La criminalisation des rapports sexuels hors mariage refait surface au sein du débat public suite à l'affaire de « la voilée de Tétouan » qui a déchaîné les appels à l'abrogation de l'article 490 du code pénal, porté par le Hashtag « #Stop_490 », qui divise autant qu'il ne rassemble. Les libertés individuelles investissent de nouveau le champ du débat public. Il a suffi d'une affaire de mœurs pour ressusciter ce débat récurrent sur le sulfureux article 490 du code pénal qui criminalise les rapports sexuels hors mariage. Après le mouvement « #Je-suishors-la-loi » initié par la romancière franco-marocaine Leila Slimani, c'est au tour de l'affaire de la femme de Tétouan de faire renaître le débat récurrent sur le périmètre des libertés individuelles au Maroc. Le Hashtag « #Stop_490 » a de nouveau envahi les réseaux sociaux pour demander la légalisation des rapports sexuels mutuellement consentis. Il s'agit d'une réaction à l'affaire de Hanane, une jeune femme, mère de deux enfants, prise au piège par un homme avec qui elle a eu une relation et qui l'a filmée en plein acte, à son insu, pour publier ensuite la vidéo sur Internet, en décembre. Cette affaire a provoqué ainsi un scandale national au dépens de la jeune femme compromise. En plus des affronts et du discrédit social, cette dernière a été aussitôt interpellée et condamnée à un mois de prison ferme, pour « outrage public à la pudeur », et « rapports sexuels hors mariage », par le Tribunal de première instance de Tétouan. Débat ressuscité et avis discordants L'affaire «Hanane» n'est que l'arbre qui cache la forêt du débat palpitant et même endémique sur les libertés individuelles qui semble se présenter à chaque éclosion d'une affaire de moeurs de quelque nature qu'elle soit. Au-delà des aspects juridiques, l'affaire s'est transformée aussitôt en polémique nationale, provoquant des réactions opposées dans les réseaux sociaux. Le collectif « Hors-la-loi » a manifesté sa solidarité avec Hanane et n'a pas hésité de saisir l'occasion pour relancer ses appels à la réforme du code pénal pour en retirer l'article 490 qui punit les relations extra-conjugales, en relançant le Hashtag_490. Un mouvement qui divise autant qu'il fédère. Une vague de soutien a accompagné le Hashtag aussi bien sur Twitter que sur Facebook, avec des slogans dénonçant « le caractère liberticide » du code pénal. Plusieurs personnes ont partagé le slogan 490 sur leur profil en guise de solidarité. Cependant, les adeptes du libéralisme sociétal ne sont pas les seuls à se faire entendre, le Hashtag n'a pas manqué de ressortir des voix mécontentes, qui ont répliqué par un Hashtag contraire intitulé « Keep 490 ». Une façon de réclamer le maintien de la pénalisation des relations « illicites ». Il s'agit d'un attachement à la culture de la pudeur, vivement ancrée dans la société marocaine, certaines voix estimant même que le débat sur une question sociétale n'est pas une priorité alors que le pays traverse une crise économique. A cet égard, pour le sociologue Mostafa Aboumalek, les sujets relatifs aux libertés individuelles ne sont pas le souci principal du Marocain moyen, qui reste préoccupé par le pouvoir d'achat, l'emploi ou encore la scolarisation. Par ailleurs, d'autres personnalités de notoriété publique ont pris part au débat, pour se prononcer sur ce sujet si sensible. Asma Lamrabet, chercheuse et ex-membre de la Rabita Mohammadia des Oulémas, a condamné l'article 490 en le qualifiant de « contraire à l'éthique musulmane et avec l'éthique tout court ». « Avoir des relations sexuelles en dehors du mariage est moralement interdit mais, au sein d'une société, cet acte pratiqué entre adultes et en privé ne peut être pénalisé car il est du ressort des convictions morales de tout un chacun », a-t-elle indiqué sur son compte Facebook. Un débat sans fin Compte tenu de sa récurrence, le débat sur les relations hors mariage peine à être tranché. Le changement de l'article contesté n'est pas envisageable pour l'instant, faute de consensus national. Le collectif « Hors-laloi » avait tenté en 2019 d'introduire la question au Parlement à l'aide d'une pétition qui n'a pas pu être déposée puisqu'elle n'a récolté que 2500 signatures au moment où il lui en faut 5000 pour qu'elle soit recevable. Au-delà des instruments de démocratie participative encore balbutiants sous nos cieux, ne reste donc que le débat public en tant qu'exutoire pour l'expression des diverses sensibilités et positions qui caractérisent ce sujet sensible aux ramifications sociétales certes, mais également culturelles et religieuses. Autant dire qu'on n'est pas sortis de l'auberge. Anass MACHLOUKH 3 questions à Mostafa Aboumalek « Notre façon de penser et de vivre reste fortement imprégnée par des valeurs traditionnelles » Mustafa Aboumalek, chercheur en sociologie de la famille, a répondu à nos questions sur la résurgence de la question des libertés individuelles dans le débat public. - Quelles sont, selon vous, les raisons derrière l'émergence de ce débat autour de la question de l'article 490 ? - Les relations sociales évoluent et notamment les relations entre les sexes. Je pense que le débat a émergé dans un contexte d'euphorie dans les réseaux sociaux. La résurgence du débat est dictée également par les changements qu'a connus et connaît toujours la condition de la femme. Nous ne pouvons plus présenter la femme comme ce corps empaqueté, qui ne va pas à l'école, ne travaille pas et ne côtoie pas les autres. À mon avis, ce débat se déroule essentiellement dans le monde urbain. - Le débat reste polarisé entre le pour et le contre pour cet article de loi, mais, selon votre expérience, que pense la majorité silencieuse de la question ? - Je pense qu'il y a avant tout des soucis primaires et secondaires. Le souci principal du Marocain moyen reste la pandémie, le pouvoir d'achat, l'emploi ou encore la scolarisation. Ce sont des sujets beaucoup plus importants que ce dont on est en train de parler. Je n'irais pas jusqu'à dire que c'est un faux problème, mais ce n'est pas le problème ! J'ajoute que nous sommes encore une société de culture traditionnelle, ce que l'on appelle la culture moderne ou occidentalisée reste l'exception et non pas la norme. Notre façon de penser et de vivre reste fortement imprégnée par des valeurs traditionnelles. - Comment voyez-vous l'évolution des mœurs au Maroc et notamment dans le milieu citadin ? - L'évolution des mœurs est palpable, même dans la vie quotidienne. En tant qu'enseignant, je la vis quotidiennement en classe. Je vois comment communiquent et interagissent les jeunes à la Faculté comme dans les grandes écoles. Cela n'a rien à avoir avec les interactions des années 60, les mœurs évoluent, les relations deviennent de plus en plus décontractées ou, comme les jeunes se plaisent à dire, plus « cool ». Regardez la différence avec les années 60, aujourd'hui, les couples ne se font plus arrêter par la police. C'est une aberration qu'un policier interpelle un couple et exige un acte de mariage. Une pratique que l'on voit de moins en moins dans nos villes et qui est une évolution palpable de la question. Recueillis par Amine ATER Encadré Dispositions légales : Ce que dit le code pénal Suivant les lignes directives de la Constitution, le Code pénal marocain encadre quelques aspects des rapports entre les deux sexes et pénalise les relations qui sortent du cadre légal. Dans son article 490, le texte de loi, qui suscite la polémique, stipule que clairement que « sont punies de l'emprisonnement d'un mois à un an, toutes personnes de sexe différent qui, n'étant pas unies par les liens du mariage, ont entre elles des relations sexuelles ». Ainsi, le mariage demeure aux yeux de la loi le seul cadre légal de la pratique sexuelle.Le code pénal sanctionne également les actes impudiques entre personnes de même sexe, « est puni de l'emprisonnement de six mois à trois ans et d'une amende de 200 à 1.000 dirhams, à moins que le fait ne constitue une infraction plus grave, quiconque commet un acte impudique ou contre-nature avec un individu de son sexe », lit-on dans le texte de loi. Le code pénal régit également quelques aspects exigus de la vie conjugale, l'article 491 punit l'adultère d'un à deux ans d'emprisonnement sachant que la poursuite ne saurait être engagée sans le dépôt d'une plainte par le conjoint offensé. Le plus dur est de prouver les infractions précitées, l'article 493 en donne la réponse en citant que « La preuve des infractions réprimées par les articles 490 et 491 s'établit soit par procès-verbal de constat de flagrant délit dressé par un officier de police judiciaire, soit par l'aveu relaté dans des lettres ou documents émanés du prévenu ou par l'aveu judiciaire ». Repères Réforme du code pénal en suspens En plus des libertés publiques et individuelles, le code pénal fait actuellement objet de vives tensions au sein du Parlement à cause du blocage de la réforme du code pénal qui prend l'allure d'un changement global dans l'arsenal législatif marocain. La réforme introduit de nouvelles dispositions contre l'enrichissement illicite comme elle introduit pour la première fois des peines alternatives pour les peines de courte durée, lesquelles pourraient s'appliquer aux infractions sanctionnées par l'article 490. Affaire Hanane : un cas de diffamation ? Sortie le 3 février après avoir purgé sa peine, la mise en cause n'entend pas en rester là et cherche à se faire disculper, sachant que l'homme qui l'a filmée n'est pas encore arrêté puisqu'il réside actuellement aux Pays-Bas. Le Parquet a émis un mandat d'arrêt à son encontre et les chances de son extradition sont minimes, faute d'une convention de coopération judiciaire avec les Pays-Bas. La défense de la jeune Hanane entend annuler le jugement en recourant à la Cour de Cassation, puisqu'elle la considère comme victime de diffamation.