La scène littéraire marocaine a connu ces dernières années un foisonnement et un rajeunissement tels que l'idée d'y consacrer un colloque dédié spécifiquement à la production romanesque de langue française s'imposa d'elle-même, avec un intérêt particulier porté aux nouvelles plumes dont les publications ont ouvert de fabuleux horizons au genre narratif. De nouvelles voix, autant masculines que féminines, résonnent dans un pays qui a pourtant tant de mal à honorer convenablement ses pourvoyeurs culturels. Il faut noter à ce sujet que la désignation cartographique, qui a longtemps présidé au destin de la publication romanesque dans nos contrées et qui a alimenté le traditionnel enthousiasme pour les écrits orientaux, ce marqueur originel s'est d'abord vu foncièrement renouvelé par cette nouvelle vague avant d'être augmenté d'insoupçonnés filons explorés par de jeunes talents tentés par de singulières expériences scripturales, tantôt inspirées par les successives mutations que connaît le pays, tantôt portées par les insondables horizons qu'offre spécifiquement le genre romanesque. Pour mieux célébrer cette «Movida littéraire» (selon une expression de Laâbi), nous avions convié pour la circonstance quelques jeunes figures de cette nouvelle littérature en la personne de Lamia Berrada-Berca, Abdelkhaleq Jayed, Abdellah Baïda et Rachid Khaless. Aussi interroger cette nouvelle production ne saurait-il s'accomplir totalement sans évaluer la réception critique qui en est faite. Et qui de mieux qu'une des figures marquantes de la presse culturelle marocaine et de la critique littéraire, Abdellah Bensmaïn, pour nous gratifier de son expertise, lui qui a arpenté les sentiers de la production littéraire du pays depuis des générations et qui, après avoir vécu le traditionnel appareillage critique, nous entretient des changements que connaît ce monde de l'appréciation littéraire à l'heure des réseaux sociaux. Les nombreux chercheurs qui avaient également pris part aux travaux de ce colloque ont enrichi les débats par leurs expertises académiques respectives à travers les nombreuses communications qui avaient questionné les pesanteurs du réel sur les œuvres de fiction où la matière l'emporte souvent sur la manière, l'intérêt pour les expressions dépaysantes et triomphalement abouties, les aspects novateurs de la littérature féminine qui a récemment gagné ses lettres de noblesse à l'occasion de l'attribution du Prix Goncourt à la romancière Leïla Slimani, le regard scrutateur au sarcasme voltairien de Fouad Laroui, le procès culturel via une parole dissidente à travers l'expression transgressive de quelques plumes rebelles (A.Taia et Rachid O.), l'incontournable dimension interculturelle chez nombreux de ces auteurs... Et parce que cet événement scientifique nous l'avions également souhaité comme un hommage au Livre et une célébration du peuple des lecteurs, un ultime aspect nous impose un moment de réflexion sur ce roman marocain qui arbore fièrement sa pluralité éditoriale, porté par les vibrations de toutes ces voix qui semblent résonner tapageusement dans un écosystème frappé de quelque immobilisme culturel et foncièrement rétif à la célébration de ses créateurs. Aziz BELKAZ, Professeur à la Faculté des Lettres Aït Melloul, Université Ibn Zohir, Agadir Coordinateur du colloque et de la publication de :« Le roman marocain de langue française : Lectures croisées d'un renouveau littéraire ».