Les restrictions de déplacement, l'arrêt temporaire du travail et les mesures de confinement entreprises au niveau territorial ont eu des répercussions profondes sur le marché d'emploi. A l'instar des autres pays, le Maroc a été fortement affecté par la crise pandémique, accentuée par la succession de deux années agricoles de sécheresse. Pour faire face à cette crise et endiguer sa propagation, des mesures sanitaires, sécuritaires et financières ont été prises et des efforts de compensation financière ont été déployés afin de soutenir les populations vulnérables. En l'absence de ces mesures, la ponction sur la croissance du PIB et le creusement des inégalités sociales et spatiales auraient atteint des proportions alarmantes. "Les réponses conjoncturelles face à la crise ne devraient pas pour autant perdre de vue la nature structurelle des problématiques auxquelles les régions se trouvent confrontées. Ces problématiques ont été d'ailleurs explicitées dans le rapport de la Commission spéciale sur le modèle de développement. En plaçant les territoires au coeur de la dynamique de développement, une nouvelle ère de prospérité se profile, axée sur la mobilisation pleine et entière des potentialités territoriales à des fins de diversification des ressorts de la croissance, de création d'emplois et de rehaussement du niveau de vie des populations locales», souligne la DEPF dans son dernier Policy Brief intitulé : «Les territoires face à la pandémie Covid- 19 : impact sur l'économie des régions". Réalisée en partenariat avec la Banque Mondiale, l'étude tend à analyser l'impact de la crise Covid-19 au niveau territorial, en mettant l'accent sur le marché du travail et sur la structure sectorielle et le poids de l'informel dans les 12 régions du Royaume. Etat des lieux des indicateurs sanitaires régionaux Il en ressort, en premier lieu, à propos de l'intensité de la pandémie, que ce sont les deux régions de Casablanca- Settat et de Rabat-Salé-Kénitra qui détiennent les taux de létalité les plus faibles au Maroc (1,2%) malgré leur densité et une concentration de plus de 50% des cas. "La couverture médicale établie à 1.397 habitants par médecin, est répartie inégalement au niveau territorial. Les régions à bas taux de létalité sont celles dont le nombre d'habitants par médecin est le plus bas (Rabat-Salé- Kénitra avec 835 habitants/médecin et Casablanca-Settat avec 1015). Alors que les régions ayant enregistré des niveaux élevés en termes de létalité ont, en général, une offre de soins faible, notamment au niveau des régions de Drâa-Tafilalet (3073 habitants par médecin) et de Béni Mellal-Khénifra (2544)", explique la DEPF. Creusement des disparités régionales en matière d'emploi et de chômage Sans surprise. L'étude note, en outre, que les restrictions de déplacement, l'arrêt temporaire du travail et les mesures de confinement entreprises au niveau territorial conjugués aux effets d'une année agricole sèche, ont eu des répercussions profondes sur le marché d'emploi et plus particulièrement dans le secteur informel qui se caractérise par l'absence de filets de sécurité sociale. "L'accroissement du nombre de cas confirmés dans certaines régions, qui s'est traduit généralement par le resserrement des mesures de restriction, s'est accompagné d'une hausse importante du taux de chômage et une baisse significative du taux d'emploi", peut-on lire dans ledit rapport. L'analyse du taux de chômage fait ressortir un creusement des écarts interrégionaux. Le taux de chômage le plus élevé en 2020 est enregistré notamment au niveau des régions de l'Oriental (20,7%), et du Sud (19,8%) En termes de dynamique, poursuit la même source, la totalité des régions ont vu leurs niveaux de chômage augmenter avec de légères hausses pour les régions de Marrakech-Safi (1,2 point) suivies de Souss-Massa (1,5 point) et de Tanger-Tétouan-Al Hoceima (1,8 point) contre des hausses supérieures à la moyenne nationale (2,7 points), pour les régions de Fès-Meknès (3,8 points), de Casablanca-Settat (3,4 points) et de Drâa-Tafilalet (3,3 points). La région de l'Oriental a enregistré l'augmentation la plus élevée (6,9 points entre 2019 et 2020). Sur le registre de la spécialisation sectorielle, les régions à connotation agricole ainsi que celles à forte présence de l'emploi informel ont été durement touchées par la hausse du chômage et par la baisse du taux d'emploi engendrés par l'effet conjugué de la crise sanitaire et de la sécheresse. Ainsi, la région de l'Oriental, qui se caractérise par la présence d'une grande part de l'emploi informel dans l'emploi non agricole régional, a enregistré un niveau élevé de l'écart du taux de chômage comparativement au niveau national. Les régions, caractérisées par des indices de spécificité agricole élevés, notamment les régions de l'Oriental, de Drâa-Tafilalet et de Fès-Meknès, ont été significativement touchées par la crise à travers un écart de chômage supérieur à l'écart national Des secteurs inégalement affectés L'étude nous apprend également que la ponction économique générée par la crise au niveau national est estimée à 53.947 millions de dirhams aux prix courants pendant l'année 2020, soit 5,3% par rapport au scénario de référence. Cette perte macrocéconomique, souligne la DEPF, cache des disparités sectorielles importantes, tout en comprenant les effets de la sécheresse. Ces disparités dépendent des spécificités des secteurs en termes de leurs ressorts de croissance (demande intérieure ou extérieure) et du niveau d'interdépendance avec les autres branches de l'économie nationale Les secteurs les plus touchés sont notamment des activités de l'hôtellerie et restauration dont la valeur ajoutée a baissé de 55,8% entre 2019 et 2020, du transport (27,4%) et des industries mécanique, métallurgique et électrique (-21,3%, principalement celles liées à l'automobile, à l'aéronautique, à l'électronique). En revanche, les activités liées aux secteurs des industries alimentaires et tabac (+10,7%), de l'administration (+4,4%), de la santé et éducation (+2,3%) et aux services financiers (+0,8%) s'avèrent plus résilientes bien qu'en deçà du niveau habituel. Ces activités ont un caractère de support à l'activité économique ou bien un caractère non marchand administré ou lié à une activité de production des biens essentiels dans ce contexte de crise (produits d'hygiène, pharmacie, agroalimentaire). La région de l'Oriental profondément impactée En termes de pourcentage de la valeur ajoutée régionale, la plus forte perte concerne la région de l'Oriental, soit 9,8% de sa valeur ajoutée. Cette perte provient du secteur de l'agriculture, forêt et pêche à concurrence de 2,2 points de pourcentage (soit 1.182 million de dirhams d'un total de 5.251 millions de dirhams), du transport (2 points, soit l'équivalent de 1.084 millions de dirhams), du commerce (1,2 point, 644 millions de dirhams), des hôtels et restaurants (0,9 point, 497 millions de dirhams), de l'immobilier, location et services rendus aux entreprises (0,9 point, 491 millions de dirhams) et les industries mécanique, métallurgique et électrique (0,7 point, soit 350 millions de dirhams). La région de Tanger-Tétouan relativement résiliente Par ailleurs, la région de Tanger -Tétouan-Al Hoceima a enregistré le niveau de perte le plus bas en termes de valeur ajoutée avec 1,6% qui correspond à une valeur de l'ordre de 1.722 million de dirhams. Cette baisse est tirée principalement par le secteur des industries mécaniques, métallurgiques et électriques à concurrence de 2,3 points, soit 2.456 millions de dirhams, par les hôtels et restaurants avec 1,8 point (1.952 millions de dirhams) et les Transports (0,9 point équivalent à 954 millions de dirhams).
A. CHANNAJE
Recommandations
Dans la perspective de renforcer les capacités d'action des acteurs territoriaux, la présente étude formule quelques recommandations dont : - La promotion d'une gouvernance inclusive et multidimensionnelle orientée vers l'objectif de promouvoir durablement l'équité spatiale. - La poursuite des mesures sociales et de relance économique en faveur des populations en situation précaire, aux entreprises en difficulté et aux secteurs les plus fragilisés par la pandémie. - Le développement d'un système de gouvernance dans les secteurs de la santé et de l'éducation à travers l'établissement de services sanitaires de qualité accessibles à tous, l'instauration d'un système éducatif performant et la création de postes d'emplois selon le besoin des régions tout en assurant une revalorisation des compétences. - La réduction des degrés de dépendance des chaînes d'approvisionnement à travers, entre autres, la diversification du secteur productif. - L'accélération du déploiement sectoriel et territorial de la réforme du système de protection sociale.