30 août et repris par divers médias libanais, l'Observatoire de la crise au Liban, mis en place par la prestigieuse Université américaine de Beyrouth, explique que cette vague d'émigration pourrait s'étaler sur le temps long.