Déjà malmenées par une année de sécheresse et les effets économiques de la pandémie COVID-19, les populations rurales des zones à risques accusent le coup. Eclairage sur les conditions de vie de régions « oubliées ». A chaque vague de froid, la presse et les réseaux sociaux marocains se couvrent d'images et de reportages des zones enclavées et montagneuses en proie aux neiges et au blizzard. Face à la dureté des éléments, hôpitaux de campagnes, comités de veilles et tissus associatifs se mobilisent pour apporter un soutien aux populations les plus vulnérables. Cette année, en plus des baisses de températures et des chutes de neige, les populations des zones à risques doivent aussi composer avec les effets de la pandémie de la COVID-19. La situation sanitaire a, en effet, limité les mouvements des associations, mais surtout sérieusement entamé les capacités des populations locales à se préparer au choc des périodes de grand froid. La crise au cœur du Haouz « Dans les zones où nous travaillons, les populations ont déjà énormément souffert de la sécheresse qui a mis à mal leurs stocks de provisions. La pandémie a eu un effet dévastateur sur les populations rurales déjà avec la fermeture des souks, puis qui s'est aggravée avec le coup d'arrêt donné aux réseaux de solidarité familiale par le confinement de mars dernier », explique Meriem Othmani, présidente de l'association INSAF. Active au niveau des provinces de Chichaoua et du Haouz, cette association a pu constater les retombées de la crise sanitaire sur ces régions qui entourent Marrakech. En plus des petites cultures, les habitants de ces zones dépendent des membres de leurs familles qui travaillent en ville, notamment à Marrakech. « La mise en place du confinement en mars dernier a mis fin aux transferts d'argent des enfants partis travailler en ville. Beaucoup ont par ailleurs été obligés de revenir les poches vides dans leurs villages, suite à l'arrêt forcé de l'activité », souligne un acteur associatif. Une situation sans précédent qui a fortement impacté la capacité des populations rurales à se préparer aux vagues de froid. « Normalement, avant la chute des températures, les habitants des zones à risques font des provisions, mais cette année cela été plus difficile. C'est pour cela que nous travaillons en collaboration avec les autorités locales qui nous listent les familles et régions les plus sinistrées pour mieux cibler nos actions », précise la présidente d'INSAF. Les nomades pris au piège Les populations sédentaires ne sont pas les seules à souffrir des baisses brutales de températures. Les nomades subissent également de plein fouet les éléments. A l'image des nomades de la région de Merzouga (Province de Draâ-Tafilalt) qui se sont retrouvés bloqués par les intempéries. « Nous avons porté assistance à 23 familles nomades, soit un total de 124 personnes complètement abandonnées à leur sort », rapporte Maha Nabil, membre du groupe de supporters Verde Passione 49. Ces fans du Raja de Casablanca viennent tout juste d'organiser une expédition de solidarité avec les populations nomades de la région de Merzouga. Ces dernières, bien que vivant dans des régions reculées, subissent également les contrecoups de la crise sanitaire. « Ces personnes vivaient de la vente de fossiles aux rares touristes qui traversaient la zone et bénéficiaient du soutien d'une ONG espagnole. Des sources de revenus qui se sont arrêtées d'un coup avec la COVID. Sachant que ces populations ont été déjà secouées par la sécheresse qui les a obligées à vendre leur maigre cheptel », explique Nabil. Les populations nomades doivent, pour rappel, faire face à des chutes brutales de températures parfois accompagnées de crues bloquant leurs déplacements. Des conditions climatiques extrêmes auxquelles elles doivent faire face avec pour seul abri des camps de fortune et pour moyen de chauffage les fours traditionnels. « Il est nécessaire de mettre en place des projets de développement dans ces régions, sans pour autant altérer le mode de vie des nomades, de manière à ce qu'ils puissent subvenir à leurs besoins, sans dépendre de la solidarité », soutient la supportrice. Amine ATER 3 questions à Selwa Zine, présidente de l'association Al Baraka Angels « Il a fallu gérer à la fois l'enclavement et les effets de la pandémie » Selwa Zine, présidente de l'association Al Baraka Angels, a bien voulu nous éclairer sur la réalité de la situation dans les régions montagneuses en proie aux conditions climatiques particulièrement dures cet hiver. - Comment les populations des zones frappées par les vagues de froid surmontent cette épreuve après une année marquée par la sécheresse et la COVID ? - Quand on vit en zone montagneuse enclavée non agricole, nous n'avons pas d'autre choix que d'aller chercher son gagne-pain en ville. Faute de routes, d'infrastructures et d'activités économiques, les niveaux de précarité battent leur comble. Les familles sont généralement soutenues par leur fils majeurs, qui vont dans les villes les plus proches et parfois jusqu'aux plus grandes à la recherche d'emplois, dans le secteur du bâtiment le plus souvent ou dans les souks. L'année a donc été particulièrement rude pour ces populations. Il a fallu gérer à la fois l'enclavement et le manque d'accès aux denrées et produits de première nécessité, davantage exacerbé par la pandémie. Ces petits emplois se sont également vus interrompus du jour au lendemain en ville ou dans les centres urbains les plus proches à cause des mesures restrictives liées au confinement. Pour les familles qui gagnaient leur vie de la culture de petits lopins de terre, elles ont dû faire face d'abord à une sécheresse, l'année 2020 ayant été faible en pluies, puis à de fortes chutes de pluie et de neige en fin d'année et en début 2021. Autant dire une saison agricole de perdue ! - Comment se traduit concrètement votre action sur le terrain ? - Nous collectons des dons en nature et en argent pendant plusieurs mois pour ensuite organiser une large caravane qui achemine des vivres à des familles vivant en situation de précarité et d'autant plus limitées par les conditions climatiques. En 2020, après avoir apporté notre soutien à 4000 familles via la collecte et la redistribution en argent et en nature de près de 2 millions de Dirhams de dons, nous nous sommes attelés dès le mois de Décembre, marqué par les premières chutes de neige, à conduire comme à l'accoutumée notre caravane d'hiver qui ciblera cette année plus de 2000 autres familles. Nos packs de 35 Kg de denrées alimentaires comprennent des produits et aliments de première nécessité, des vêtements chauds et des couvertures. - Quel bilan pouvez-vous dresser de vos actions précédentes ? - Au niveau de la province d'Azilal, ce sont 500 familles à qui nous avons pu distribuer des denrées alimentaires et des couvertures. Auxquelles s'ajoutent les élèves de 4 écoles et les résidents des 2 maisons de l'étudiant à Zaouiat Ahensal qui se sont vus distribuer des vêtements et des doudounes neuves. Au niveau de la province de Sefrou, nous avons assuré la distribution de denrées alimentaires à 350 familles dans la localité de Tafajight, 250 familles à Ighezrane de Jbal Bouiblane, et 350 familles à Adrej. Du côté de Khénifra, ce sont 320 familles qui ont été assistées dans la localité d'Aït Boumzil et nous préparons une opération pour le week-end prochain en faveur de 250 familles dans la localité d'Agssar (Province de Taza). Nous tenons à remercier l'ensemble de nos donateurs et spécialement Son Altesse la Princesse Cheikha Fatma Bent M'Barek qui nous a offert 70 tonnes de denrées alimentaires. Recueillis par A. A. Encadré Gouvernance : Les recommandations de l'Alliance des Economistes Istiqlaliens (AEI) Le climat rude ne doit pas reléguer au second plan la question de la gouvernance. En effet, la détresse des populations rurales habitant des zones sujettes aux baisses brutales de températures n'est plus un secret. Preuve en est la mobilisation en amont du tissu associatif pour cette période. Parallèlement, les chantiers de la régionalisation avancée sont censés apporter une réponse locale et personnalisée à ce genre de questions, en témoigne la note de cadrage de l'Alliance des Economistes Istiqlaliens (AEI) lors de la rédaction du Projet de Loi de Finances de 2020. L'AEI appelait déjà au « désenclavement logistique et routier des régions éloignées de l'axe mondialisé de notre pays ». Une priorité selon les experts de l'Alliance qui rappellent qu'une « politique de spécialisation économique de ces territoires permettrait d'améliorer leur attractivité et leur développement ». Des zones restent dépendantes du tourisme et qui se retrouvent frappées de pleine fouet par la fermeture des frontières et le verrouillage de la circulation inter-provinces. L'AEI avait, par ailleurs, appelé à une opérationnalisation du Fonds de solidarité interrégionale et du Fonds de mise à niveau sociale. Des structures qui devraient « s'inscrire dans des schémas de cofinancement pour le soutien de projets créateurs d'emplois et à fort impact socio-économique ». Repères Le dispositif de l'Exécutif Depuis 2009, l'Exécutif adopte chaque année un plan d'intervention lors des périodes de neige, de pluies et de vagues de froid. Ce qui représente un champ d'action de 1.246 douars et 213 collectivités territoriales correspondant à 660.000 personnes. En plus de la mise en place d'un centre de commandement pour l'intervention rapide au sein du ministère de l'Intérieur et l'opérationnalisation des commissions provinciales, les autorités visent à assurer l'approvisionnement en denrées de première nécessité, la distribution de fourrage pour le bétail ou encore la mobilisation d'unités de secours héliportés et d'engins de déneigement. Des mesures qui sont déclinées en fonction des spécificités de chaque région. Les FAR en renfort A chaque vague de froid, les Forces Armées Royales mobilisent leurs unités médicales et de génie pour porter assistance aux populations isolées. Une mobilisation qui se fait notamment ressentir dans la région du Moyen Atlas et plus précisément dans les villages entourant la commune de Ouaouizeght (province d'Azilal). Les habitants de la région ont ainsi accès depuis les premières chutes de neige à une unité médicale mobile leurs permettant d'effectuer des examens médicaux, des échographies, de se faire vacciner, de suivre ou mettre en place un planning familial, d'assurer un suivi pour les femmes enceintes ou encore de dépister des cancers du sein et du col de l'utérus.