La patience de la population de Fnideq s'épuise de jour en jour face à la détérioration de ses conditions économiques. Une situation qui a atteint son paroxysme, vendredi 5 février, avec une manifestation sauvage qui a pris tout le monde de court. Acculés par la détérioration de leurs conditions de vie, les habitants de Fnideq ont investi les artères de leur ville le soir du 5 février. Une manifestation sauvage, sans coordinateur connu et qui avait pour mot d'ordre : « Rouvrez la frontière » ! Plus qu'un simple sit-in, les évènements du 5 février représentent un coup de semonce, face à l'arrêt total de l'activité économique de la ville depuis plus d'un an. « La tension est palpable depuis plusieurs mois maintenant. Lorsque l'on voit que les gens se retrouvent obligés à vendre leurs possessions les plus basiques pour subvenir à leurs besoins quotidiens, ce sont des signaux à ne pas prendre à la légère. Pire, d'autres ont perdu la vie en tentant de rejoindre Sebta à la nage, un des récents disparus en mer a laissé derrière lui 5 enfants, pour dire le désespoir qu'il devait traverser. La population fait aujourd'hui face à une situation extrême qui ne leur fait plus craindre ni la prison ou même la mort ! », souligne Mohamed Abgar, avocat et membre du mouvement citoyen For The City of Fnideq. Une ville à l'arrêt depuis un an Un ras-le-bol généralisé de la population de la ville qui couve depuis plusieurs mois maintenant. Fnideq représentait avant le coup d'arrêt aux flux de contrebande décidé à la fin 2019, un carrefour commercial qui approvisionnait l'ensemble du Royaume en produits espagnols. Outre les emblématiques bragdia, qui enchaînaient les allers-retours croulant sous le poids des marchandises, ce commerce atypique nourrissait tout un écosystème. Preuve en est l'arrêt total de la ligne de grands taxis reliant la frontière à Tétouan. « Depuis le mois de novembre, nous avons constaté la fermeture de 600 commerces, sans compter les différents commerces informels. La crise touche également les cafés, restaurants et boulangeries. Ces derniers sont également durement touchés par la fermeture de la frontière, les échanges entre Sebta et Fnideq n'étaient pas à sens unique. Il y avait également une activité de contrebande allant dans le sens contraire, constitué d'un flux constant de fruits et légumes qui traversaient quotidiennement la frontière, idem pour le poisson, des quantités non négligeables étaient destinées aux marchés de la ville occupée », précise Abgar. L'appel à manifester circule depuis trois semaines ! Pour ce connaisseur de la région, les heurts du 5 février auraient pu être évités. En effet, un appel à manifestation circulait depuis plusieurs semaines, sur les réseaux sociaux. Le mouvement citoyen a organisé un cycle de 3 conférences depuis la fin 2020 et adressé une correspondance au Chef du gouvernement pour attirer l'attention de l'Exécutif sur la dégringolade du pouvoir d'achat des populations locales. « Notre objectif était justement d'éviter ce genre de scénarii. Malheureusement, il n'y a eu aucune réaction des autorités à nos sollicitations. Il aura fallu la manifestation du vendredi 5 février pour voir un début de réaction, et l'annonce par la Wilaya d'une réunion, sachant que l'appel à manifestation circulait sur les réseaux sociaux depuis maintenant 3 semaines », se désole un membre du collectif. Début de solution ? En réponse au sit-in, les autorités ont annoncé le lancement officiel d'un programme relatif à « l'élaboration et la mise en œuvre de mécanismes d'appui et d'accompagnement visant à impulser l'employabilité et promouvoir l'entrepreneuriat au profit des personnes en situation de précarité, notamment les femmes et les jeunes ». Un programme qui comporte la création d'une zone d'activité économique dans la commune de Fnideq, la mise en place d'un mécanisme de stimulation financière pour capter des investissements au niveau de la zone d'activités économique de Tétouan Park ou encore la création d'initiatives incitatives pour accompagner le tissu entrepreneurial. Entretemps, la défiance des populations locales envers les autorités ne cesse de s'étendre. Tout retard pris dans l'exécution de ses projets pourrait encore plus éroder le peu de capital sympathie dont dispose le discours officiel dans la région, voire pourrait entraîner un effet boule de neige dans l'ensemble de la région. Amine ATER 3 questions à Mohamed Abgar, avocat L'Etat est aux abonnés absents dans la gestion de cette crise Membre du mouvement citoyen For The City of Fnideq, Mohamed Abgar a répondu aux questions de « L'Opinion » concernant les revendications de la population de la ville du Nord. - En tant que membre du collectif citoyen For The City of Fnideq, comment expliquez-vous les événements du vendredi dernier ? - Le pourrissement de la situation peut s'expliquer par trois facteurs. Premièrement, l'annonce surprise et sans préavis de l'arrêt des activités de contrebande, puis l'annonce de la fermeture totale du passage frontalier et l'état d'urgence sanitaire en cours. Nous ne pouvons que comprendre la décision de mettre fin à la contrebande, nous sommes Marocains avant tous et nous ne pouvons ni ne voulons nous dresser contre les intérêts de la Nation, et encore moins cautionner des activités illégales. Mais d'un autre côté, il faut assurer une alternative aux gens et ne pas simplement les abandonner à leur misère. L'Etat a le droit de protéger ses intérêts économiques, mais il a également pour obligation d'assurer aux citoyens de Fnideq leur droit à des conditions de vie honorables. Nous parlons de milliers de personnes qui ont perdu du jour au lendemain leurs moyens de subsistance. - Comment jugez-vous l'action de l'Etat dans la gestion de la situation après la fermeture de la frontière? - L'Etat, via ses différents services et administrations, est aux abonnés absents dans la gestion de cette crise. Nous avons tenté tant bien que mal de mettre en place un lobby parlementaire en multipliant les contacts avec l'ensemble du spectre politique. Nous ne sommes pas des nihilistes, nous tenons à engager notre action, dans le cadre des institutions. Nous avons ainsi adressé des correspondances à plusieurs parlementaires de toutes sensibilités politiques. Lors de l'une des conférences que nous avons organisées, une invitation a été adressée aux présidents des communes urbaines de la région et de la présidence de la région, avec pour objectif de regrouper l'ensemble des parties prenantes. Malheureusement, de l'ensemble des communes urbaines et rurales conviées, seul le président de la commune de Martil a répondu à notre invitation. Les élus locaux sont également responsables de la situation, vu que, contrairement aux décideurs de Rabat, ils connaissent le terrain et ses spécificités. Une situation qui détonne à l'approche des élections, surtout qu'au moment d'approcher ces élus, nous avons même proposé de nous engager par écrit à ne briguer aucun poste en particulier. - Que pensez-vous des mesures annoncées par l'Etat pour débloquer la situation ? - L'activité de contrebande dure depuis l'indépendance ! La décision d'arrêt du flux se devait d'être précédée d'une étude d'impact et de propositions réalistes de réorientation de l'activité économique. L'on ne peut tout simplement se borner à annoncer la mise en place d'une zone franche. A noter que personne n'a de visibilité sur le temps qu'il faudra à ce projet vendu comme une alternative économique pour les gens de la région, 1 an, 2 ans, 3 ans, nul ne le sait ! Il faut également se poser des questions sur le contenu réel de ce projet, ce ne sera qu'un parc d'entrepôts dénué de toute industrie de transformation, ce qui va à l'encontre des recommandations du CESE. L'agence de développement du Nord a déclaré que la zone devrait compter une douzaine d'entrepôts, combien d'emplois cela devrait-il créer ? L'on parle d'une douzaine de propriétaires, qui ne devraient pas employer plus d'une dizaine de travailleurs par entrepôt. Soit une répercussion totale qui ne dépassera pas 200, voire 300 personnes en étant optimistes, je ne pense pas que cela soit suffisant pour sauver l'économie de toute une ville. Recueillis par A. A Repère Travailleurs transfrontaliers La fermeture totale du passage frontalier n'a pas seulement mis fin qu'au flux de contrebande, mais a également porté un coup aux travailleurs et travailleuses transfrontaliers. Une population qui disposait de contrats de travail, avec tout ce que cela implique comme droits sociaux, couverture médicale incluse. Ce sont des milliers de personnes qui se sont vu ainsi privées de leur gagne-pain du jour au lendemain. « Vu l'urgence de la situation pour cette population, les autorités auraient pu établir un protocole en leur faveur, comme par exemple imposer un test PCR régulier, comme c'est le cas pour l'ensemble des citoyens marocains qui souhaitent ou doivent quitter le pays», explique Mohamed Abgar. Cette catégorie représente, par ailleurs, un atout pour la région. Ils reçoivent leurs salaires en devises,les rapatrient et les introduisent dans le circuit économique local. Après une année sans soldes, ces personnes se retrouvent dans la précarité. « Il est nécessaire de trouver une solution urgente à cette catégorie, quitte à lui imposer une entrée et une sortie par mois avec période de quarantaine », avance Abgar.