Pourquoi suis-je de plus en plus incapable de terminer la lecture des romans marocains récemment publiés ? Sont-ils mal écrits ? Pas tous. Les sujets traités sont-ils trop consommés ? Souvent. Le style, bien que grammaticalement correct, est-il généralement plat? Assurément. Le romancier est-il trop conservateur ? Incontestablement. Ou est-ce moi qui suis devenu trop vieux et désabusé ? Certainement. Auparavant, lorsqu'un roman ne me plaisait pas, je me forçais à le terminer, juste pour en savoir la raison; désormais, dès que je décroche, je jette le roman et passe à un autre. En agissant ainsi, je me sens ingrat envers l'écrivain(e), et j'ai un grand respect pour celles et ceux qui écrivent, même des navets. Voilà pourquoi lorsque je critique un livre, je n'entame jamais l'estime que je dois à son auteur. Je me dis aussi: quelle serait ma réaction si j'apprenais que beaucoup de lecteurs jettent mes romans au bout de la 10ème page ? Sincèrement, je m'en fous. Je comprends que ce que j'écris ne soit pas du goût de tout le monde. Mais au-delà de ma personne, je pense qu'il est vraiment temps que les écrivains marocains se libèrent de l'héritage littéraire qui nous a été imposé par les universitaires et les journalistes. Nous sommes restés prisonniers d'un passé qu'on a encensé et que nous prenons pour archétype indétrônable. Au risque de choquer, je ne considère pas La Boite à merveille, La Mémoire tatouée, La Répudiation, Le Passé simple, etc. comme des chefs-d'œuvre. Ce sont des romans majeurs, j'en conviens; mais qui ont fait leur temps et qui doivent cesser d'être des modèles à imiter. Le problème, c'est que beaucoup d'écrivains continuent d'écrire de la même façon, parfois de traiter les mêmes thèmes. Parler encore en 2020/21 du despotisme du père à la maison, du traumatisme de la circoncision, de la pédophilie du fkih, du hammam, etc. me semble une amnésie romanesque grave. Je ne dis pas que ces thématiques ont cessé d'exister chez nous, mais elles ont déjà été traitées jusqu'à la nausée et sont devenues un obstacle au renouvellement du roman marocain. Il est temps de nous débarrasser de cet héritage coercitif. Je ne dis pas qu'il faut renier nos prédécesseurs ; mais il faut les dépasser et s'aventurer dans des sentiers nouveaux, voire dangereux. Nous devons créer notre Dadaïsme et notre surréalisme, même si nous n'avons pas vécu les événements politiques, sociétaux et culturels qui ont engendré ces deux mouvements en France. Le contexte n'est pas le même, mais l'urgence de faire table rase du passé est présente. En art en général et en littérature en particulier, tant qu'il n'y aura pas un mouvement Dada et un esprit surréaliste qui feront table rase du passé, on tournera en rond en croyant avancer. Alors, sur le fond comme sur la forme, osons proposer ce qui dérange, qui interpelle, qui provoque, qui crée des débats, voire des querelles. Aucune littérature ne se renouvelle dans le confort des Salons littéraires, de la complaisance et de la mimesis mais dans la rupture avec le passé et dans l'originalité. Aucune littérature ne se renouvelle sans risque de se casser la gueule. Mokhtar CHAOUI (Auteur)