La seconde mobilisation des habitants de Fnideq vient maintenir la pression sur les autorités locales, 7 jours après la première manifestation du 5 février. Les annonces des autorités ne semblent pas avoir calmé le mécontentement de la population qui appelle toujours à une réouverture du passage frontalier. Une semaine jour pour jour après la manifestation du 5 février, la population de Fnideq a réinvesti les rues de la ville, vendredi 12 février. Contrairement au premier sit-in, cette nouvelle mobilisation a été pacifique, les habitants se sont dispersés dans le calme sans aucune intervention des forces de l'ordre. Cette nouvelle manifestation vient après une semaine où les autorités locales ont multiplié les annonces. Le siège de la préfecture de M'diq-Fnideq a accueilli, le 9 février, une série de réunions pour mettre en place des mécanismes de reprise économique. Parmi les mesures prioritaires annoncées par les autorités, on retrouve notamment la promotion de l'adhésion au programme d'entraide nationale comme préalable à l'embauche dans les collectivités territoriales et les services locaux relevant du ministère de l'Intérieur. Le soutien à l'emploi direct via le tissu entrepreneurial, la simplification des démarches administratives d'aides à l'investissement et l'incitation à l'entrepreneuriat dans le secteur touristique, sont autant de mesures d'urgence annoncées par les autorités. Des mécanismes qui s'ajoutent au Programme intégré de développement économiques et social de M'diq-Fnideq et de Tétouan (2020-2022) doté d'un budget de 400 millions de DH. Des mesures qui ne semblent pas avoir convaincu la population de Fnideq. Démocratie participative « Après la manifestation du 5 février, le Wali de la région a enchaîné les réunions avec les partis politiques et les membres de la société civile locale. Il n'empêche que cette démarche ne pourra réussir que si les autorités regagnent la confiance de la population en abandonnant par exemple les poursuites contre les 4 personnes détenues vendredi dernier, mais aussi en ouvrant le dialogue avec l'ensemble des forces vives de la région, de manière transparente et conformément à la philosophie de la démocratie participative », souligne Abderahmane Chaïri Mandour, membre du groupe de réflexion « Pour la ville de Fnideq ». Pour l'heure, la principale revendication de la population reste la réouverture du passage frontalier avec la ville occupée de Sebta. Une réouverture qui exclut la reprise des activités de contrebande, mais qui vise, selon ce membre du groupe de réflexion, à permettre aux habitants de reprendre leurs emplois de l'autre côté de la frontière. Un groupe vient de lancer une pétition adressée au Conseil de la Région de Tanger-Tétouan-Al Hoceima, pour inclure la question des alternatives économiques à l'ordre du jour du Conseil. Une initiative régionale et sans étiquette politique, qui vise à éviter un pourrissement de la situation. «Nous œuvrons au niveau du groupe de réflexion à utiliser l'ensemble des mécanismes juridiques et institutionnels existants, de manière à plaider pour la création d'une nouvelle identité économique de la ville. D'où le lancement de la pétition, pour mettre le Conseil de la Région devant ses responsabilités et l'inclure en tant que partie prenante dans la recherche et l'identification d'alternatives à la contrebande, et ce, conformément aux dispositions de la loi cadre 111.14 », souligne Mandour Parallèlement, la population revendique la mise en place de mesures d'aides directes, pour juguler la perte du pouvoir d'achat. « Une aide qui ne doit pas se limiter à la distribution de paniers alimentaires et qui a démontré son inefficacité vendredi dernier », précise Mohamed Agbar, avocat et membre de la société civile locale. Pour les associations et les acteurs locaux, le face à face ne pourra être évité qu'avec le lancement de projets dans les domaines de la pêche maritime, la création de l'économie solidaire via des coopératives ou encore mettre en place une infrastructure pour faciliter l'éclosion d'activités de tourisme rural.
Amine ATER 3 questions à Yassin Yacour « Il est nécessaire de revoir l'identité économique de la ville » Yassin Yacour, membre du groupe de réflexion « Pour la ville de Fnideq », a répondu à nos questions par rapport aux nouvelles manifestations à Fnideq. - Après deux manifestations consécutives qui se sont tenues un vendredi, pensezvous que l'on se dirige vers un troisième vendredi de mobilisation ? - Pour le moment, c'est difficile de se prononcer sur cette question, nous ne sommes que des observateurs. Ce qui est sûr, c'est que les deux sit-in sont venus après un appel à manifester posté sur les réseaux sociaux, notamment sur Facebook. Des appels dont les auteurs restent inconnus à ce jour, quoiqu'il soit fort probable que ce soit le fait de jeunes de la ville qui préfèrent garder l'anonymat par crainte de répercussions légales. Une situation qui ne permet pas de se prononcer formellement sur l'hypothèse d'une troisième manifestation. Il n'empêche que le sit-in du 12 février avait un caractère spontané indéniable et qu'il comptait sur une grosse présence des femmes de la ville, ce qui montre la gravité de la situation. A noter que, contrairement à la manifestation du 5 février, le sit-in de vendredi dernier n'a enregistré aucun heurt avec les forces de l'ordre. L'on ne peut que constater que les autorités semblent avoir géré intelligemment cette seconde manifestation, et laissé la population exprimer son mécontentement. Une approche qui a payé vu que le rassemblement s'est dispersé dans le calme. - Quelles sont les alternatives économiques concrètes attendues par la population ? - A court terme, une réouverture des frontières pour les personnes bénéficiant de postes de travail dans la ville occupée de Sebta, on parle de milliers de personnes qui travaillent, pour certains depuis une trentaine d'années, de l'autre côté de la frontière. Une réouverture du passage frontalier permettra aussi aux personnes bénéficiant du régime de retraite espagnol de continuer à toucher leurs pensions. Parallèlement, la réouverture de la frontière devrait aussi permettre aux commerçants de la ville de reprendre un semblant d'activité vu que les sebtis de toutes origines avaient pour habitude de faire leurs courses entre Fnideq, Mdiq et Tétouan. Il est également nécessaire que les autorités lancent un programme d'aide directe d'urgence, en faveur des tranches les plus touchées par la crise économique. Un soutien qui pourrait ainsi se traduire par l'embauche en faveur de la population de Fnideq, notamment au niveau de Tanger Med, vue sa proximité de la ville, mais qui, paradoxalement, malgré son expansion, n'a aucun impact socioéconomique sur celle-ci. A long terme, il est nécessaire de revoir l'identité économique de la ville qui est marquée depuis l'indépendance par le commerce de produits de contrebande. - Le dialogue avec les autorités est-il ouvert? Quelle en est votre appréciation ? - La société civile locale a sonné l'alarme dès l'annonce de la fermeture du passage frontalier. Un mouvement qui englobe des personnalités locales de tous bords s'est constitué et a tenté d'alerter les autorités sur la dégradation des conditions de vie des citoyens de Fnideq. Au début, les autorités ont minimisé la situation, estimant que les alertes lancées au niveau associatif étaient disproportionnées et ne touchaient qu'une fraction de la population. Un constat qui s'applique également à la presse, qui résumait la situation à la contrebande et aux problèmes qui y étaient liés, sans jamais évoquer les spécificités et réalités du terrain. Après la manifestation du 5 février, les autorités ont réagi de la même manière que lors de la crise d'Amendis, c'est-à-dire annoncer la tenue de réunions à huis-clos et ressortir avec des annonces. Une approche qui se répète et qui semble vouée à l'échec. La meilleure façon de calmer la situation est d'adopter une approche transparente dans le dialogue entre autorités et société civile. Il est aussi crucial que l'Intérieur ne soit pas l'unique interlocuteur pour ce genre de dialogue, il est nécessaire que les autres ministères, agences et départements soient représentés sur le terrain. Recueillis par A. A. Repères L'Espagne s'en mêle Les médias espagnols ont accordé une large couverture aux événements du 5 et du 12 février, allant jusqu'à pronostiquer un embrasement de la région. Des sorties qui visent à pousser les autorités marocaines à mettre fin à ce que la presse ibérique désigne comme un blocus économique à l'encontre des villes occupées. « J'ai reçu plusieurs sollicitations des médias espagnols, dont El Mundo, qui visaient à me faire parler contre la politique du gouvernement vis-à-vis des territoires occupés de Sebta et Melilia. L'Etat a ses priorités géostratégiques que nous acceptons. La politique menée à l'encontre de la ville occupée de Sebta est compréhensible de ce point de vue, au moins pour mettre la question de la co-souveraineté sur la table. Nous ne pouvons qu'être d'accord avec cette stratégie », tient à souligner Mohamed Abgar. Des manœuvres qui l'on poussé à couper tout contact avec les supports de presse espagnols. Flux de Fnideq vers Sebta Le flux de marchandises via le passage frontalier de Benzu ne se limitait pas à la contrebande. En effet, les marchés de la ville occupée étaient pleins de fruits et légumes marocains, comme des produits halieutiques. Les restaurants et poissonniers sebtis faisaient confiance, jusqu'en 2019, aux criées des ports locaux de M'diq et Fnideq. Une partie non négligeable des boulangeries et commerces de Fnideq avaient pour clientèle les sebtis de toutes origines, friands de produits marocains. La fermeture de la frontière a entraîné la fermeture de 13 boulangeries, qui s'ajoutent aux quelque 600 commerces qui ont été obligés de baisser rideau définitivement.