Alors que le Covid-19 est en perpétuelle mutation, envisager d'inoculer des troisièmes doses de vaccin est-il un mauvais choix alors que des nations entières peinent à vacciner leurs populations ? Bien que certains aient pu précocement spéculer ces derniers mois à propos de l'éventuel recours à une troisième dose vaccinale pour augmenter les chances de lutte contre la pandémie, ce n'est que depuis quelques semaines que ce sujet a clairement fait son apparition dans la presse mondiale et dans les débats des cercles scientifiques spécialisés. Ce qui peut s'apparenter à une nouvelle étape dans l'évolution des protocoles vaccinaux qui a immergé en juillet 2021 suite aux annonces de certains groupes pharmaceutiques (Pfizer-BioNTech ou encore AstraZeneca) qui envisageaient de demander une autorisation pour une 3ème dose vaccinale. Le sujet a repris de plus belle ces derniers jours, entre autres à cause du parti-pris de pays qui se sont engagés dans ce choix sanitaire. C'est le cas notamment de la France dont le président a communiqué à ce sujet jeudi dernier à travers une vidéo publiée sur les réseaux sociaux. Emmanuel Macron y prenait clairement position en annonçant la mise en place d'une troisième dose dans l'Hexagone. Enjeux politiques et financiers ? Alors que la Haute autorité française de santé devrait pour sa part rendre un avis officiel à ce sujet d'ici fin août, le président Macron a déjà préparé le terrain pour un rappel vaccinal qui ne sera pas « pour tout le monde » ni pour « tout de suite ». Les sources sanitaires françaises évoquent en effet le lancement d'une campagne « troisième dose » pour la prochaine rentrée à destination des personnes « les plus fragiles et les plus âgées ». Réelle préoccupation sanitaire ou communication politique pré-électorale ? Peut-être un peu des deux... Cela dit, beaucoup d'observateurs s'accordent sur le fait que ce sujet de la troisième dose représente des enjeux financiers certains dans un business du vaccin anti-Covid qui est marqué par une fracture entre les marques coûteuses et celles qui sont bon marché. D'autres estiment que c'est actuellement le bon timing pour se poser la question « tout à fait légitime » des rappels vaccinaux. Pendant ce temps, l'Organisation Mondiale de la Santé (OMS) semble pour sa part avoir un tout autre son de cloche... L'OMS contre une troisième dose « Nous ne pouvons pas – et nous ne devrions pas – accepter que les pays qui ont déjà utilisé la plus grande partie des stocks de vaccins puisent encore dans les réserves, alors que les populations les plus vulnérables ne sont toujours pas protégées dans le reste du monde », a déclaré la semaine dernière le directeur général de l'OMS, Tedros Adhanom Ghebreyesus. Mercredi 4 août, l'OMS a d'ailleurs demandé un moratoire pour l'administration d'une troisième dose de rappel dans les pays riches alors que « les pays pauvres peinent à vacciner ». « C'est tout à fait logique que l'OMS préconise un moratoire concernant la troisième dose alors qu'un pourcentage significatif de la population mondiale n'a toujours pas été vacciné. C'est aussi tout à fait normal que les responsables politiques cherchent à protéger leurs propres citoyens, mais le fait est que le Covid-19 est un virus en perpétuelle mutation. À mon avis, la réussite de la lutte contre la pandémie dépendra au final de la réussite de la stratégie vaccinale mondiale », commente Dr Allal Amraoui, chirurgien et député Istiqlalien. Une lutte contre la montre La lutte contre le Covid-19 se révèle ainsi comme une course contre la montre pour dompter un virus dont la meilleure arme demeure sa capacité à se réinventer. Tant que les variants identifiés à ce jour demeurent vulnérables aux différents vaccins qui existent, la stratégie prônée par l'OMS est de miser sur une immunité collective planétaire.
Autrement, un retard de la généralisation de la vaccination au niveau mondial est une porte ouverte à l'émergence d'une souche plus résistante ou plus virulente, voire les deux en même temps. « Une troisième dose de vaccin ne peut globalement être que positive surtout pour les personnes les plus vulnérables, mais la vaccination demeure un acte collectif de protection. On ne vit pas dans une île isolée, autrement, on n'aurait même pas eu besoin de vaccin », explique Dr Amraoui. C'est donc de la solidarité entre pays que dépendra la réussite de la lutte contre le Covid-19. Un constat qui n'est pas très rassurant au vu des dysfonctionnements de cette même solidarité entre Etats que la pandémie ne cesse de mettre en exergue depuis plus de 20 mois.
Oussama ABAOUSS L'info...Graphie 3 questions au Dr Mustapha Ennaji, virologue « Il faut valoriser l'opération de vaccination jusqu'à l'atteinte d'une immunité collective »
Virologue et membre du Comité technique anti-Covid, Dr Mustapha Ennaji répond à nos questions à propos de la mise en oeuvre d'une troisième dose de vaccin au Maroc. - Est-il raisonnable d'envisager l'organisation imminente d'une troisième dose vaccinale au Maroc ?
- Les décisions que nous prenons dans le domaine de l'immunologie doivent toujours se baser sur un fondement scientifique qui découle d'études cliniques, a fortiori quand il est question de nombre de doses à inoculer dans le cas d'un vaccin. La plupart des études à travers le monde indiquent que la durée d'action des divers vaccins contre le Covid-19 est globalement estimée entre 6 à 9 mois. Les études cliniques à propos de la troisième dose ne sont pas encore connues. Il se peut qu'elles existent mais n'ont, à ma connaissance, pas encore été publiées. Or, nous ne pourrons nous avancer que lorsque nous disposerons des études cliniques qui établissent l'agenda précis et les preuves d'efficacité et de sécurité de cette troisième dose. - Que pensez-vous de la position de l'OMS qui recommande un moratoire à propos de la troisième dose ? - La recommandation de l'OMS est pertinente. Elle a d'autant plus de valeur qu'elle émane d'une Organisation qui dirige la Santé au niveau mondial et dispose d'une approche qui prend en considération toute l'humanité. Il y a à ce niveau un travail qui est mal valorisé de la part des pays riches, car ces derniers ne font pas suffisamment preuve de solidarité avec les pays pauvres. Or, ce virus est bien démocratique puisqu'il ne fait aucune distinction de revenu ou de niveau de développement. Si on veut le vaincre, il faut absolument améliorer la coopération au niveau international. Chaque pays dans le monde devrait au moins vacciner 70% de sa population pour que nous puissions vaincre collectivement la pandémie. - Quelles sont, selon vous, les dispositions nécessaires à la réussite de la lutte contre la pandémie ? - Il faut valoriser l'opération de vaccination jusqu'à l'atteinte d'une immunité collective. Nous devons tous nous conformer et respecter les mesures sanitaires pour compléter les efforts de vaccination. Il est également impératif de renforcer le système marocain de Santé en prenant en considération l'amélioration des conditions (matérielles et humaines) et les spécificités locales de chaque unité hospitalière.